jeudi 13 mai 2010

SANSSOUCI365: HAITI: LES DROITS DES VICTIMES DU SEISME ONT ETE VIOLES, SELON RNDDH

SANSSOUCI365: HAITI: LES DROITS DES VICTIMES DU SEISME ONT ETE VIOLES, SELON RNDDH

HAITI: LES DROITS DES VICTIMES DU SEISME ONT ETE VIOLES, SELON RNDDH

jeudi 13 mai 2010

Extrait d’un rapport publié par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) à l’occasion des 4 mois du séisme du 12 janvier 2010

Document soumis à AlterPresse le 12 mai 2010

Aujourd’hui plus que jamais, Haïti doit se doter d’un plan de protection de l’environnement axé sur le reboisement, l’assainissement, la protection et le curage des systèmes de drainage. Par ailleurs, l’éducation civique de la population doit jouer un rôle important dans la refondation du pays.

La prolifération d’abris provisoires, situés n’importe où, n’importe comment, affecte sérieusement l’image du pays. Les autorités constituées doivent élaborer et mettre en application un plan visant à redorer le blason du pays.

Les victimes du séisme végètent dans une grande misère. Les prix des produits de première nécessité augmentent en flèche. Le taux de personnes au chômage s’accroit chaque jour et les personnes, ne sachant que faire, se lancent dans la débrouillardise : petits commerces, ambulants pour la plupart, vendant toutes sortes de produits alimentaires ou non alimentaires.

La situation des personnes placées sur les sites de relocalisation empire chaque jour. Le gouvernement haïtien, de concert avec la communauté interna-tionale a attendu quatre (4) mois, pour contraindre des victimes qui occupaient certains espaces publics ou privés à se déplacer vers des sites de relocalisation. Cependant, cette relocalisation ne change en rien la situation de ces victimes sinon qu’elle l’empire. En effet, les victimes abandonnent des tentes, des bâches pour se retrouver sous de nouvelles tentes situées dans des espaces isolés où l’accès aux services de base est difficile sinon impossible. Ces sites sont non électrifiés et dépourvus de murs d’enceinte, exposant les familles dé-localisées à toutes sortes d’exactions telles que le viol, le vol, les coups et bles-sures, etc. De plus, les tentes étant exposées au soleil dans des espaces dé-pourvus d’arbres, sans espace d’ombre, les familles relocalisées sont obligées soit de se murer à l’intérieur des tentes, soit d’abandonner la zone pendant le jour.

Parallèlement, les sites de relocalisation sont situés dans des zones dépourvues d’activités économiques or, dans un pays comme Haïti où la débrouillardise constitue la règle, la relocalisation de ces personnes dans ces sites éloignés re-présente un handicap pour les responsables de familles qui sont dans l’incapacité de s’adonner à des activités génératrices de revenus.

Les tentes représentent un abri provisoire très limité dans le temps et ne peu-vent en aucun cas, être considérées comme une solution de rechange, quatre (4) mois après le séisme. A titre d’exemple, les tentes placées au cours du mois de mars sur le site de relocalisation de l’ancienne piste de l’aviation sont déjà usées par les intempéries, ce qui prouve que la relocalisation des personnes dans ces circonstances ne constitue en rien un projet viable.

Face à tous les problèmes énumérés, plusieurs familles ont abandonné le site de relocalisation. Cet état de fait laisse augurer l’élargissement ou la création d’autres agglomérations sujettes à se transformer en des bidonvilles. Les travaux d’assainissement, de nivellement de sol et de préparation des ter-rains pour accueillir les personnes victimes, annoncés par le gouvernement, avancent lentement. En effet, quatre (4) mois après le séisme, à un moment où l’Exécutif annonce vouloir tout mettre en oeuvre pour déloger les victimes qui se retrouvent dans des zones à risques d’inondation, les sites de relocalisation ne sont toujours pas prêts. A titre d’exemple, sur les sites Corail Cesselesse et Delmas 2, les travaux continuent encore alors qu’aucun des autres espaces déclarés d’utilité publique par l’Exécutif n’est encore prêt pour accueillir les victimes. De plus, le gouvernement se concentre sur la délocalisation des per-sonnes qui se trouvent dans des camps du Champ de Mars, de Pétion-ville Club en raison de leur exposition aux intempéries. Mais, pour tous ceux qui vivent dans des campements improvisés, accrochés à flanc de ravines, ou dans des régions inondables telles que Carrefour, Léogâne, Grand-Goâve et Petit-Goâve, aucun plan d’évacuation ne semble être prévu.

