jeudi 19 mars 2009

LE MINUSTHA ET LE DROIT INTERNATIONAL DE L'OCCUPATION...

La MINUSTAH et le droit international de l’occupation : Quel statut juridique pour Haiti ?

jeudi 19 mars 2009

Par Franginen / Collectif Solidarité Identité et Liberté (KSIL)

Soumis à AlterPresse le 18 mars 2009

De manière progressive le Conseil de sécurité des Nations Unies a été amené à intervenir dans les crises intra étatiques au motif qu’elles constituent des menaces pour la paix et la sécurité internationale. Une telle qualification est l’objet de grandes controverses malgré une évolution vers une certaine acceptation de l’approche interventionniste. En effet en regard des critères classiques, il n’est pas du tout évident que ces situations répondent aux conditions d’envoi de missions de paix. Se pose alors la question de la légitimité et de l’opportunité de la saisine du conseil de sécurité de même que la nature et la portée des mandats confiés. Chaque situation est alors l’objet d’appréciations empiriques au cas par cas, laissant une large place à l’innovation et même à l’improvisation : « La similitude entre l’occupation militaire, telle que la conçoit le droit international humanitaire, et certaines opérations des Nations Unies a été soulignée par la doctrine 1. Ces opérations impliquent le déploiement de forces internationales sur un territoire donné dans un contexte bien souvent de forte instabilité politique et militaire. Selon les cas, les autorités internationales peuvent être investies d’un large pouvoir de commandement »

Dans le cas d’Haïti, la présence de la MINUSTAH induit par elle-même la modification du régime juridique haïtien. Du fait que tout simplement la Constitution en vigueur ne prévoit nulle part l’existence d’une telle entité. En outre par ses fonctions, la MINUSTAH se substitue aux institutions légales nationales. Malgré tous les efforts pour le masquer, on est bien en présence de ce qu’on appelle dans le jargon juridique onusien d’une administration civile internationale, de l’ordre de ce qui a été expérimenté au Timor oriental et au Kosovo.

L’adoubement de la MINUSTAH par une administration locale n’enlève rien à ce fait indéniable. Le départ forcé du gouvernement contesté a privé l’action onusienne d’une part importante de légitimité. Le déploiement des militaires étrangers s’est réalisé en l’absence de l’accord du représentant des autorités souveraines d’Haïti. La dénonciation par l’ancien président des conditions de son départ pour l’exil (en contradiction flagrante de la Constitution) invalide tout accord qu’il aurait signé auparavant. En outre il s’agit dès le départ d’une violation de l’ordre juridique de l’Etat haïtien qui ne reconnaît pas l’exil. L’attitude (normale) du Conseil de Sécurité aurait dû être en tout état de cause d’intervenir pour assurer les conditions de sécurité nécessaires à un transfert du pouvoir selon les normes. Soit en respectant les délais constitutionnels ou autrement dans le cadre d’un accord. Ce fut la voie indiquée par la CARICOM, torpillée en faveur de la solution entachée d’illégalité ; imposée au conseil de sécurité par les grandes puissances « amies » d’Haïti.

La MINUSTAH force d’occupation

« Dès lors qu’une armée étrangère contrôle un territoire de manière effective et que cette présence n’est pas approuvée par les autorités disposant de la souveraineté sur ce territoire, il y a occupation. » Seule l’acceptation expresse, officielle et explicite du gouvernement légal haïtien aurait pu enlever à la présence des troupes militaires de la MINUSTAH le statut de forces d’occupation. Or il n’en a pas été ainsi au moment de l’intervention. Encore qu’il existe d’autres types d’occupations de territoires, allant de l’occupation par accord ou par invitation jusqu’à l’occupation après retrait d’un mandat international (comme ce fut le cas de la Namibie après 1966). Le gouvernement monté de toute pièce au départ controversé du président légal d’Haïti n’est pas habilité à solliciter une telle demande. La présence du représentant du PNUD au nom de la communauté internationale dans l’instance de sélection du gouvernement de transition est emblématique du caractère insolite de la démarche. Elle entache l’entité ainsi concoctée d’incapacité juridique. Il faut se demander dans ce cas s’il ne s’agit pas d’un gouvernement fantoche fabriqué justement pour parer l’intervention d’un impossible cachet de légalité internationale.

