jeudi 29 octobre 2009

LE CENAREF ET LA DIASPORA HAITIENNE EN PARFAITE SYMBIOSE

Le CENAREF et la diaspora haïtienne en parfaite symbiose

Par Alexandra Jean-Baptiste

Première journée

Mieux qu’un parti politique, plus qu’une institution le Centre National de Recherche et de Formation plus connu sous son abréviation CENAREF, est en passe d’atteindre l’objectif que ses fondateurs avaient fixé il y a moins d’un an : dépasser le cadre d’une simple organisation non gouvernementale comme il en existe des centaines dans le pays. Nous disons mieux qu’un parti politique non pas pour réduire le rôle important que jouent ces organisations dans la société, loin de-là. Mais une façon de mettre en évidence le caractère particulier de ce nouveau Centre de recherche et de formation recherchant des solutions aux problématiques que confronte notre pays depuis plus d’un quart de siècle. Aussi bien, quand nous disons plus qu’une institution, il ne s’agit nullement de nier le bien fondé de nos institutions ou de celles à vocation internationale.
Nous savons pertinemment que toutes les institutions dans ce pays jouent, chacune dans leur champ de compétence, un rôle inestimable pour l’avancement démocratique et dans le développement de notre pays. En qui ce qui attrait au CENAREF, s’il n’est pas un parti politique, ses actions visent néanmoins à redonner une autre perspective à l’analyse ayant trait aux choses publiques. Etant une institution de recherche et de formation, il vise à intégrer dans ses visions de globalité, la complexité pour Haïti de trouver sa voie, de faire un choix, le choix juste et définitif comme nos voisins de la Caraïbe ou du continent, qui ont pu et su sortir du cadre de sous-développement avec un projet de société évolutif et adapté au monde global qui les entoure.
Ceci nous sert de passerelle et nous conduit à ces trois jours inoubliables que le CENAREF a permis à une grande partie de la société haïtienne de vivre en parfaite harmonie avec la diaspora haïtienne de tous les continents. En effet, en fort peu de temps, le CENAREF a déployé tout son savoir faire et les compétences disponibles en son sein pour monter un séminaire portant sur le thème : « Haïti et sa Diaspora ». Pendant trois jours, les 16, 17 et 18 octobre 2009, le Centre National de Recherche et de Formation dans un cadre agréable et une atmosphère conviviale a pu faire rencontrer les « deux mondes qui en vérité ne forment qu’un » comme nous l’a expliqué une des participants de cette exceptionnelle rencontre. Ouvert en grande pompe au Ritz Kinam II à Pétion-Ville, le vendredi 16 octobre 2009, devant un parterre de personnalités haïtiennes et étrangères et surtout en présence d’une foultitude de compatriotes venus de partout de la diaspora, le séminaire « Haïti et sa Diaspora » ne pouvait mieux commencer.
Les gens pour lesquels l’initiative a été prise étaient là, ces Haïtiens vivant à l’étranger. Ils venaient du Canada, des Etats-Unis d’Amérique, de France, de la Suisse, de l’Espagne, de la République Dominicaine, de la Jamaïque, bref de partout. Ils étaient là, non pas comme à l’ordinaire, pour faire du tourisme mais, chose la plus surprenante, pour travailler. Car, le but de leur voyage était justement de venir dans leur pays d’origine pour prendre part à un séminaire leur concernant. Et ce sont eux qui devaient plancher pendant deux jours consécutifs pour produire un document final devant intégrer un projet de société capable de sortir ce pays du marasme dans lequel nous vivons tous y compris eux étant les fils à part entière de cette terre léguée par nos Aïeux.
Comme il se doit, l’ouverture du séminaire se faisait sous la roulette de son coordonnateur principal, le professeur Jean-Joseph Moisset de l’université Laval au Québec. Charmeur et fair-play, le professeur Moisset avait trouvé le ton juste pendant tout le séminaire pour imposer un style simple en même temps sérieux ce qui a fait en partie le succès inattendu de cette première du genre pour le CENAREF.