Aujourd’hui encore, l’intégration des personnes à déficience physique constitue un défi à relever par l’Etat haïtien. Malgré la création d’une secrétairerie, la si-tuation de cette catégorie de personnes ne s’améliore pas. Les décisions sont prises sans considération aucune des capacités physiques de ces personnes. En témoignent la disposition et l’aménagement des sites de relocalisation et des écoles. Par ailleurs, il n’est pas concevable que des agences internationales in-tervenant dans les camps, sous le label du Partenariat pour la Redevabilité Humanitaire (normes HAP), ne prennent pas compte des conditions difficiles des personnes handicapées, des vieillards, des femmes enceintes et des en-fants. Les stratégies de distribution utilisées jusqu’à date, ne garantissent en rien la participation de ces catégories de personnes. En effet, il est impossible de demander aux personnes à déficience physique de passer des heures en ligne, attendant une éventuelle distribution de produits qui souvent, sont diffi-cilement transportables.

L’aide internationale est mieux coordonnée qu’avant. Les institutions qui inter-viennent dans les camps articulent mieux leurs actions. Cependant, la situa-tion des victimes, ne s’améliore pas. De plus, les interventions des agences in-ternationales au profit des victimes du séisme, s’amenuisent de jour en jour et, la transition des victimes du stade d’assistanat au stade de personnes pouvant pourvoir à leurs besoins, se fait de manière brutale, sans tenir compte de la catégorisation des victimes.

Le RNDDH peut donc affirmer que les droits des victimes du séisme ont été violés au regard de la Charte Humanitaire et Normes Minimales pour les In-terventions lors de Catastrophes qui régit les méthodes d’interventions rela-tives à l’approvisionnement en eau, l’assainissement, la sécurité alimentaire, les abris, les services de santé, etc. Les besoins de la population affectée doivent être au centre des activités et, celle-ci doit pouvoir participer activement à l’évaluation, à la conception, à la mise en oeuvre, au suivi et à l’évaluation des programmes d’assistance.

En plus de générer des cas de corruption, le programme Argent Contre Tra-vail se révèle un fiasco pour le pays. En effet, plusieurs femmes ont dû vendre leur corps pour l’obtention d’un contrat d’embauchage et son renouvellement. De plus, la réalisation des activités issues du programme n’a aucun impact sur l’environnement et sur l’économie du pays. Les rues sont toujours sales, les égouts, toujours remplis, les gravats s’étalent aux abords des rues, obstruant la circulation et offrant un spectacle navrant aux passants. De plus, il est in-concevable que l’Etat haïtien n’ait pris aucune mesure en vue de sensibiliser la population sur les effets nocifs des ordures sur sa santé et qu’aucun plan d’assainissement n’ait été élaboré en vue de nettoyer les villes du pays.

Le sommet des Nations-Unies sur Haïti s’est révélé une réussite pour le gou-vernement haïtien et la communauté internationale, qui considèrent avoir at-teint les objectifs qu’ils se sont fixés. Cependant, la société civile haïtienne, les organisations paysannes et les partis politiques n’ont pas été consultés dans l’élaboration du Plan de Reconstruction présenté par le gouvernement haïtien au sommet.

Le 12 janvier 2010, aucune des dix-sept (17) prisons du pays ne s’est effondrée. Les dommages subis par celles-ci n’ont pas été de nature à favoriser l’évasion des personnes incarcérées aux prisons civiles de l’Arcahaie, de Carrefour, de Delmas, de Port-au-Prince, de Saint-Marc, des Cayes, des Côteaux, de Jac-mel et de Miragoâne. La juridiction de Saint-Marc mise à part, jusqu’à date, aucune mesure n’a été prise à l’encontre de ces fonctionnaires publics, auteurs et complices des évasions enregistrées dans neuf (9) des prisons du pays, qui se sont associés à des bandits dangereux pour ouvrir les portes des prisons en vue de semer le deuil et la désolation dans la famille haïtienne. Le RNDDH croit que les recommandations assorties de l’enquête menée par l’Inspection Géné-rale doivent être mises en application à l’encontre de tous ceux qui se sont rendus responsables des dégâts causés par la libération de cinq mille cent quatre vingt six (5.186) individus, parmi eux, des criminels dangereux et le dé-cès de trente-deux (32) prisonniers.

