dimanche 15 novembre 2009

HAITI-POLITIQUE: LES LECONS A TIRER DE L'AVENTURE MICHELE PIERRE-LOUIS

Haiti-Politique : Les leçons à tirer de l’aventure Michèle Pierre-Louis

samedi 14 novembre 2009

Débat

Par Leslie Péan

Soumis à AlterPresse le 12 novembre 2009

La destitution de Michèle Pierre-Louis suivie de la nomination accélérée de Jean-Max Bellerive donne à voir une dimension du mal haïtien encore insoupçonnée. Les clous de la trahison ont été enfoncés dans les âmes de nos compatriotes avec célérité. Mais aussi avec dégoût. Le vernis démocratique a craqué sous la tentation autoritaire et une réelle volonté de nivellement par le bas, d’appauvrissement et de mendicité généralisée, ce que le parler populaire désigne sous le vocable de kokoratisation du pouvoir, du savoir, de la société et de la culture. Le président Préval n’a rien dissimulé. Il a laissé tomber le masque pour revenir à la case départ. À cette graine de démon du ticouloute et du bacoulou qui constitue son essence. Il a tout mis à la surface en disant « Men Fanm nan pote Blan plent pou mwen ! » pour se plaindre des remontrances de Soros et de Clinton lui demandant de laisser plus d’espace à Michèle Pierre-Louis pour qu’elle puisse gouverner.

La graine de démon a grandi. Elle a donné non seulement un arbre de douleur avec des sénateurs allumant les flammes de l’inquisition contre Michèle Pierre-Louis, mais aussi des fleurs de feu brûlant tous les ministres qu’elle avait personnellement nommés dont Alrich Nicolas, Charles Manigat, Jean-Joseph Exumé, Olsen Jean Julien, etc. Le gouvernement Bellerive n’est donc pas du Michèle Pierre-Louis bis comme le dit le journal Le Matin mais plutôt du Préval pur et dur. En insistant pour que les fonds de la PetroCaribe qui s’élèveraient à près de 230 millions de dollars soient fiscalisés, comme le proposait avec fermeté Daniel Dorsainvil, ministre des Finances, le premier ministre Michèle Pierre-Louis précipitait la trahison du président René Préval à son encontre. Une trahison personnelle d’un homme se sentant acculé et qui en a profité pour éliminer Daniel Dorsainvil qu’il accusait de financer la campagne électorale de Michèle Pierre-Louis tout en lui tenant la dragée haute en ce qui concerne les fonds de PetroCaribe. Dorsainvil exigeait de la transparence dans la gestion de ces fonds dont 197.5 millions ont été décaissées dans le cadre du Programme d’urgence suite aux désastres survenus lors de la saison cyclonique de 2008 ainsi que la fiscalisation du solde atteignant 55 millions de dollars en Aout 2009.

Le syndrome d’hubris

Le président Préval était blessé par ce qu’il considérait être une infidélité de la part de Michèle Pierre-Louis. Il avait pu supporter les rapports de son premier ministre avec Soros. Mais il était irrité à l’idée de la voir enlacer par le redoutable Bill Clinton. Il serrait son inquiétude contre sa poitrine devant les liens solides qui se tissaient entre les deux suite à la rencontre de Miami en août 2009 et aux flammes allumées avec cette flopée d’investisseurs potentiels qui visitèrent Haïti les 1er et 2 octobre 2009. C’en était trop. Il se sentait un outsider. Il était devenu un étranger dans sa propre maison. Le Blanc lui avait ravi sa place. Et pourtant le président Préval avait essayé de changer son image. Sans prestance et sans honneur. Il avait endossé le veston et la cravate. Mais toujours pour trahir la cause du droit et de la justice.

Michèle Pierre-Louis est tombée dans le piège de Préval. Forte de ses liens d’amitié de longue date avec le président de la république, elle s’estimait à l’abri des intrigues de palais. Elle pensait donc qu’elle pouvait se lancer dans la course électorale pour 2010 étant donné que le mandat du président arrive à terme en février 2011. Madame Pierre-Louis avait oublié comment François Duvalier avait fait école avec le syndrome d’hubris dans ses manifestations les plus connues que sont les abus de pouvoir, la perte du sens des réalités, l’intolérance à la contradiction, les actions à l’emporte-pièce et l’obsession de sa propre image. Tous ses signes se retrouvent chez le président Préval à l’exception de l’obsession de sa propre image qu’il ne soigne pas particulièrement. Mais en arborant une tenue vestimentaire négligée, le président Préval essaie encore de passer pour un simple mortel afin de tromper les autres et masquer son grand amour du pouvoir.