Après le discours du Président du Conseil d’Administration du CENAREF, l’ambassadeur Hermogène Durand expliquant le pourquoi de ce séminaire sur la diaspora et avec la diaspora, il était venu le moment de passer la parole au fondateur et Coordonnateur général du Centre National de Recherche et de Formation, l’ancien Premier ministre, Jacques Edouard Alexis de prononcer sa Conférence d’ouverture du séminaire. Dans son allocution générale, il a mis l’accent sur les maux qui rongent ce pays. M. Alexis n’a pas oublié de rendre un hommage appuyé aux apports et aux contributions de plus de deux millions d’haïtiens vivant à l’étranger dans le développement global du pays.
Pour le Fondateur du CENAREF, ce premier séminaire organisé par son institution revêt d’un caractère particulier dans la mesure où l’Etat ne peut plus oublier la participation des membres de la Diaspora dans la mise en place d’une vraie politique publique à tous les niveaux. Il se réjouit de la présence à ce séminaire d’un nombre élevé d’Haïtiens de différents milieux, de disciplines intellectuelles et socioprofessionnelles différentes. Naturellement, il s’en est félicité que d’autres acteurs locaux et de la société civile aient pu répondre sans hésitation à venir apporter leurs contributions à cette démarche citoyenne à la recherche de solutions pour le bien de notre patrimoine commun.
En ce premier jour du séminaire, il n’y a pas eu beaucoup d’interventions outre l’intervention clé de l’ancien Premier ministre. Un représentant du ministère des Haïtiens vivant à l’étranger (MHAVE), devait intervenir brièvement sur l’enjeu de ce séminaire sur la diaspora et en a profité pour rappeler aux membres présents de la diaspora qu’ils étaient chez eux en Haïti. Enfin, avant de donner rendez-vous à l’assistance au siège du CENAREF à Pacot, le lendemain, pour les travaux pratiques proprement dits, le maître de cérémonie, le très sympathique professeur Moisset, invitait le public à un Cocktail où, autour d’un verre de l’amitié et de la fraternité, les Haïtiens du dedans et ceux du dehors ont pu faire de plus amples connaissances tout en échangeant leurs cartes de visites.

Deuxième journée

Le deuxième du jour du séminaire était un jour spécial. Nous étions le samedi 17 octobre 2009 rappelant à tous les Haïtiens, d’où qu’ils se trouvent, l’anniversaire de l’assassinat du fondateur de l’Etat haïtien, l’Empereur Jean-Jacques Dessalines. Avant même l’ouverture des travaux à la salle plénière, une minute de silence a été observée en mémoire de notre libérateur. En suite, ce fut la reprise des activités avec une succession d’interventions, toutes faisant référence au thème du premier panel s’intitulant : Vision, quel projet de société pour Haïti ? Les trois panélistes étaient des membres dirigeants du CENAREF, M. Jean-Joseph Moisset, l’ambassadeur Raymond Valcin et M. A. Azaël. Ces trois interventions ont été suivies des débats assez enrichissants. Le débat devait se poursuivre dans les ateliers repartis en trois groupes distincts où, à la fin des discutions, une synthèse devait être tirée de chacun des trois groupes dirigés par un Président et un secrétaire-rapporteur.

Après la pause déjeuner, les travaux devaient reprendre toujours sur le même principe. Le thème du deuxième panel avait pour titre : Les attentes de la diaspora. Cette séance plénière était extrêmement chargée avec pas moins de neuf intervenants représentant les quatre grandes régions du monde où se repartît la diaspora haïtienne. Pour le Canada l’on avait MM. Guy Laroche et Milose Jean-Baptiste, les Etats-Unis étaient représentés par Mme. Kettlen Félix et le Dr Jean-Baptiste Charlot. Pour l’Europe c’est M. Romel Louis-Jacques qui a représenté la Communauté haïtienne de France et des Antilles françaises. M. M.A. Archer pour l’Espagne et pour la Confédération Helvétique (Suisse) M. C. Ridoré. Enfin, la région Caraïbe s’était distinguée par Mme. Désulmé, la fille du feu Thomas Désulmé pour la Jamaïque. Quant à la plus grande communauté haïtienne derrière les USA, la République Dominicaine, elle était représentée par l’un des plus actif et des plus connus militants de ladite communauté, le père Edwin Paraison.
Il faut dire que l’assistance ne pouvait être mieux servie. Ce fut le gratin de ces communautés qui avaient fait le déplacement au nom de leurs compatriotes expatriés pour venir dire leurs attentes à nos dirigeants, aux élus nationaux, locaux et au pays en général. Tous ont su brillamment et dans une cohérence et unanimité à la limite d’une concertation préalable, défendre et apporter les arguments et les propositions afin que demain plus rien ne sera comme avant. Ils ont mis l’accents sur beaucoup de choses et posent en premier lieu la reforme de notre diplomatie qui, selon eux, est quasi inexistante depuis des lustres. Ces interventions ont aussi suscité beaucoup de débats lors des ateliers qui ont suivi la plénière. Les conclusions de pratiquement tous les ateliers de cette thématique des attentes de la diaspora ont toutes portées sur une plus grande responsabilité de nos politiques pour changer l’image du pays à l’extérieur.