La reprise des activités scolaires se fait sur fond de contestations. Les élèves de plusieurs établissements privés et publics, n’ont pas encore repris le chemin de l’école en raison de l’occupation des locaux par des victimes du séisme ou l’encombrement provoqué par l’effondrement des établissements scolaires. Cet état de fait témoigne de la politique de deux poids, deux mesures prati-quée par les responsables du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) qui a accepté de supporter les écoles congréganistes et de laisser pour compte les écoles laïques.

Fort de tout ce qui précède, le RNDDH recommande aux autorités étatiques de :

Mettre en oeuvre une politique effective de protection de l’environnement et de former la population haïtienne sur les comportements à adopter en vue de se prémunir contre les dangers liés à la dégradation de l’environnement ; Interdire explicitement la coupe des arbres et la vente du charbon de bois ;

Instituer une brigade de protection de l’environnement et dont la mission est d’appliquer les prescrits de la Loi en matière de protection de l’environnement ;

Repenser la relocalisation des victimes du séisme du 12 janvier et offrir des abris sociaux durs en lieu et place des tentes ;

Procéder à la démolition des bâtiments inclinés suite au séisme et repré-sentant un danger pour la population ;

Prendre en compte la situation des personnes vulnérables dont les per-sonnes à déficience physique, dans toutes les interventions et porter les agences internationales à en faire de même ;

Donner une nouvelle orientation au programme Argent Contre Travail qui doit intervenir dans des projets censés, réalisés au profit de la na-tion ;

Mettre de côté la Loi du 19 avril 2010 portant amendement de la Loi sur l’Etat d’Urgence du 9 septembre 2008 et réviser leur position en ce qui a trait à la création de la CIRH ;

Donner suite au rapport de l’Inspection Générale sur les évasions enre-gistrées dans les prisons du pays après le séisme ; Saisir les juridictions concernées pour des enquêtes judiciaires approfondies sur ces cas d’évasion ;

Supporter les établissements laïques dans leurs démarches visant à rou-vrir leurs portes et relocaliser les victimes qui occupent encore les es-paces scolaires.

mardi 11 mai 2010

HAITI: RECONSTRUCTION: LE PARI AMERICAIN FACE AU DEFI HAITIEN

lundi 10 mai 2010

Débat

Par Pierre-Richard Cajuste
et Jean-Robert Hérard*

Soumis à AlterPresse le 10 mai 2010

Le « débat » passionné, qui a cours ces jours-ci autour de la constitution de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH), de par ses orientations fondamentales et son contenu insidieusement politicien, est loin de toucher le fond du problème. On a vu que certaines interventions dans les médias, purs produits des enthousiames primesautiers et du déni de la réalité existante, passent tout à fait à côté de l’enjeu politico-stratégique qui fonde la formation de cette Commission. C’est facile de tomber dans des invectives empreintes d’un fort relent de nationalisme éculé et d’éviter d’imaginer une approche plus réaliste et plus adaptée à la situation actuelle. C’est facile de vociférer et de crier haro sur le baudet de la « mise sous tutelle », d’élucubrer sur la « perte de souveraineté », de fantasmer autour de la présence sur le territoire national de prétendus Sonthonax et Polvérel !….Oui, c’est facile ! Car le contraire exigerait un effort de recherche, de réflexion, d’auto-critique et aussi… de courage politique pour admettre que la culpabilité est aussi partagée.

Le risque évident de ce piétinement théorique, de l’insipidité de ces faux débats reste le galvaudage intellectuel d’une opportunité, d’une chance – la dernière, peut-être ! – que les Haïtiens ne peuvent se payer le luxe de laisser passer. Les enjeux politico-stratégiques et opérationnels de cette Commission intérimaire revêtent une importance particulière et ne sont guère des trouvailles de dernière heure du Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki Moon, ou de l’ancien président américain Bill Clinton. Elle est la résultante d’un long processus tapissé de crises politiques, d’échecs économiques, de passions idéologiques effrénées, de despotismes, de répressions, d’interventions militaires dans l’arène politique, d’interventions de la politique dans les casernes militaires, d’erreurs de politiques stratégiques, de tactiques politiques erronées, d’ une carence de vision globale, etc… Et si aujourd’hui l’Organisation des Nations Unies semble avoir la haute main dans les affaires du pays, c’est tout bonnement parce que c’est par elle que la prise de conscience de la situation haïtienne est arrivée aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale.

