mardi 12 février 2008

HAITI-RD: LES DESSOUS POLITIQUES DU DOSSIER DES OEUFS ET DES POULETS

lundi 11 février 2008

Par Edwin Paraison

Soumis à AlterPresse le 9 février 2008

L´échec de la mission dominicaine dirigée par le Ministre de l´Agriculture Salvador (Chio) Jimenez, au palais national, à la capitale haïtienne, le 30 janvier dernier, est un élément important d´analyse de la gestion haïtienne de l´affaire des œufs et poulets dominicains, interdits d´importation depuis le commencement de l´année 2008 à cause de l´apparition de la grippe aviaire dans un poulailler de la ville de Higuey, à l´est de la République Dominicaine.
Protocolairement, en recevant personnellement le Ministre Jimenez, il est sous entendu que le président René Préval, reçoit un envoyé spécial de son ami le président Leonel Fernandez, sur le dossier en question. Aucune concession n´a été faite. Même après la conversation téléphonique tenue par les deux Chefs d´Etat au moment de la rencontre au palais. Pour le moins, la partie haïtienne a accepté d´envoyer une nouvelle mission technique en territoire dominicain afin de vérifier l´évolution de la situation.
A remarquer que les deux mandataires ne laissent jamais passer une occasion de souligner leur amitié personnelle et le fait qu´ils se soient retrouvés, une nouvelle fois, à la tête de ces deux pays qui se partagent l´ile de Qusiqueya.
Si durant leur premier mandat, à travers la Commission Mixte Bilatérale Haitiano-Dominicaine, ils avaient effectivement conclu plusieurs accords de coopération dans différents domaines, la migration et le commerce, malgré l´amitié qu´ils affichent, sont jusqu´à date des dossiers conflictuels, dont une gestion inappropriée peut avoir des retombées politiques négatives pour l´un ou l´autre.
A rappeler que Préval avait effectué, comme en 1995, son premier voyage à l´étranger en République Dominicaine en tant que président élu en mars 2006. En cette occasion, il était venu faire une visite de réparation à son ami Fernandez, suite aux violentes protestations ayant marqué l´arrivée du Chef d´Etat dominicain à Port-au-Prince, en décembre 2005. La « politique migratoire » du distingué hôte face aux travailleurs migrants installés dans son pays et des propos inadéquats à l´égard des dirigeants haïtiens auraient été, selon les protestataires, a la base de ces manifestations.
De fait, la « politique migratoire » de l´administration Fernandez n´a pas changé. La position de certains officiels dominicains face à Haïti non plus. Le Premier Ministre Jacques Edouard Alexis a du protester énergiquement contre un discours du chancelier Carlos Morales Troncoso, à Madrid en décembre 2006. L´Ambassadeur Rhadames Batista, Président du Conseil National des Frontières, avait, de son coté, demandé en octobre 2007, l´interdiction de l´usage du créole et des symboles nationaux haïtiens à la télévision dominicaine.
Sur le plan commercial, le protectionnisme dominicain contre les produits haïtiens, n´a pas disparu. Etrangement c´est dans la foulée du débat sur les œufs et poulets, que les autorités dominicaines ont découvert la nocivité de la boisson énergisante haïtienne « Toro », massivement commercialisée en territoire dominicain depuis plus d´un an. Le produit est actuellement frappé d´interdiction de vente.
Ces aspects fondamentaux des relations entre les deux pays, n´ont pas été cependant abordés durant les 3 voyages en République Dominicaine de Préval, qui jouissait de la « meilleure image » connue d´un Chef d´Etat haïtien, durant les 22 dernières années, dans l´opinion publique dominicaine, jusqu´aux différends sur le cas décrit dans cet article, présenté par les medias dominicains comme un bras de fer entre les deux gouvernements.
C´est dans ce contexte que de hauts cadres dominicains utilisent jusqu´à présent les déclarations attribuées par le Listin Diario en mars 2007 à Préval, posant un démenti aux dénonciations des ONGs iliennes et de l´étranger relatives aux conditions de vie des travailleurs migrants haïtiens en terre voisine, assimilées à l´esclavage moderne.
Dans la même lignée, les propos de l´Ambassadeur Fritz Cinéas aux medias du Groupe Corripio en aout 2007, concernant la nationalité des enfants nés d´Haïtiens en République Dominicaine ont renforcé ce qui a été perçu par les analystes des relations haitiano-dominicaines, comme un choix délibéré du mandataire haïtien de « soigner » son image dans l´opinion publique dominicaine, en même temps que d´éviter tout malaise avec son homologue dominicain.