Troisième journée

Le dimanche 18, le dernier jour de ce très éducatif séminaire, s’est ouvert sur une autre thématique titrée : Les attentes du pays et de ses dirigeants. Là aussi, salle comble. Devant un auditoire attentif, les quatre panelistes ont été à la hauteur de l’attente des organisateurs et du public. En premier lieu, l’ambassadeur Hermogène Durand du CENAREF, parlait en homme d’expérience pour dire ce que le pays devait attendre de ses ressortissants vivant à l’étranger. Vint ensuite le professeur Rosny Desroches au nom de la Société civile. En tant qu’homme politique, il a mis les pieds dans le plat pour dire le rôle et la responsabilité des dirigeants haïtiens et ce que ces derniers et le pays doivent attendre de la diaspora. Quant à l’économiste en chef de la Sogebank, M. Pierre-Marie Boisson prenant la parole au nom du Secteur productif haïtien, par une magistrale démonstration et sans pédantisme et de manière très pédagogique, il a réalisé l’exploit de mettre tout le monde d’accord sur la nécessité de changer le « Paradigme » économique du pays.
Dans un exercice de politique économique comparative vis-à-vis de notre voisin dominicain durant ces vingt dernières années (1988-2008), le résultat est peu flatteur pour Haïti. Enfin, c’était autour du professeur Jacky Lumarque, Recteur de l’université Quisquéya de fermer ce troisième et dernier panel représentant le Secteur universitaire. Dans une intervention assez élaborée englobant la gestion politique et sociale, sans oublier de poser la problématique de l’université en général et celle d’Haïti en particulier relatif à la crise que traverse cette dernière, M. Lumarque a en quelque sorte débuté le débat qui devrait s’ouvrir dans ce domaine. Ces quatre importantes contributions, comme l’on s’y attendait, avaient donné le top départ pour les trois ateliers portant sur les attentes du pays et de ses dirigeants vis-à-vis de la diaspora.
Là encore, il n’y a pas eu de surprise sur les rapports des ateliers. Tous font état de la mauvaise gouvernance des choses publiques et réclament un changement en profondeur quant à l’application de la politique publique. Après une courte pause, tout le monde devait entrer en salle plénière pour entendre les synthèses de chaque atelier durant les deux jours de travaux axés sur le nouveau rapport que devrait avoir l’Etat d’Haïti envers ses deux millions d’Haïtiens vivant en terre étrangère. C’est le coordonnateur du séminaire, le professeur Jean-Joseph Moisset, qui devait, par une longue résumée des différents rapports d’ateliers, mettre en contexte l’attente des deux partenaires : CENAREF-Diaspora et le but réel d’une telle démarche. Brillamment synthétisé, l’ensemble des débats a été mis en lumière suivant les recommandations, les propositions et les attentes de part et d’autres des acteurs.
Enfin, le discours clôturant ces trois jours de travaux au Ritz Kinam II et au siège national du Centre National de Recherche et de Formation devait être prononcé par le Fondateur du CENAREF, M. Jacques Edouard Alexis qui, dans une allocution à forts accents politiques, laisse entendre que le moment était venu pour qu’on arrête de jouer avec l’avenir d’Haïti. Selon le Coordonnateur général, en tant que citoyen, il prendra la place qui lui revient pour engager le pays sur la voie du changement véritable.
Il prône une autre approche de la gestion publique et politique restant le levier moteur pour toute action allant dans le sens du progrès. Cette première grande manifestation socioculturelle publique du CENAREF demeurera certainement dans les annales de la diaspora. Certes, ce n’est pas la première et certainement pas la dernière conférence de ce genre qui soit organisée au nom de la diaspora, ce qui fait la particularité de celle-ci c’est l’implication concrète et effective des gens ayant pris part à ce séminaire qui fera toute la différence. Signalons pour finir, que toutes les contributions relatives à ce séminaire donneront lieu à une publication spéciale sous le titre : les actes du séminaire Haïti et sa Diaspora qui paraîtra bientôt.