Origines de l’engagement de la communauté internationale

La préoccupation de la communauté internationale par rapport à la situation haïtienne ne date pas d’hier. En ce sens que l’implication de l’ONU dans les affaires nationales haïtiennes fut une aventure politique théorique et opérationnelle menée techniquement par l’organisation mondiale qui a fini par inscrire Haïti dans ce que le philosophe appelle « le grand jeu de l’historico-mondial ». Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a dévasté une bonne partie du pays a effectivement mondialisé la cause haïtienne à un point tel que la prise en charge, l’engagement des nations donatrices et l’application du concept de « responsabilité partagée » semblent maintenant devenir des réalités incontournables. Il n’en reste pas moins que les Nations Unies se sont penchées sur le problème haïtien depuis qu’en juillet 1949 le Conseil Économique et Social (ECOSOC) de cet organisme publiait le rapport de la Mission d’assistance technique des Nations Unies auprès de la République d’Haïti. Ce rapport signé personnellement par le Secrétaire général d’alors, Trygve Lie, a salué la Mission comme « une innovation dans l’ordre des activités des Nations Unies » et comme une sorte de « prélude aux plus vastes efforts que les organisations internationales intéressées [seraient] appelées à déployer […] dans l’exécution du programme audacieux d’assistance technique aux pays insuffisamment développés ».

La question de « développement » n’a jamais été abordée ; l’impératif des crises politiques successives dans le pays a fini par gommer toute initiative de penser une nouvelle stratégie de développement. Bien que les partenaires techniques internationaux rassemblés au sein de l’ONU aient compris que cet « État en faillite » n’est pas à même de jouer ses fonctions régaliennes, il reste que la politique a damé le pion à toute autre option politique.

Les premières élections présidentielles transparentes, honnêtes et justes réalisées dans le pays ont été organisées par les Nations Unies en décembre 1990 quand la Présidente provisoire d’alors Mme Ertha Pascal Trouillot en a fait la demande expresse.

Mais le coup d’État militaire du 30 septembre 1991 qui avait renversé le Président constitutionnellement élu Jean-Bertrand Aristide et la période d’instabilité grave qui s’en était suivie, ajoutés aux pressions et sanctions internationales, ont conduit à la saisine du cas haïtien par le Conseil de Sécurité. La Résolution 940 du 31 juillet 1994 évoquait le Chapitre 7 – Haïti comme menace à la paix et à la sécurité internationales — et autorisait l’usage réel de la force en Haïti pour déloger les militaires putschistes en septembre 1994 et favoriser le retour au pouvoir du Président Aristide.

Dans la même foulée, le Conseil de Sécurité, dans la résolution 1212 de 1998, avait invité les organismes et institutions des Nations Unies, en particulier le Conseil Economique et Social, à contribuer à l’élaboration d’un programme d’aide à long terme à Haiti. Une grande première dans l’histoire de l’Organisation, en effet !

Plus tard, la résolution 1999/4 du 7 mai 1999 de l’ECOSOC qui a créé le Groupe Consultatif Ad Hoc est en ce sens très significatif puisque sa mission est de formuler des recommandations sur les dispositions à prendre pour que l’aide internationale à Haiti soit suffisante, cohérente, bien coordonnée et efficace. Toutefois, l’instabilité politique n’a permis au groupe de fonctionner seulement pendant une période de trois mois.

En 2004, après le renversement par la force du président Aristide, le Chef du Gouvernement Intérimaire, le Premier Ministre Gérard Latortue, demandait à l’ECOSOC de réactiver le Groupe Ad Hoc et le programme d’aide à Haïti. Cela a pris effet lors des Sessions de Fonds du 23 juillet 2004 et du 11 novembre 2004. Par lettre en date du 27 juin 2005, destinée au président de l’ECOSOC, le Chef du gouvernement intérimaire a fait savoir que son gouvernement a pris la disposition de constituer une cellule de réflexion stratégique, un « Think Tank », dont le mandat sera de définir le contenu du programme à long terme et de travailler en étroite collaboration avec le « Groupe Consultatif Ad Hoc. »

En réitérant cette demande, le Gouvernement Intérimaire a, sans nul doute, engagé le pays dans une autre forme de coopération sensible, dans la mesure où un organisme international est invité à préparer pour le compte de l’actuel et des futurs gouvernements haïtiens des programmes à long terme de développement. Le schéma que le Premier Ministre Latortue avait à l’esprit n’a rien à envier à la constitution de cette Commission intérimaire d’avril 2010.