Nous sommes donc, avec la MINUSTAH, en présence d’une administration civile internationale accompagnée de l’occupation militaire du territoire. On se trouve même bien au-delà du cadre juridique du droit international de l’occupation tel que prévu par les Conventions de la Haye 1907 et de Genève y relatives. La formule juridique ambiguë qu’entretient l’ONU en Haïti place ce pays sous un statut flou qui permet à la Communauté Internationale de se déresponsabiliser de l’échec de la MINUSTAH. Tantôt on se réfère au devoir d’ingérence pour justifier un pouvoir étendu en bousculant le principe de souveraineté. Tantôt on évoque ce dernier pour limiter les responsabilités découlant du statut de forces « administrantes ». Il s’agit en fait de manœuvrer dans les marges et les imprécisions du mandat pour établir une occupation sans responsabilité. L’examen des résolutions du Conseil de Sécurité est à cet égard assez révélateur.

Un cas d’occupation non belligérante

Il y a donc plusieurs types d’occupation de territoire dont il importe de discriminer deux grandes catégories : Belliqueuse et par accord (pacifique).Contrairement à ce que soutient E. David nous ne croyons pas qu’il faille y avoir nécessairement un conflit armé entre deux Etats pour parler d’occupation [1]. Il suffit de la présence d’une armée étrangère sur le territoire d’un Etat sans le consentement de l’autorité légitime et souveraine de celui ci. Sinon tout Etat incapable ou refusant d’entrer en conflit armé avec un agresseur intervenant militairement sur son territoire sortirait de ce fait du régime de l’occupation. Ce qui est pour le moins incohérent. L’absence d’armée nationale en Haïti est un autre facteur qui milite pour une telle approche. Cet aspect de la question renforce la spécificité du cas haïtien.

Dès qu’il y a intervention et déploiement de forces militaires étrangères sur le territoire d’un Etat il y a un fait d’occupation. Comme le souligne l’article 2, paragraphe 1, de la 4ème Convention de Genève de 1949, le régime de l’occupation militaire s’applique , même si la domination étrangère ne résulte pas d’un conflit armé. Le paragraphe 2 de cette disposition stipule en effet : « la Convention s’appliquera également dans tous les cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une Haute Partie contractante, même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire ».

La 4ème Convention de Genève tend ainsi à uniformiser le droit applicable aux diverses formes d’occupation militaire. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait résistance armée de la part de l’Etat agressé et/ou de sa population. L’existence d’un conflit armé n’est pas une condition nécessaire au fait de l’occupation. Le contrôle armé du territoire semble être l’élément déterminant. D’ailleurs dans le droit international des conflits armés c’est le principe d’effectivité qui est considéré. Et au-delà d’une certaine durée on est en présence d’une forme ou d’une autre administration de territoire. Ce n’est pas sans raison que les actuelles missions de paix de l’ONU suscitent d’âpres débats en ce sens, relatifs à leur véritable statut juridique. Ce qui soulève même l’idée d’une réactivation du Conseil de tutelle [2]. C’est pourquoi la notion d’occupation non belligérante est heureuse et tout à fait appropriée. Elle permet une application adaptée du droit international d’occupation aux situations nouvelles de missions de paix sous mandat onusien.

D’une manière générale le Droit International de l’occupation a été élaboré pour réglementer des relations entre Etats. Or de plus en plus nous sommes en présence de nouveaux acteurs qui interfèrent dans les relations inter et intra étatiques. Beaucoup de règles se révèlent dès lors inadaptées aux nouvelles réalités. Il en est ainsi de la pratique des organisations internationales qui depuis plus d’une décennie sont appelées à intervenir dans des situations internes. Si les règles de protection de la personne peuvent facilement être transposées à ces espèces il n’en est pas de même des nouveaux enjeux du XXI siècle. Tel par exemple la protection de l’environnement. Les nouveaux concepts de droit/devoir d’ingérence, responsabilité de protéger gagneraient à intégrer le régime juridique du droit international d’occupation. Ceci permettrait de sortir d’une certaine ambiguïté et d’hypocrisie de ces opérations qualifiées à juste titre par certains, de colonialisme de troisième type.