On se rappelle encore comment Duvalier avait laissé croire qu’il allait abandonner le pouvoir pour mieux identifier les aspirants à son poste afin de les éliminer. L’une des victimes de ce vieux stratagème fut Lucien Daumec, son propre beau-frère, qu’il arrêta le 25 décembre 1963 et fusilla de ses propres mains au Fort-Dimanche en juin 1964. Michèle Pierre-Louis croyait que les institutions fonctionneraient normalement suivant les lois et règles sans nécessairement recevoir la bénédiction du président sortant. C’est justement là qu’elle s’est trompée dans un milieu politique monopolisé par les ratés qui reçoivent en surcroit le soutien de la communauté internationale estimant qu’ils sont les meilleures marionnettes pour garder leur peuple sous la domination et l’exploitation. Michèle a sous-estimé la politique féodale dans laquelle le chef choisit son successeur. Elle a oublié que les ratés ne vous ratent pas.

Un être tout-puissant obscurantiste

Mais par-delà le narcissisme pathologique des kokorats, la poursuite effrénée du pouvoir conduit au meurtre et à l’assassinat de paisibles citoyens. C’est justement le cas avec Robert Marcello, directeur du Conseil National des Marchés Publics (CNMP), disparu sans laisser de traces depuis le 12 janvier 2009. La désinvolture avec laquelle le gouvernement de Préval traite cette disparition est révoltante. Qui pouvait avoir quelque chose contre Robert Marcello ? Comme le dit sa fille Rose : « Si un reproche peut lui être fait, c’est d’avoir, malgré son pragmatisme légendaire, été trop naïf envers l’Etat haïtien, d’avoir trop cru à la décence des uns et des autres ; d’avoir cru, même parfois par delà ses négations, qu’une autre Haïti est possible. Il croit que chacun sur cette île a droit à une vie décente. » (Rose Marcello, Montréal, Canada, 5 Février 2009.) Personne n’est à l’abri avec ces monstres au pouvoir et les forces armées de la MINUSTAH qui les cautionnent et les soutiennent.

Les 230 millions de PetroCaribe sont de l’argent public. Il s’agit d’un prêt accordé à Haïti par le Venézuela pour une période de 25 ans au taux annuel de 2%. Ces fonds devraient être investis dans des activités rentables afin qu’ils puissent générer des revenus permettant à Haïti de rembourser au moment venu. Non seulement ce n’est pas le cas, mais de plus le président René Préval croit pouvoir dépenser cet argent à sa guise. Comme cela se faisait au temps du dictateur François Duvalier avec la caisse noire de la Régie du Tabac et des Allumettes. Qu’on publie dans la presse la liste, l’origine et le coût des biens et services achetés par la CNE avec les 86 millions obtenus des 197.5 millions de dollars du fonds PetroCaribe pour déterminer s’ils sont appropriés et moins chers ! L’inventivité du gouvernement en se protégeant derrière les forces armées de la MINUSTAH et les subtilités juridiques du Programme d’urgence ne peuvent pas masquer la collusion, le népotisme, le copinage, les trafics d’influence, le favoritisme, les conflits d’intérêt, les appels d’offres truqués et les processus de soumission arrangés d’avance qui sont monnaie courante dans la gestion du fonds PetroCaribe. Dans sa conception archaïque de la vie et de la société et dans son obscurantisme, le président Préval se veut un être tout-puissant qui ne peut souffrir autour de lui des ministres et collaborateurs qui posent des questions. Il a acquis ce savoir desséchant quand il était premier ministre en 1991. Devenu président, il est donc resté fidèle à cette conception primitive du pouvoir du chef. Une conception enracinée dans ses actions quotidiennes et qui se lit dans ses yeux. Dans les regards furtifs de haine échangés avec les chimères aux horizons réduits. Combien de fois le président Préval a signé un décret pendant que ses ministres en discutaient encore en plein conseil des ministres ? Sans scrupules. Préval veut encanailler tout le monde comme il l’a fait avec les sénateurs soudoyés pour interpeller Michèle Pierre-Louis. Sa prochaine cible est le système judiciaire qu’il veut mettre entièrement à son service. La fougue frondeuse des juges de la Cour de Cassation l’irrite au plus haut point et il veut avoir autour lui des gens serviles d’une loyauté inconditionnelle. Pour assurer la réussite de ce que les courtisans dans les couloirs du Palais national nomment « opération troisième mandat ».