Avec l’élection de Ban Ki Moon comme Sceretaire Général, l’Organisation a commencé à repenser sa stratégie en Haïti. Les divers échecs essuyés sur la question haïtienne ont poussé les décideurs à rejeter la démarche conventionnelle pour embrasser une nouvelle approche axée sur l’investissement. Ce tournant s’est inscrit dans les débats au sein du Conseil de Sécurité quand la Chine et la Russie se sont poussés en avant avec l’analyse a savoir que la question haïtienne n’est pas seulement politique mais que la situation socioéconomique du pays devrait être adressée avec autant d’urgence que de rigueur et de rationalité si l’on ne veut pas être pris au piège de cette instabilité chronique.

Alors que ce débat faisait son bonhomme de chemin dans les couloirs de cet immeuble de vert glauque surplombant l’East River, entre les diplomates échangeant, entre autres, leurs opinions sur la dernière collection printanière des complet-vestons de chez Savile Row ou de chez Brooks Brothers, des « scholars », comme l’économiste Paul Collier, sur la demande du Secrétaire General, ont voulu se prononcer sur la question haïtienne. La nomination de Bill Clinton en septembre 2009 comme Envoyé Spécial du Secrétaire Général entrait dans cette logique de prise en charge face à l’incapacité des acteurs nationaux à prendre en mains les destinées du pays.

L’on savait que Bill Clinton, comme ancien Président des Etats-Unis, allait utiliser son influence pour non seulement inciter les investissements dans le pays, mais aussi porter les donateurs à respecter les engagements pris vis-à-vis du pays. Tout semblait aller comme sur des roulettes quand la crise créée par la destitution prématurée et gratuite du Premier Ministre Michèle Pierre-Louis est venue bloquer le processus et épouvanter quelque peu les potentiels investisseurs qui avaient préalablement payé une visite guidée au Bord-de-Mer, constaté le potentiel d’Haïti et finalement envisagé l’exécution de projets dans le pays.

Le contexte post-12 janvier 2010 venait à relancer le dossier Haïti avec plus de rigueur à un moment où l’on craignait un « ras-le-bol des donateurs » vis-à-vis de la question d’Haïti. La communauté internationale est parvenue à la conclusion que les perfusions traditionnelles ponctuelles au malade ne sont pas suiffisantes, mais qu’il faut plutôt une intervention chirgucicale, drastique pour extirper les maux qui rongent le pays.

L’absence d’une doctrine de la pauvreté

Qui ne se souvient des grands débats idéologiques des années 60 sur les diverses théories de la modernisation et de la dépendance entre les théoriciens, académiciens en Occident et dans le Tiers-Monde. De Walt Rostow et Samuel Huntington à Raul Prebisch et Samir Amin en passant par André Gunder Frank, il faut croire que la Guerre Froide attisait la chaleur des grands conflits intellectuels et théoriques sur les voies du développement et de la lutte contre le sous-développement.