Avec la nouvelle réalité des missions de paix et l’approfondissement de la notion d’occupation non belliqueuse, le Droit International de l’occupation militaire déborde le cadre juridique du droit des conflits armés. Ne devrait on pas dès lors parler de dépassement du cadre juridique existant ? Les nouvelles formes nées de la mise en pratique des notions de devoir/droit d’ingérence notamment après la guerre froide exprime le tâtonnement du droit d’intervention humanitaire.

Mise en veilleuse de facto de la constitution de 1987

Selon nous on ne saurait parler de respect de l’ordre juridique en vigueur dans un territoire occupé. Il y a en effet du fait même de l’occupation rupture de l’ordre juridique car en aucun cas l’ordre juridique d’un Etat souverain ne saurait prévoir d’accepter l’occupation de son territoire. En l’espèce la constitution haïtienne ne souffre a ce niveau d’aucune ambiguïté. En son article 263.1 au titre II, elle stipule en effet qu’aucun corps armé autres que ceux prévus à l’article 263 (les forces armées d’Haïti et les forces de police) ne peut exister sur le territoire national.

L’article 43 du règlement de la Haye de 1907 stipulant le respect par la puissance occupante des lois en vigueur du pays occupé, ne se prête pas à une si large interprétation. Il en est de même de l’article 64 de la 4ème Convention de Genève de 1949 qui prévoit que la législation pénale existante doit rester en vigueur. En tout état de cause la continuité juridique prévue par certaines dispositions de ces Conventions ne garantit pas le respect de l’ordre juridique de l’Etat victime dans son ensemble. Les dispositions conventionnelles ne sont dans leur esprit et dans leur lettre qu’une tentative pour sauvegarder ce qui peut encore l’être sous le régime spécial. Aussi contrairement à ce qu’affirme certains la limitation de ces prescriptions à la loi pénale est tout à fait cohérente et ne peut s’étendre au-delà. Tout au moins, sûrement pas jusqu’au respect de l’ordre constitutionnel.

Le principe de la continuité de l’ordre juridique sous régime d’occupation est donc de portée très limitée, même quand les dispositions conventionnelles ne l’auraient pas adressée explicitement comme l’a fait l’article 64 de 1949. La réalité de l’occupation elle-même entraîne un bouleversement de l’ordre juridique de l’Etat occupé. L’occupation implique de fait le bouleversement de l’ordre juridique interne de l’Etat occupé. L’objectif du droit de l’occupation est de protéger le droit des populations civiles et dans une moindre mesure d’assurer la continuité de l’Etat occupé. Même le droit pénal local ne saurait échapper à des modifications au-delà des cas prévus par l’article 64, paragraphe 1 de la Convention de Genève de 1949. Celui-ci ne considère en effet une telle éventualité qu’au cas où la sécurité de l’occupant est menacé ou pour assurer la mise en œuvre du droit humanitaire. Or, nous savons par exemple que les membres civils et militaires de ces missions échappent à la justice pénale locale. Ils jouissent d’un statut spécial, sont soumis à des obligations non régies par l’ordre juridique interne de l’Etat failli. Ces Conventions laissent une large marge de manœuvre à l’occupant lui permettant « pour garantir sa sécurité » d’écarter ce qui le gène dans la législation nationale. Les administrations internationales se trouvent forcément dans une position analogue à celle d’un occupant. Il est donc sans nul doute inconsistant de considérer que la présence prolongée d’une entité étrangère internationale ou non sur le territoire d’un Etat ne modifie en rien l’ordre juridique de celui-ci. Ou encore que ce dernier continue à fonctionner à l’identique en gardant son statut juridique d’entité pleinement souveraine. D’ailleurs n’est-ce pas en exception au respect du principe de la souveraineté qu’une telle présence est justifiée ?