mardi 27 octobre 2009

LES ELECTIONS PRESIDENTIELLES DE 2010 ET LA DEMANDE DE COMMUNICATION SOCIALE EN HAITI

lundi 26 octobre 2009

Débat

Par Leslie Péan

Soumis à AlterPresse le 25 octobre 2009

La coalition nationale et internationale qui s’assure qu’Haïti serve de mauvais exemple à ne pas suivre par les peuples en lutte pour leur émancipation, se prépare encore à organiser « la déroute de l’intelligence » aux élections de 2010 avec le « Conseil Electoral Provisoire (CEP) » créé par le président René Préval. Les troupes armées des Nations Unies sur le sur le terrain encadrent cette entreprise. Les services secrets sont en alerte et activent leurs agents pour semer la division entre les Haïtiens par leurs techniques traditionnelles de désinformation et de diffamation dans la presse sous leur contrôle. Il s’agit de tenter d’abattre tous ceux qui sont engagés dans le combat pour faire triompher le droit qu’ont les Haïtiens d’être maitres chez eux et de ne pas accepter la continuation de la politique de malheur de la communauté internationale en Haïti. Depuis vingt ans, les maigres résultats des différents CEP indiquent en clair que l’organisme électoral a remplacé l’armée dans la falsification des scrutins. Le résultat est une baisse de la participation électorale, révélatrice d’une communication sociale difficile pour ne pas dire impossible.

En France, les élus au corps législatif doivent avoir au moins un quart des électeurs inscrits pour que leur élection soit valide. En Haïti, à défaut de cette loi, il existe un quorum social qui condamne la corruption du CEP en dévalorisant les mal élus. La liste des procédés de corruption est trop longue pour en faire une énumération exhaustive, mais on peut mentionner les achats de vote, le clientélisme, le trafic d’influence, les urnes bourrées, les mauvais décomptes, les bulletins valides déclarés nuls, le financement des campagnes par les narco-trafiquants, etc. Les élections tournent à la mascarade et/ou au coup de force. Les dirigeants mal élus sont une source d’insécurité, d’instabilité et de blocage de la communication sociale. Pratiques douteuses et combines de toutes sortes - comme celles qui ont marqué les dernières élections législatives partielles de Juin 2009 - en témoignent. En clair et surtout dans le domaine de la sécurité, l’élimination de facto des forces armées haïtiennes, depuis une quinzaine d’années, n’a pas amené la paix sociale et le consensus auquel s’attendaient ceux qui avaient pris cette décision. Comme dans d’autres domaines, la proie a été lâchée pour l’ombre.

La conséquence la plus catastrophique des élections frauduleuses en Haïti, depuis celles de l’Assemblée Constituante du 18 décembre 1806, est la fragilisation du capital social déjà faible du pays. La corruption électorale, résultant d’une mauvaise gestion du pouvoir, produit non seulement turbulences après turbulences, mais surtout moins de sécurité et à des coûts sans cesse croissants, sans commune mesure avec la capacité des finances publiques. Il y a là une contradiction que les pouvoirs décadents essaient aujourd’hui de gérer par l’occupation armée des forces onusiennes. Une solution illusoire.

L’appropriation frauduleuse du pouvoir a une autre conséquence non moins désastreuse sur les comportements. C’est la bifurcation du marronnage. A travers ce prisme, les dominés tentent d’éviter, même dans l’imaginaire, les contraintes qui leur sont imposées par le pouvoir corrompu des dominants. La raison d’être de cette conduite de marronnage est l’exigence de soumission des régimes despotiques qui refusent des conditions d’existence minimales à la majorité de la population.