La décade 70-80 a connu aussi l’émergence de nouvelles théories sur le développement parmi les intellectuels marxistes et non-marxistes et sur les diverses stratégies appropriées pouvant aider les pays en voie de développement à sortir de l’ornière de la pauvreté. Toujours dans le registre de l’eschatologie marxiste, on se souviendra des grandes articulations discursives des Paul Sweezy, Paul Baran, Charles Bethleheim, et plus tard, James Petras, Irwing Kristol et consorts sur la dépendance d"un Tiers-Monde se débattant à la périphérie du centre impérial. Ce genre de discours qualifié de « progressiste » a eu ses adeptes et…ses critiques. Jusqu’à date, il fait florès dans certains milieux où l’on discute passionément sur les veines ouvertes de l’Amérique Latine dénoncées par l’Urugayen Eduardo Galeano. Un oeuvre considéré comme une sorte de Bible, de « Popol Vuh » moderne pour les militants de la gauche et même pour un dirigeant socialiste au pouvoir comme Hugo Chávez, comme l’avait été une décade plus tôt celui de Pierre Jalée sur le pillage du Tiers-Monde. Bref, nous citons cette époque parce qu’elle avait mis bas, en pleine guerre froide, une atmosphère chaude de débats politico-idéologiques hautement intellectuels, desquels les idées articulées étaient opérationnalisées et empiriquement testées et modelées dans la glaise du réel par les dirigeants du Tiers-Monde assistés des bailleurs de fonds. Il y avait des doctrines du « développement », dont la validité - ou non - pouvait être évaluée. Chaque camp – Etats-Unis et Union Soviétique - se débattait avec sa cohorte d’alliés pauvres du Tiers Monde pour chercher à tirer ses marrons du feu de ces expérimentations conceptuelles pour enfin fièrement proclamer la vérité de leur Utopie.

Aujourd’hui, le contexte n’a plus cette configuration d’échanges/conflicts théoriques sur les réalités des pays pauvres. Et pour cause. Avec la fin de la guerre froide et l’échec des programmes d’ajustement structurel prônés durant la décades 80-90 par les institutions de Bretton Woods, les pays riches se sont engagés dans une spirale de lutte contre la pauvreté dont les tenants et les aboutissants ne s’arcboutaient sur aucune doctrine scientifique, bien spécifique. Les défaites expérimentées avec l’application des théories dites scientifiques dans les pays capitalistes de la périphérie, la perversion et l’échec des initiatives marxistes-léninistes tentées par divers pays du Tiers-Monde ont conduit au constat de la réalité de la pauvreté comme marque fondamentale des pays don’t certains comme Haïti se situent nettement en dehors de l’historico-mondial capitaliste.

On a beau critiquer les manquements du système, les failles des institutions d’État, le déficit de savoir-faire, le délabrement des infrastructures –surtout après le 12 janvier 2010 – etc…on dénonce, on dénonce tout ça de manière ponctuelle, sans s’accorder sur une vision nouvelle de ce que devrait être la gouvernance politique. En un mot, il n’existe pas de corpus doctrinaire sur la thématique de la pauvreté et de l’Etat en faillite qui structure les énoncés des politiques publiques dans une sorte de paradygme scientifique qui serait le modèle, le « blueprint » à adopter et à mettre en oeuvre…Les DSRP sont-ils parvenus à cet objectif final ? Vont-ils permettre aux pays de satisfaire les objectifs du Millénaire prévus pour 2015 ? La question reste ouverte…

Dans la perspective d’arriver à un consensus universel sur la question de la pauvreté et de la bataille pour son éradication, les Nations Unies ont parrainné quatre conférences internationales qui ont créé l’espace pour l’articulation des négociations entre les pays développés et les pays émergeants en vue de ré-équilibrer l’équation de la planète. Il s’agit du Sommet du Millénaire de 2000, du Sommet de Doha (Qatar) en 2001, suivi par la confirmation des engagements des pays riches lors de la Conférence sur le financement du développement de Monterrey en mars 2002 et de la Conférence de Johannesburg de septembre 2002 sur l’environnement et le Développement Durable.

L’inévitabilité du « success story » américain

L’image du Président Bill Clinton accompagné de l’ex-président George W. Bush déambulant sur les ruines de Port-au-Prince contient une charge symbolique que l’on aurait intérêt à décrypter dans l’intérêt de l’analyse sur l’implication des Etats-Unis dans la crise haïtienne. Pareille symbolique est on ne peut plus éloquente et elle ne véhicule qu’un message : l’engagement des Etats-Unis en Haïti s’est articulé sur une base bipartisane (Démocrates et Républicains). Un genre de consensus, de « contrat politique » que la culture politique américaine généralement privilégie et chérit. Ce qui, malheureusement fait défaut chez nous.