L’intervention peut être envisagée dans la perspective de reconstruction des conditions d’exercice des attributs de souveraineté. Mais jamais elle ne peut s’inscrire dans le respect de cette souveraineté. Il y a une contradiction dans les deux termes. Depuis le règlement de la Haye de 1907 et les successives Conventions de Genève, on a entrepris d’assurer le respect des droits de la personne et la sauvegarde limitée de certaines prérogatives de l’Etat occupé dans le cadre du Droit International de l’occupation. Avec les formules actuelles on est entré dans une conception d’administration internationale qui se trouve coincée entre un fait d’occupation et un formalisme de façade de respect des « droits souverains ».

Statut juridique de l’État failli

Alors que la défaillance est par définition une perte de capacité d’exercer ses obligations, on ne saurait raisonnablement parler de respect de souveraineté après quinze années de présence onusienne dans un pays. Sinon il s’agit d’une fuite de « responsabilité internationale de protéger. »

Une fois qu’il y a intervention au titre du Chapitre, la volonté du Conseil de Sécurité est substituée à celle de l’Etat exerçant la souveraineté. Dans qu’elle proportion il sera laissé une part de souveraineté à ce dernier est affaire d’appréciation circonstanciée et pour une grande part discrétionnaire dans le chef du Conseil. Nous savons qu’en ce domaine l’organe de l’ONU dispose d’un large pouvoir. Face aux défis actuels, la communauté internationale se trouve dans l’obligation de définir plus clairement le régime juridique des nouvelles situations de territoire sous mandat du Conseil de Sécurité. Quelque soit la duré du mandat de l’administration internationale il s’agit d’un régime transitoire. Dans une perspective où l’avenir de l’Etat nation est incertain, il est pertinent de se demander, transition vers quoi. A la vérité la problématique se situe à ce niveau, qui induit la mise en épreuve du cadre juridique existant. L’impasse actuelle des missions de paix et les tentatives d’administration internationale sont dues à ce flou/ vide juridique, vide en ce qui concerne le statut des Etats déliquescents sous mandat international. Le droit international de l’occupation élaboré pour régir des situations résultant de conflits armés est inapproprié à ces nouvelles espèces. On est plus proche d’une tutelle non assumée par les deux parties. C’est la raison pour laquelle d’aucuns suggèrent de réanimer/revisiter le vieux Conseil de tutelle pour trouver des solutions mieux adaptées aux particularités des administrations transitoires.

Le mandat d’occupation du conseil de securite via la MINUSTAH : Source d’instabilité

Les interventions humanitaires ou missions de paix déployées sous l’égide du Conseil de Sécurité au titre du Chapitre VII constituent bien des faits d’occupation. Cependant elles débordent le champ d’application classique du Droit International d’occupation. Il est impératif dès lors de concevoir un cadre juridique approprié à ces nouvelles espèces. Le flou conceptuel qui les caractérise entretient une insécurité juridique dangereuse pour la stabilité des Etats et de ses territoires. Le Conseil de Sécurité est en effet semble-t-il habileté, suivant les exemples du Kosovo et de Timor Est à « mettre en place des autorités dont les compétences » vont au-delà de celles fixées par le droit d’occupation. Il a ainsi le droit d’imposer tel régime qu’il juge nécessaire pour assurer la paix et la sécurité internationale. Alors que le droit d’occupation impose, de façon plutôt théorique il est vrai, le respect d’un certain ordre juridique interne. Par contre le mandat du Conseil de Sécurité peut décider/autoriser la modification du régime juridique du territoire occupé. On a vu même dans les cas du Kosovo et du Timor que cela est allé jusqu’à l’indépendance de ces territoires. A l’inverse il pourrait en résulter une perte ou du moins un « changement » de souveraineté. Le moins qu’on puisse dire c’est que ces régimes particuliers débordent les limites imposées par le Droit International d’occupation sans être soumis à un cadre juridique équivalent ou mieux adapté. Cette absence de cadre juridique clairement défini qui permet d’outrepasser sans contrôle les dispositions des Conventions internationales établies constitue en soi une source d’instabilité. Elle se manifeste par l’insécurité juridique des Etats occupés qui ouvre la voie à toute sorte d’anomalies. La République d’Haïti est en train de faire les frais d’une telle situation. Dépourvue des moyens propres de contrôle et de défense de son territoire elle est en permanence exposée aux violations de ses espaces de souveraineté. La MINUSTAH n’assure qu’à sa discrétion les responsabilités non exercées par l’Etat dans sa défaillance. Le flou conceptuel dans lequel baigne la MINUSTAH entraîne une véritable insécurité juridique pour l’Etat et le peuple haïtien.