Un ancien premier ministre haïtien comparait l’imbroglio haïtien à des « spaghetti ». Il ne croyait pas si bien dire, tout en refusant d’essayer de démêler ces « spaghetti » pour qu’ils soient présentables dans l’assiette sociale. À la lumière des « chirépit » qui peuplent notre univers, on ne saurait lui en vouloir. C’est un travail de longue haleine qu’il n’a pas voulu commencer. Car, et c’est là toute la singularité haïtienne, les dominants du système socio-politique, à leur tour, utilisent le marronnage pour empêcher la moindre institutionnalisation favorable à la majorité. Les chefs agissent comme si le pays était leur patrimoine privé, prennent les décisions publiques sans consulter personne. L’aphorisme se pa fot mwen traduit cette absence de responsabilité et de pouvoir des démunis devant leur sort. Avec ce bluff permanent, il ne peut y avoir aucun gagnant. La tâche est sisyphéenne tant les contradictions sont innombrables.

L’historienne Suzy Castor s’est récemment penchée sur le principe du marronnage à géométrie variable qui régit la société haïtienne. Elle écrit : “Aujourd’hui, à l’heure des communications modernes, le marronnage se manifeste de multiples façons et adopte des formes grossières ou raffinées de faire semblant, de faux fuyants qui innervent toutes les interstices de notre vie sociale et politique et transforme notre pays en un royaume de faux semblants.” [1] Suzy Castor va à l’essence de ce que j’ai nommé « État marron » et que j’articule dans une démarche théorique pour approcher l’étude du système socio-politique et économique en vigueur en Haïti. Pour de plus amples développements, on se réfèrera à notre ouvrage L’État marron 1870-1915 et à l’introduction de notre dernier ouvrage Aux origines de l’État marron en Haïti 1804-1860. [2]

Le marronnage refuse l’ordonnancement postcolonial de la vie tout en prétendant l’admettre. Les exclus justifient leur marronnage par leur impossibilité de montrer leur désaccord face à l’autorité. Le marronnage est au cœur des stratégies inventées par la majorité pour garder une ration de pouvoir, même illusoire, dans l’échange social. Pour préserver une partie de leur dignité. Mais ce marronnage de la base est perverti et récupéré par l’Etat qui s’applique à réprimer les aspirations des masses au mieux-être. Le président Préval, en chef de gang et de guerre, l’explique sans ambages en clamant ke li koule anba yo. De manière plus générale, le marronnage de l’État se manifeste de plusieurs façons dont les plus importantes sont les prétentions de l’Etat au niveau des textes juridiques, circulaires, arrêtés, lois et actes visant à la gestion de l’espace rural et urbain ainsi que des moyens de subsistance de la population. L’une des formes de ce marronnage du pouvoir est le populisme qui agite le drapeau du peuple pour mieux combattre le peuple. La récente décision du président Préval de jouer les CASEC et ASEC contre les partis politiques illustre cette manière de faire. C’est ainsi que Sténio Vincent avait fait en 1935 avec un referendum pour confisquer tous les pouvoirs. C’est ainsi aussi que fit François Duvalier en 1961 pour se donner un autre mandat et, en 1964, se déclarer président à vie. Préval est donc en bonne compagnie.

Dans sa fuite pour ne pas prendre ses responsabilités, l’Etat marron utilise la délinquance pour s’allier aux gangsters, combattre les partis politiques et donner le pouvoir aux kokorat (chimè). Dans les marges de la légalité, l’État marron assure la docilité de la population avec la profusion des illégalismes. On le voit au niveau écologique avec la coupe anarchique des arbres, aboutissant à une couverture végétale de moins de 1 pour cent pour le territoire haïtien. [3] On le voit aussi au niveau des carrières de sable au morne l’Hôpital où l’État est dans l’incapacité de mettre fin à l’exploitation sauvage des 700 camions qui charrient sable, roches et remblais alimentant 40% de la demande totale des chantiers de construction de la capitale. On le voit enfin au niveau de l’urbanisme où le développement de bidonvilles autour de la capitale s’est fait avec la complicité des autorités gouvernementales au cours des trente dernières années sans considération pour le Plan-Programme de Développement de la Zone métropolitaine de Port-au-Prince servant de schéma directeur. Dans les trois cas, l’absence de l’État est manifeste. Tout comme la bidonvilisation fait partie de l’ordre urbain, l’informel est constitutif du formel et le supplante dans l’organisation de l’espace, de la vie et du corps social.