Contre le calbindage

Les velléités d’indépendance du pouvoir judiciaire indisposent le président Préval qui veut utiliser la justice pour persécuter tous ceux qui ne marchent pas avec lui. De plus il veut pouvoir intervenir pour gracier et libérer les malfrats et gangsters avec lesquels il a établi une alliance structurelle. Au risque de se perdre. En effet, l’affaire Amaral Duclona lui revient en boomerang. Le moins qu’on puisse dire, le président Préval est à la merci des services secrets dominicains qui peuvent tout déballer s’il lui prend envie de faire à sa guise. En organisant dans six mois la destitution de Jean Max Bellerive comme on peut le subodorer avec les déclarations des sénateurs Jean Hector Anacacis et John Joël Joseph. Le président Préval avait lancé plusieurs grenades Amaral contre tous ceux qui ne voulaient pas de l’anarcho-populisme. De nombreux Haïtiens en sont morts déchiquetés par leurs déflagrations.

Mais dans le cas des diplomates français, les services secrets de l’Hexagone ont vite ramassé l’engin avant qu’il n’explose et l’ont renvoyé à l’expéditeur. La DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure, ex-SDECE — Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage), chargée des missions d’espionnage et de contre-espionnage à l’étranger, fouille dans l’épaisseur de l’histoire d’Amaral et remonte les pistes pour trouver les panneaux indicateurs menant au château fort. Le gouvernement est incapable de museler l’opinion et les vagues de la pensée sur l’affaire Amaral. Le président Préval a tellement traficoté avec ce malfrat que le procureur général dominicain est venu le questionner au Palais national.

Dans cette conjoncture malouk, ce ne sont pas les règles haïtiennes de chen manje chen qui doivent primer mais plutôt les universaux, c’est-à-dire les valeurs d’ordre universel que sont le juste, le vrai, le bien et les valeurs éthiques de base. Ces valeurs universelles promues par Aristote sont appelées à triompher en Haïti tout simplement parce que les Haïtiens sont des êtres humains. Les coutumes de trahison que certains évoquent pour ne pas appeler à la mobilisation et au levé kanpé contre l’inacceptable doivent être rejetées. Le calbindage haïtien qui considère la trahison comme l’horizon indépassable de notre temps n’est que l’idéologie d’un ordre institutionnel qui crée sa propre forme de conscience. Justement pour faire échec aux traitres et aux espions, il faut faire appel à la foule. À la multitude. Mais surtout pour ne pas continuer à reproduire un monde où dix proposent de se rencontrer pour ne retrouver qu’un seul au rendez-vous, il faut commencer par penser autrement. En dehors de la facticité, ce que les anglo-saxons nomment « out of the box ». Par un autre formatage de la conscience. Pour une pensée critique qui soit une critique de la pensée dominante du calbindage.

Le symbole du mal

Malgré tout ce que prétend une certaine propagande qui nie toute solidarité dans notre formation sociale, l’éthique existe en Haïti. À ce sujet, certains partis politiques comme le PNDPH et le RDNP ont toujours pris leur distance par rapport au gouvernement Préval. Les partis politiques, tout embryonnaires qu’ils soient, subissant les offensives du fondamentalisme prévalien qui veut être le seul à prétendre savoir comment organiser la société haïtienne, résistent à l’anarchie gouvernementale et au populisme qui lui est propre. C’est le cas avec l’OPL qui, malgré les conflits d’intérêt et les divergences d’opinion qui le traversent, reste dans l’arène politique et dans le combat pour un ordre démocratique. Plus récemment, la FUSION des socio-démocrates s’est signalée par son courage et sa conviction en disant NON au président Préval en ce qui a trait à l’offre à Micha Gaillard du poste de Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique puis de celui de Secrétaire d’État à la Réforme Judiciaire dans le gouvernement Bellerive. Le président Préval a utilisé tous les arguments et leurs contraires pour tenter de convaincre Micha Gaillard qu’il fallait le suivre dans ce voyage sanglant qu’il prépare au pays, mais ce dernier lui a opposé une fin de non-recevoir. Son parti politique — la FUSION des socio-démocrates — était plus important. Bel exemple de résistance et d’éthique face à ce symbole du mal que représente Préval. C’est l’évidence de ce mal pouvant les engloutir tous qui doit cimenter le consensus des démocrates et des patriotes.