Le régime juridique de l’administration d’Haïti par l’internationale doit être éclairci et défini pour sortir le pays de l’imbroglio dans lequel il ne cesse de patauger. Le mode de fonctionnement du Conseil de Sécurité constitue un handicap majeur à une administration efficiente de ces territoires. La dévolution d’un mandat de courte durée renouvelable à la discrétion d’un membre permanent entretient un climat d’incertitude. Des populations entières et leurs Etats sont suspendus chaque six mois au bon vouloir d’une grande puissance qui décidera de façon discrétionnaire de leur vie quotidienne et de leur avenir. Aucune politique à long terme ne peut être dans ces conditions élaborée et mise en pratique. Le gouvernement issu de cette réalité d’occupation est vidé de toute autorité, de toute capacité réelle à conduire de manière souveraine la destinée du pays. L’exemple d’Haïti est emblématique à ce niveau. Chaque six a douze mois le statut juridique de cette « république souveraine » est suspendu aux aléas des relations entre la Chine et Taiwan, ou d’une résurgence de guerre froide entre les Etats unis et la Russie, ou de simples tensions dans les rapports avec l’Europe occidentale. Le Droit International dans sa dimension d’officialisation des rapports de puissance au sein du Conseil de Sécurité présente l’inconvénient de ne pas fixer un régime juridique déterminé. Ce fonctionnement au coup par coup sans mécanisme de contrôle et de régulation autre que la divergence d’intérêts des puissances qui le constituent est l’expression même de l’instabilité. Nous sommes devant le paradoxe d’une autorité instable chargée d’assurer la stabilité du monde.

La MINUSTAH constitue bien une forme, hybride il est vrai, d’administration civile internationale. Ce type de régime devrait s’inscrire dans une adaptation du droit de l’occupation. En ce sens on gagnerait à bien établir les prérogatives de l’entité occupante au lieu de jouer au chat et à la souris avec une administration locale vidée de sa substance. La question la plus cruciale soulevée par la présence de la MINUSTAH est relative au statut présent et dans un avenir proche de la république d’Haïti. Vers quoi s’achemine t-on exactement ? Si l’on s’en tient aux résolutions, rapidement on peut dire qu’elles sont plutôt rassurantes quant au « respect de la souveraineté de la république d’Haïti. » Cependant la formule récurrente « dans l’intention de le proroger de nouveau » pour renouveler à répétition le mandat de la mission alimente toutes sortes de spéculations sur sa durée et sa véritable finalité. Au regard de l’évolution de la situation on ne peut s’empêcher de penser qu’on se rapproche vers une formule d’administration directe du genre MONUK (Kosovo) ou Timor Est. « Et si au-delà des faits et gestes officiels, au-delà des discours médiatisés à l’excès, courait un même fil ? Et si des politiques, d’apparences différentes, visaient toutes un même objectif, celui de mettre sous tutelle un peuple et ses espoirs de changement ? »

Sous la tutelle de la MINUSTAH, Haïti ressemble à un patient atteint d’une maladie incurable, placé sous perfusion, auquel on refuse l’euthanasie et qui essaye à en découdre de lui-même pour mettre fin à sa longue agonie. Et si la mort de cet Etat déliquescent était la condition d’une nouvelle naissance ?