Le gouvernement Préval refuse d’établir le bilan de l’échec de l’anarcho-populisme, tout en faisant semblant de s’en distancer comme à l’occasion du discours du 17 octobre dernier. Il ne le peut, car c’est son fonds de commerce. Le pouvoir refuse d’entendre les appels à une incontournable conférence nationale. Le président Préval se laisse guider par la conception primitive du chef qui veut avoir autour de lui que des laudateurs. On est vraiment loin d’un Obama qui fait de Hillary Clinton, une adversaire pourtant coriace, le deuxième personnage de son gouvernement. Loin de leurs apparences débonnaires, les idéologues de l’anarcho-populisme ont toujours raison. Aussi bien hier quand ils faisaient campagne pour le contrôle du CEP afin d’organiser les fraudes électorales, qu’aujourd’hui où, déçus, ils contestent les résultats de l’anarcho-populisme, sans faire leur acte de contrition. D’où un fossé infranchissable bloquant la communication sociale.

Le règne du faux-semblant commence là, avec le chef, le président, qui se veut au-dessus des lois, n’ayant de comptes à rendre à personne. Le règne du faux-semblant continue avec la population qui laisse croire au chef qu’il est tout puissant tandis qu’il le méprise. Aujourd’hui, la contradiction antagonique de l’État marron vient du fait qu’il ne peut plus s’imposer par la force des baïonnettes nationales. Il lui faut des baïonnettes étrangères, américaines puis onusiennes, pour tenter de se donner une respectabilité. Une légitimité. Ces dirigeants marronnent pour tenter de masquer leur incompétence au cœur d’une machine de prébendes et de contrebandes, et constamment au bord de la faillite. Le président Préval va jeter des larmes de crocodile à Marchand Dessalines le 17 Octobre 2009 tout en justifiant la présence des forces armées de la MINUSTAH. Comme la Bible nous l’apprend dans le cas de l’apôtre Pierre face à Jésus, le lendemain matin, les coqs ont chanté trois fois dans les basses-cours de l’Artibonite pour consacrer ce reniement.

Le chef, n’étant pas responsable de ses actes devant la loi, l’irresponsabilité se propage à travers la population. Aucune communication réelle n’est possible avec le marronnage car les échanges d’opinions et d’informations entre les personnes ne peuvent aboutir à une meilleure maitrise des choses puisque les informations sont fausses. En effet, la communication sociopolitique suppose une exigence de vérité dans les discours qui s’échangent.

Un levier d’Archimède pour Haïti en 2010

À un moment où il est question de révision de la Constitution, une solution au mal makak d’une société qui exclut les vaincus, pourrait être l’institutionnalisation de la représentation proportionnelle ne faisant ni vainqueurs ni vaincus dans la compétition politique. Les élections ne seraient plus des moments de clivage et de division mais deviendraient alors des périodes de renouvellement du consensus autour du minimum de voix nécessaire pour un parti politique afin d’avoir des représentants au sein du parlement et du gouvernement. Les motivations seraient fortes pour « abandonner les faux semblants » puisque tout moun jwenn. De cette manière, une motivation additionnelle serait donnée aux partis et regroupements politiques pour qu’ils s’agrègent afin de simplifier les techniques électorales et d’ouvrir le système politique sur un horizon démocratique dans lequel la compétition est omniprésente.

Plus encore que pèlin tet, cette belle expression de Frankétienne, le poète Kiki Wainright a su faire un agencement de mots d’une grande valeur, ciselant ces expressions créoles d’une grande rareté, pour donner écho à la solitude haïtienne sous le poids des dictatures. Il écrit : “Sou kòf lestomak peyi-m/yon gwo lagoum lamizé /refize detache /chak kou peyi-a touse /lemond antye tande.” [4] En effet, toute la planète écoute le bruit de nos turpitudes. La réponse du monde entier est d’une éloquence assourdissante avec les troupes armées de la MINUSTAH venues de partout pour donner des ailes à un pouvoir stérile et castrateur des hommes et des choses. En cas de LEVE KANPE, la mafia nationale et internationale osera-t-elle assassiner des milliers de jeunes qui veulent dire NON à Préval et à ses élections truquées ?