D´un coup, cette image « positive » semble s´effondrer. La fiancée du président Préval a été mêlée à l´ affaire des poulets et œufs par des journalistes de tendance officielle à Santo Domingo. Le président lui même a été vivement critiqué pour avoir reçu la délégation dominicaine de façon très informelle sur le plan vestimentaire. A vrai dire...c´est ne pas connaitre l´homme.
Dans les milieux gouvernementaux dominicains, la situation est beaucoup plus préoccupante, à cause de la manipulation politico-électorale de ce thème de la part des opposants du président-candidat.
La position haïtienne, techniquement correcte pour la préservation de la santé de la population, à la fois politiquement exploitable par le gouvernement Préval-Alexis, dont la gestion des relations haitiano-dominicaines est questionnée par différents secteurs haïtiens, à tous les points de vue, a eu des conséquences politiques négatives pour le secteur officiel dominicain. Surtout après l´échec de la deuxième mission Jimenez.
Le candidat à la présidence du Parti Réformiste Social Chrétien (PRSC), Amable Aristy Castro, qui détient selon les sondages entre 9 et 12% de l´électorat, tout en accusant le gouvernement dominicain et son candidat Leonel Fernandez, d’être responsables de la crise que traverse le secteur avicole, a offert son appui à la paralysie des marchés binationaux de Dajabon et Jimani, effectuée le 4 février dernier.
Cette action de protestation contre la mesure officielle haïtienne a reçu également le soutien des autorités municipales locales, à travers la mairesse de Dajabon, Sonia Mateo. Paradoxalement les derniers cas de poulets infectés ont été détectés le 7 février dans le poulailler du sénateur Noe Sterling Vasquez du PRSC à Barahona.
De son coté, le vice-président du Sénat haïtien, Roudolph Boulos, a publié en « espace payé » dans la presse dominicaine, un communiqué pour démentir son implication dans le maintien de l´embargo sanitaire contre les produits dominicains, suivant des informations diffusées dans les medias locaux. Boulos a même souhaité la levée de l’interdiction haïtienne.
Le Gouvernement dominicain qui avait annoncé la possibilité d´un accord avec le Venezuela dans une opération d´échanges d´œufs et poulets pour du pétrole, a eu un autre revers politique dans l´opinion publique, avec la position adoptée par le pays sud américain de mettre en avant les mêmes exigences faites par Haïti avant d’accepter les produits avicoles dominicains.
Evidemment, la conjoncture électorale est à la base de la gestion officielle dominicaine du problème. Au lieu d´appliquer la procédure internationale émanant de l´Office International des Epizooties (OIE), qui prévoit entre autres mesures, l´abattage des poulets et l´inspection des poulaillers, nos amis dominicains ont opté pour l´offensive diplomatique vers Haïti, se basant sur les bonnes relations existantes entre les deux mandataires.
L´option haïtienne, moins couteuse sur les plans politique et économique, tenant compte particulièrement du prix sur le marché des « coqs de combat » et de la résistance qu’opposeraient bon nombre de leurs propriétaires à l´abattage par exemple, avait été priorisée. Ceci, malgré les recommandations des techniciens haïtiens, des leur première visite dans les fermes dominicaines à la mi-janvier, encourageant leurs homologues à se procurer la certification internationale.
Cependant ce n´est qu´au retour à la capitale dominicaine de la délégation qui a rencontré le Chef d´Etat haïtien que le Ministre de l´Agriculture dominicain, face à la réaffirmation par Préval des dispositions haïtiennes, a annoncé que l´OIE a été invitée à visiter la République Dominicaine pour l´émission d´un certificat sanitaire international. Et l´abattage a commencé timidement.
L´on ne comprend pourquoi, malgré des arguments aussi forts, aucune stratégie communicationnelle, n´ ait été mise en place par la représentation diplomatique haïtienne à Santo Domingo, pour désamorcer la campagne médiatique contre la position officielle haïtienne dans ce dossier, qui fait passer nos responsables pour des corrompus et des dirigeants insensibles aux souffrances de la population.