(A suivre )

[1] Voir E. David, Principes de droit des conflits armés, Bruylant Bruxelles, 2002, p. 497) « L’occupation suppose un conflit armé entre deux Etats. »

[2] Idem

mercredi 18 mars 2009

D'ACCORD POUR LE DEBAT

Economie 12 Février 2009
(Extrait du "Le Nouvelliste")

D'accord pour le débat

Par Marc L. Bazin

Introduction
A un article du 1er décembre 2008, intitulé « Le secteur bancaire pourrait se porter mieux », Claude Roumain, le 3 décembre a répondu, en disant, pour l'essentiel : « Au delà du système bancaire, ce dont il est question au fond, c'est de définir une politique économique cohérente qui vise à l'investissement, à la création de richesses, donc à une véritable politique de croissance économique et de réduction de la pauvreté ». Roumain a raison. En conclusion, il souhaite le lancement d'un débat public et pose un certain nombre de questions : « comment augmenter la croissance et la compétitivité ? Existerait-il un modèle de développement dont nous autres Haïtiens pourrions nous inspirer ? Comment, en tout état de cause, réconcilier politique économique de réformes et besoins sociaux » ? Toutes ces questions sont d'un grand intérêt et, à elles seules, suffiraient à justifier notre appui à la suggestion d'un débat public et nous souhaitons que d'autres acteurs économiques et sociaux se sentent assez concernés pour y participer également. Mais au delà des questions de principe et d'intérêt général qu'évoque Roumain, nous pensons que c'est la conjoncture elle-même qui nous interpelle et nous fait, à tous, obligation de réfléchir en commun et à ciel ouvert, sur l'état actuel de l'économie et notre devenir. Des exigences de la conjoncture il y en a au moins quatre qui s'imposent à l'attention immédiate.
i) pour la première fois sans doute dans les annales politiques de notre pays, le Parlement a retourné son projet de budget à l'Exécutif, avec injonction de soigner et de refaire sa copie. Un tel précédent est significatif et lourd de conséquences pour l'avenir. De plus, c'est le temps des élections. Les candidats, en bonne logique, devraient trouver intérêt à profiter de cette plateforme qu'offre Le Nouvelliste pour faire connaître la stratégie économique qu'ils préconisent.
ii) sous l'effet combiné des augmentations de prix des produits pétroliers et des produits alimentaires et des conséquences dévastatrices des ouragans sur la production, le cadre macroéconomique du DSRP sur lequel le gouvernement fonde tous ses espoirs de croissance, s'est disloqué et ne pourrait se reconstituer qu'au prix de grands sacrifices.
iii) Déjà, nous savons qu'en 2009, la croissance sera hauteur de 1.3% soit un taux de croissance de près de moitié inférieur au taux d'accroissement de la population, d'où il ressort que, en cette année 2009, nous Haïtiens, serons plus pauvres que l'année dernière, hypothèse difficile à accepter.
iv) Et puis, il y a eu la bombe du discours prononcé le 9 janvier par le Président de la République. Dans ce discours, le Président impartit à un groupe de professionnels un délai de 12 mois pour «dire ce qu'on va faire avec le pays dans un an, dans deux ans, dans vingt-cinq ans. » Sans être à proprement parler un pavé dans la mare, cette idée d'un plan sur vingt-cinq ans, sur laquelle M. Préval est revenu à plusieurs reprises dans un passé récent, n'en est pas moins une étonnante proposition. Avec ce plan sur vingt-cinq ans, de quoi peut-il s'agir en réalité ?
D'après ce qu'on croyait savoir et tenir pour acquis jusqu'à ce discours du 9 janvier, la politique économique de notre pays telle qu'elle s'exprime à travers discours, messages, lettres d'intention au FMI et à la Banque Mondiale, est à double volet :

a) sur le front macro économique : la réduction des déficits, la souplesse du régime des changes, la réduction de l'inflation, la libéralisation du secteur bancaire et des taux d'intérêt et l'indépendance des autorises monétaires ;