L’après-Préval est un souci légitime à maints égards. À moins de bien s’y prendre et de laisser toutes les voix descendre dans l’arène pour dire NON, l’après Préval sera encore Préval. Car la mafia nationale et internationale qui a mis son grappin sur Haïti bloque les avenues du changement. Cette mafia est contre aussi bien le développement de l’entreprise privée que contre le développement d’une alternative populaire sérieuse. Avec elle, d’un côté, il ne peut pas y avoir d’Haïtiens riches (surtout pas de Noirs comme le montre si bien Richard Morse dans son récent texte sur le mulatrisme) intégrés au milieu national et partisans d’une accumulation nationale. De l’autre, il ne faut pas également qu’il y ait une alternative démocratique basée sur un modèle de gestion transparent de l’Etat. Dans cet entendement raciste, les élites haïtiennes ne peuvent être que répugnantes (MRE). Il faut combattre aussi bien les patrons consciencieux que les ouvriers qui sont leurs partenaires. Le point d’appui et le levier d’Archimède que pourrait constituer la diaspora pour trouver un nouveau souffle au pays, indépendamment des bailleurs de fonds traditionnels et du statu quo, est négligé par les tenants du pouvoir. Ces derniers préfèrent mendier auprès des Blancs que de faire un compromis historique avec leurs propres compatriotes.

L’échéance de 2010 est capitale pour une génération qui a assisté à la dissolution en miettes d’un rêve de construction d’un autre pays après 1986. Comment s’y prendre ? D’abord et surtout, il ne faut pas faire de sacrifices inutiles et se lancer dans des actions suicidaires. Nous pouvons apprendre beaucoup en ce sens de nos voisins dominicains. Ils ont combattu pour de grands idéaux. Ils ont eu leur occupation des forces américaines en 1965. Ils ont combattu. Puis ils ont eu la répression contre le groupe révolutionnaire de Amaury German Aristy en Janvier 1972 et la débâcle de l’opération étoile de Francisco Caamaño en février 1973. Ils ont encore combattu. Malgré l’échec de Playa Caracoles près d’Azua, la mort de Caamaño a galvanisé les consciences des militants du PRD aboutissant à leur victoire électorale en 1978 et à leur implantation nationale définitive au firmament politique de leur pays. La répression a causé une rupture historique au sein du PRD mais les revendications populaires ont aussi fait leur chemin au sein du PLD, le nouveau parti de Juan Bosch. L’oligarchie a dû reculer même si elle a pu se mobiliser pour bloquer la victoire présidentielle de Peña Gomez en 1994 et 1996. La société dominicaine connait une stabilisation et un taux de croissance qui font rêver Haïti. Vingt ans plus tard, l’avenue du Presidente Caamano est inaugurée à Santo Domingo.

Apprenons d’eux et luttons pacifiquement pour que les élections de 2010 inaugurent une ère de communication entre les Haïtiens. Sans exclusive et sans revanche.

[1] Suzy Castor, “Abandonner les faux semblants : Une nécessité de l’heure”, AlterPresse, P-a-P, Haiti, 28 septembre 2009, http://www.alterpresse.org/spip.php.... Voir aussi Le Nouvelliste, P-a-P, Haïti, 30 septembre 2009.

[2] Leslie Péan, Haïti — Economie Politique de la Corruption, Tome 2, L’Etat marron (1870-1915), Editions Maisonneuve et Larose, Paris, France, 2005. Voir aussi Leslie Péan, Aux origines de l’État marron en Haïti 1804-1860, Editions de l’Université d’Etat d’Haïti, P-a-P, Haïti, 2009, pp. 17-18.

[3] FAO, Situation des forêts du monde, Rome, Italie, 1999.

[4] Frantz Wainwright, Nan Tan Malouk, Educa Vision Inc., Florida, 2003.