La vénération quasi-religieuse de la Présidence en tant qu’institution fait partie intégrante de la symbolique patriotique américaine. Elle est fondamentale dans la culture politique du pays — même quand et surtout quand il s’agit d’un ancien Président. L’ethos américain ne s’accomode pas de l’échec ou de l’humiliation d’un Président en exercice ou d’un ancien Président qui continue à jouir de l’aura d’honneur dont l’a couvert la fonction éminement prestigieuse qu’il a occupée au numéro 1600 de la Pennsylvania Avenue à Washington. Ce n’est pas une mince affaire : il n’y a qu’à regarder l’apothéose, la grandeur et le faste qui entourent les fameuses inaugurations des « Libraries » des anciens Présidents, une forme muséographie présidentielle visant à faire perdurer dans l’imaginaire américain les moments forts de leur passage au Bureau Ovale. Ainsi on voit mal que l’Establishment américain, le Président Barack Obama en particulier, va laisser le Président Bill Clinton se casser les dents sur la coque dure de la réalité volatile d’Haïti. L’on dira que le passé est là qui témoigne de ces échecs successifs des Etats-Unis en Haïti. Oui, c’est un point valable ! Mais la réalité est tout autre cette fois-ci. Pourquoi ?

Pris dans le bourbier afghan et irakien, incertain des pulsions incontrôlées d’Amadinejade et des envolées lyriques d’Hugo Chávez, il n’y a au tableau que la République d’Haïti qui offre au Président Obama l’espace rêvé pour l’articulation d’une histoire de succès politico-diplomatique.

D’un autre côté, l’engagement international, surtout américain, se présente du côté haïtien comme un choix entre la solidarité intéressée des partenaires techniques internationaux et la menace d’apocalypse pesant sur le pays si les Haïtiens sont laissés livrés à eux-mêmes. L’un des signes que les choses ne sont pas les mêmes qu’en 1990 et que les allégeances politiques peuvent ne plus épouser les contours idéologiques du passé, c’est l’entente tacite entre des intellectuels et des fractions des masses populaires qui se retrouvent sur la même longueur d’ondes, dans ce partage du destin qui s’exprime comme l’exaltation sacrificielle d’une solidarité internationale.

De 2004 à nos jours, la partie haïtienne engagée dans les négociations avec l’ONU, principalement par la faiblesse patente d’une diplomatie multilatérale incohérente et/ou l’absence d ‘une compréhension réelle des problèmes et du fonctionnement de l’organisation des Nations Unies, ne s’est pas rendue compte que le pays doit enfin emprunter la voie de la « responsabilité partagée ». Bref, elle n’a pas su honorer ses responsabilités. C’est précisément ce manque qui explique que la communauté internationale a unilatéralement augmenté son influence numérique et ses responsabilités au sein de la Commission intérimaire. Ce déséquilibre se lit aussi comme l’expression d’un manque de confiance par rapport aux dirigeants haïtiens. Ce n’est pas un hasard que les médias internationaux et américains ont matraqué durant des semaines l’esprit des téléspectateurs sur les accusations de corruption et de mauvaise gestion des gouvernants haïtiens de Duvalier à nos jours. Le Président René Préval jouit de l’appui politique de la communauté internationale, certes ! Mais la « stabilité » dont se vantait le Président Préval — stabilité qui n’était autre que le silence de l’opposition traditonnellement vocale et médiatique – semble avoir pris fin…

C’est un fait qu’aujourd’hui l’« œcuménisme » du Président René Préval a sauté de toutes pièces et que les chapelles d’opposants s’éparpillent pour confesser publiquement leurs désaccords. La lune de miel étant terminée, les uns et les autres pourront user de leur pouvoir de convocation et leur capacité de nuisance pour subervertir le processus. L’espoir, dans ces conditions, est que l’intervention décisive de cette Commission intérimaire dans la réalité de la Reconstruction va coaguler le flot des passions politiciennes de l’opposition.

Le fait est que la Loi d’Urgence est irréversiblement votée et que l’existence de la Commission intérimaire est une réalité de l’heure. Que faire ? C’est la grande question pour les commentateurs. Pour beaucoup, ce nouvel espace de développement de la solidarité internationale reste une opportunité, tout en ayant à l’esprit une démarche inclusive, consensuelle la seule voie pour sortir Haïti de ce que le philosophe Bernard-Henri Lévy appelle « la nuit de la non-Histoire ». Et, c’est aussi Aragon qui nous apprend que « quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat ».

* Jean-Robert Hérard (Jeanroherard@yahoo.com) est un ex-Ambassadeur d’Haïti au Venezuela, et Pierre-Richard Cajuste (Cajuste2000@yahoo.com), ex-Délégué haïtien aux Nations Unies.