b) Sur le plan structures, la réduction du champ d'intervention de l'Etat dans l'économie et l'allocation des ressources, création d'un climat favorable à l'investissement privé, privatisation des entreprises publiques et liberté des échanges avec l'extérieur. Autrement dit, si on s'en tient toujours à cette politique-la, ce que sera Haïti d'ici vingt-cinq ans, c'est ce que nous en aurons fait ici et maintenant. Et si nous faisons bien, ici et maintenant, ce que nous avons à faire et qui est conforme à nos professions de foi et intentions solennellement et si souvent déclarées, il n'y a plus lieu de spéculer sur ce que sera Haïti d'ici 2035, à un moment où nous serons tous morts. Si, par contre, dans l'idée du Président de la République, il s'agit de substituer à la logique du marché un nouveau mode d'orientation de l'économie sur le modèle des plans des années 50, alors il s'agit d'un changement de taille qui remettrait en cause tous les postulats actuels, y compris la stabilité macroéconomique, le DSRP et l'entrée en globalisation. Si ce n'est pas de cela qu'il s'agit, alors il y a lieu à préciser, à clarifier et - pourquoi ne pas le dire à rassurer - d'autant que, d'ici Mars 2009, est prévue une Conférence internationale des donateurs.

Comme on voit, pour faire un débat sur l'économie, ce ne sont pas des raisons de conjoncture qui manquent, - a quoi, il faut ajouter ce que disait Edward Heath, à l'époque Premier Ministre de Grande Bretagne « De toute manière, rien n'est plus politique que l'économie. »
Si les questions posées par Claude Roumain fournissent un bon cadre de discussion pour initiés, nous avons pensé que, dans le but d'intéresser un public aussi large que possible, notamment les jeunes, il convenait d'adopter une perspective plus large que nous ramenons à trois questions : D'où venons-nous ? Où en sommes-nous ? Où allons-nous ?
Ces trois questions de base seront traitées dans une série de cinq articles aux titres suivants :

I.- 1980-1985 : « Exubérances irrationnelles » et besoin d'ajustement
II.- Un bilan de malheur : la pauvreté s'est aggravée;

III.- Pêché originel de Préval : déficit zéro, d'où confusion entre moyens et objectifs ;

IV.- Pour une politique d'augmentation véritable de croissance et pas seulement d'amélioration d'efficacité dans l'emploi des ressources;

V.- En guise de conclusion : Un Etat faible et prédateur, qui consomme les maigres surplus, condamne le secteur privé à vivre de rentes peut-il à la fois réussir la démocratisation des structures politiques, libéraliser l'économie et créer les bases d'une croissance saine équitablement partagée entre tous les citoyens ?
I.- 1980 - 1985 : exubérances irrationnelles et besoin d'ajustement
Haïti est en situation d'ajustement. Une situation d'ajustement est un état de choses dans lequel nous sommes condamnés à réduire les déséquilibres entre ce que nous produisons et ce que nous dépensons, entre ce que nous exportons et ce que nous importons, entre ce que nous empruntons à l'extérieur et notre capacité à rembourser. L'origine de ce besoin d'ajustement, il faut la rechercher dans la tranche de 5 ans qui va de 1980-1985. C'est en effet une période pendant laquelle la gestion haïtienne de l'économie s'est caractérisée à la fois par son extravagance et un assortiment de décisions prises en dépit du bon sens que l'on associerait davantage au comportement d'une classe d'enfants livrés à eux-mêmes qu'à celui d'adultes responsables.

