vendredi 31 octobre 2008

VOTE OBAMA: LES ELECTEURS BLANCS POURRAIENT FAIRE MENTIR LES SONDAGES

http://www.monde-diplomatique.fr/2008/11/KEISER/16442
novembre 2008 - Article inédit

Vote Obama : les électeurs blancs pourraient faire mentir les sondages
Par Richard Keiser

La course à la présidence américaine est-elle déjà terminée ? Les Etats-Unis vont-ils bientôt élire leur premier président afro-américain alors que des nations européennes telles que le Danemark ou la France éprouvent encore des difficultés à convaincre leurs citoyens de couleur qu’ils ne sont pas une population de deuxième catégorie ? Les instituts de sondage ont peut-être raison d’annoncer que les Etats-Unis vont franchir une étape historique. Mais, quand des électeurs discutent en tête à tête avec des journalistes, leurs réponses se révèlent moins optimistes que les sondages. Dans un article publié le 13 octobre, le New Yorker résumait des entretiens avec des électeurs blancs de milieux populaires résidant dans l’Ohio. Un bon nombre d’entre eux ont soutenu Mme Hillary Clinton pendant les primaires mais ont laissé clairement entendre qu’ils ne voteraient pas pour M. Barack Obama. Dans la mesure où ces sondages d’opinion sont loin de la démarche scientifique des instituts de sondage, ces interviews ont peu de choses à nous apprendre. Néanmoins, la proximité plus grande de ces entretiens pourrait bien générer des réponses plus authentiques que « socialement désirables ».

En novembre 1989, des enquêtes du Washington Post réalisées à la veille du scrutin annonçaient un avantage de 11 points contre 9 pour M. Douglas Wilder, le candidat démocrate afro-américain au poste de gouverneur de la Virginie. Des sondages à la sortie des urnes lui avaient également prédit une avance de 10 points. Finalement, son adversaire républicain Marshall Coleman ne fut devancé que d’un demi-point de pourcentage.

Le même phénomène s’est produit pendant les élections municipales des trois plus grandes métropoles américaines, New York, Chicago et Philadelphie. Les défections des électeurs blancs supposés favorables au candidat noir et le nombre disproportionné de votants hésitant encore à donner leurs voix au candidat blanc se soldèrent par la victoire beaucoup plus serrée que prévu des candidats afro-américains. En 1989, des sondages effectués juste avant les élections municipales avaient prédit une avance de 14 points de pourcentage contre 10 au premier maire afro-américain de New York David Dinkins. Mais son avantage réel n’a été que de 2 points de pourcentage.

En 1983, pendant les deux semaines précédant la victoire du premier et unique maire afro-américain de Chicago démocratiquement élu, Harold Washington, ce dernier dépassa son adversaire de 14 points. Mais il finit par remporter le scrutin avec une marge à peine supérieure à 3 %. Si sa candidature inédite généra une considérable augmentation du nombre d’inscrits noirs sur les listes électorales de Chicago, elle engendra aussi une poussée équivalente des inscriptions d’électeurs blancs. La candidature de Washington donna finalement une écrasante majorité de 88 % du vote blanc à un candidat républicain peu connu, dans une ville qui avait toujours élu des démocrates depuis les années 1920.

A Philadelphie, autre ville majoritairement démocrate dont la population afro-américaine représente 40 % du nombre total des électeurs, un technocrate irréprochable ayant longtemps fréquenté l’église — Wilson Goode — fut le premier Afro-Américain à diriger la ville. Même ce candidat au-dessus de tout soupçon et ne suscitant aucune crainte fut incapable de capter plus de 23 % du vote blanc de Philadelphie, soit un tiers des voix allant traditionnellement aux démocrates. Ces élections se sont toutes déroulées après le fameux scrutin californien de 1982 qui vit le gouverneur afro-américain Tom Bradley, que les sondages prédisaient vainqueur, perdre de très peu contre son adversaire républicain George Deukmejian. Des explications autres que le facteur racial avaient alors été évoquées pour expliquer sa défaite, ce qui n’a pas été le cas pour les autres scrutins. Il se peut que les électeurs blancs mentent aux instituts de sondage, qu’ils changent d’avis à la dernière minute ou que les enquêtes soient conçues de telle sorte qu’elles sous-estiment le nombre d’électeurs fermement opposés à des candidats noirs. Il n’en demeure pas moins que les sondages impliquant des candidats noirs révèlent des anomalies persistantes.

Il est vrai qu’à la fin du XXe siècle et dans la première décennie du XXIe siècle de nombreux Afro-Américains furent élus au Congrès ; toutefois nous avons entendu peu d’histoires rappelant ce qui a été qualifié d’ « effet Bradley ». Mais peut-on comparer les fonctions de sénateur à celles de maire ou de président ? Se pourrait-il que les électeurs blancs craignent plus d’élire un Afro-Américain au poste de maire ou de gouverneur qu’au Sénat ou à la Chambre des représentants ? Et quid de l’élection d’un président afro-américain ? Chez les plus craintifs, l’élection d’un président noir peut-elle provoquer des niveaux d’anxiété sans précédent ?

Les psychologues qualifient cette attitude faussement candide des électeurs prétendant soutenir un candidat noir mais agissant différemment dans les isoloirs de « préjugé de désirabilité sociale » (social desirability bias) : les sondés fournissent des réponses perçues comme politiquement correctes et « socialement désirables », c’est-à-dire conformes à ce qu’il est bon de dire. Ainsi les électeurs prétendent vouloir voter pour un candidat afro-américain car toute autre réponse serait jugée déplacée, voire raciste, notamment lorsque ce candidat a été adoubé par leur propre parti. Il est donc vraisemblable que des électeurs déclarant vouloir voter pour M. Obama ne disent pas toute la vérité.

Considérant le silence qui a plané sur la question raciale durant la campagne présidentielle, il pourrait être « socialement indésirable » d’oser évoquer même la possibilité d’une défection massive des électeurs de M. Obama. Un groupe d’experts se sont alignés sur l’avis de l’ancien aide de campagne de Mme Clinton qui a déclaré le 5 octobre dernier que la course à la présidence était terminée et que M. Obama ne pouvait pas perdre.

Mais, à moins de deux semaines du scrutin, au moins dix Etats comptent suffisamment d’électeurs indécis et enregistrent une marge d’erreur suffisamment importante pour que M. John McCain y remporte la victoire. Selon les sondages, le Colorado, la Floride, l’Iowa, le New Hampshire, la Caroline du Nord, l’Ohio, le Missouri, la Virginie, la Virginie-Occidentale et la Pennsylvanie restent encore très indécis. Si M. Obama remporte la Pennsylvanie et l’Iowa et que les électeurs indécis se rangent massivement du côté de M. McCain dans les autres Etats, c’est ce dernier qui l’emportera. Si M. Obama gagne dans le New Hampshire aussi, il y aura égalité du collège électoral.

Considérant la combinaison de deux facteurs, le fait que le candidat soit afro-américain et qu’il brigue le poste le plus important des Etats-Unis, l’histoire et le bon sens suggèrent que les électeurs blancs se déclarant encore indécis après une si longue campagne électorale voteront contre M. Obama quand ils seront seuls dans leur isoloir, loin du jugement des instituts de sondage.