Par contre d’autres ont ouvert grand leur porte au premier appel. Il ne faudrait pas les condamner d’un revers de main. Nous sommes conscients que « ventre affamé n’a pas d’oreilles » comme le disait Caton. D’où l’importance d’une grande alliance historique pour sortir Haïti de l’état de nécessité. Pour que les individualités puissent fleurir sans avoir le sort que le pouvoir des gangsters a réservé à Jean Dominique en Avril 2000 et auquel Michèle Pierre-Louis a échappé. Nombre de gens n’écoutent pas la voix de la raison pour dire NON au chef parce qu’ils ne peuvent pas joindre les deux bouts ou encore parce qu’ils ont peur pour leur vie. Nous charrions encore les séquelles de l’esclavage et la libre pensée n’existe pas. La réalité de l’existence en Haïti est qu’on ne doit pas oser dire NON au chef. Cela fait partie de l’idéologie haïtienne et du système de valeurs dominantes qui bloquent l’émergence d’un vrai projet émancipateur. En 1804, Haïti eut à faire reculer la raison de la force esclavagiste dominante à l’échelle mondiale. Mais le travail de libération des consciences s’est estompé sous l’offensive coordonnée des nouveaux maitres noirs et mulâtres alliés aux puissances extérieures. Le nouvel ordre international colonialiste a maudit Haïti en la maintenant sous embargo, en infiltrant ses agents secrets pour semer la division en son sein, en la criblant de dettes, en la menaçant de ses canonnières et enfin en l’occupant par ses forces armées.

Aujourd’hui la présence des forces armées de la MINUSTAH renforce les tentatives nihilistes pour faire table rase de nos références historiques en propageant l’oubli. Il s’agit pour nous de récupérer dans nos traditions, habitudes et structures, tous les éléments positifs qui peuvent contribuer à une régénération de notre potentiel de peuple libre et indépendant. Dans ce combat, pour que la taupe finisse par l’emporter, il faut être partout pour faire triompher la force de la raison. Face à un pouvoir qui n’a comme ultime arme que la déshumanisation, les démocrates et les patriotes se doivent de cerner l’obscurité par tous les moyens jusqu’à ce qu’en sorte la lumière du jour.

Soyons tous ensemble contre la terrifiante réalité d’un pouvoir qui utilise la violence des gangsters enrobée de celle des casques bleus de la MINUSTAH pour dénier aux Haïtiens leurs qualités d’êtres humains. La solution est proche : restons collés à la logique rationnelle du logos. Les leçons à tirer de l’aventure de Michèle Pierre-Louis sont importantes. Partie sur un refus d’institutionnalisation de la vie politique en croyant pouvoir gouverner en dehors des partis politiques, Michèle Pierre-Louis s’est appuyée principalement sur les forces internationales du grand capital pour se faire un espace sur un terrain politique miné. En idéalisant ces forces de la communauté internationale en lieu et place des organisations politiques, paysannes, ouvrières, syndicales, étudiantes, juvéniles et patronales du terroir, elle n’a pas réussi à ériger un solide front pour faire face au kokoratisme qui détruit les fondements dans lesquels sont enracinés les valeurs communes nationales. Le langage utilisé contre elle dès le début par les sycophantes pour qu’elle ne soit pas portée au pouvoir, les moyens employés et les mécanismes mis en œuvre pour l’en écarter renvoient à ce que disait Berthold Brecht que "le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde". Pour contrer ce fascisme qui gesticule avec ses relais médiatiques et l’appui logistique et militaire de la communauté internationale, le combat contre l’insignifiance doit s’armer d’une consistance qu’elle ne peut trouver que dans les profondeurs de notre pays.