Dans l'agriculture, le café, notre principale culture commerciale qui faisait vivre 1,000,000 de personnes, était assujetti à une taxe à l'exportation qui a représenté 50% du prix à la production. La canne à sucre : le Gouvernement fixait le prix de la canne ainsi que les prix de gros et de détail départ usine du sucre. L'exploitant recevait 30% de la valeur de la teneur en sucre de la canne et la sucrerie 70% alors que, dans la plupart des pays sous-développés cette proportion est inversée. Le Comite du Sucre, géré par la Banque Centrale achetait du sucre raffiné sur le marché mondial et exportait vers les USA à des conditions préférentielles, du sucre brut haïtien, réalisant ainsi des bénéfices. De plus, le sucre raffiné, acheté à l'extérieur était vendu en Haïti à un prix majoré. La faiblesse des prix payés pour la canne a réduit les approvisionnements, en sorte que les quatre sucreries ont du percevoir un prix unitaire plus élevé pour leur production en vue d'assurer leur rentabilité, compte tenu du faible niveau d'utilisation de leur capacité. De plus, les usines achetaient la canne au poids, sans égard à sa teneur sucrose. Ceci dispensait l'exploitant de tout effort pour améliorer son produit et condamnait l'usine à subir des coûts de transformation élevés. Quant aux huiles essentielles, Haïti était le premier producteur mondial d'huile de vétiver. L' OCEA, organisme d'Etat, détenant le monopole du secteur n'améliorait pas la qualité technique de la production, moyennant quoi nous nous sommes fait ravir des parts de marché d'huile de vétiver par l'Indonésie et par la Chine. De 73% en 1978, notre part sur le marché des Etats-Unis d'Amérique, était tombée à 49% en 1982.
Dans l'industrie, les entreprises qui aspiraient à remplacer les importations (ouvrages en acier, papier et carton, articles ménagers en email ou en métal) florissaient à l'abri de protections. Très vite, le marché intérieur, trop étroit, s'est trouvé saturé, les coûts de production sont devenus trop élevés, l'équipement s'est vite périmé. Les usines dès lors ne pouvaient plus ni être compétitives sur la marche mondial, ni vendre à bas prix aux entreprises haïtiennes travaillant dans l'exportation.

Parallèlement à tous ces non-sens économiques, le Gouvernement se portait soit acquéreur soit garant d'entreprises industrielles (minoterie, huilerie, cimenterie, sucreries) qui n'ont pu survivre un certain temps que parce qu'elles bénéficiaient d'un statut privilégié car aucune, vu leurs coûts de production, n'aurait été économiquement rentable. De plus, elles représentaient une charge financière considérable pour le secteur public.
Quant aux finances publiques, traditionnellement les dépenses ne dépassaient pas les recettes. Mais dès 1980, l'épargne publique s'effondrait, de 1,8% en moyenne entre 1975 et 1980 à 0,5% pour 1980-1985. Sous le poids combiné des dépenses extrabudgétaires et des augmentations de dépenses de fonctionnement, le déficit du secteur public, qui était de 7,7% du PIB en 1975-1980, passait à près de 10% entre 1980-1985. Les recettes en devises s'effondraient de moitié passant d'une moyenne de 29.3 millions de dollars entre 1975-1980 à une moyenne de -130.8 millions de dollars entre 1980-1985.
Quant à la dette extérieure, de 318,2 millions de dollars qu'elle était en moyenne pour 1975-1980, elle passait à 687,4 millions de dollars pour 1980-1985.

Alarmés par les résultats d'une politique économique désastreuse qui faisait passer la croissance de 5,3% entre 1975-1980 a -0,9% entre 1980-1985, augmentait les déficits, épuisait les réserves et augmentait considérablement le poids de la dette, les donateurs décidaient de réduire l'aide extérieure. Entre 1980 et 1985 l'aide passait de 8% à 6% du PIB et une part de plus en plus importante de cette aide réduite n'était plus acheminée que par les ONG.

Déficit public, perte de devises étrangères, fuite de capitaux, blocage de l'aide étrangère signifiaient dépréciation de la gourde, impossibilité d'assurer le service de la dette et le paiement des importations (essence et pièces détachées notamment), ce qui rendait le recours à une gestion plus saine et plus rationnelle de l'économie absolument incontournable i.e. à l'ajustement.

Une opération d'ajustement comporte, grosso modo, huit séries de mesures de politique économique:

- réduction des dépenses publiques;
- réduction du déficit public;
- suppression du contrôle des prix;
-dévaluation du taux de change;
- blocage des salaires;
- restructuration des secteurs (agriculture, industrie, énergie);
-réforme du secteur financier;
- libéralisation commerciale.
Alors que les 3 dernières mesures visent à réorienter l'économie et à la rendre plus efficiente à long terme, les autres visent à court terme, à ralentir le flot des exubérances irrationnelles et à condamner l'Etat à ramener ses dépenses au niveau de ses moyens.

A ce stade, avant d'entrer dans le détail des opérations d'ajustement, de la manière dont nous, Haïtiens, avons conduit l'opération et du bilan global de l'exercice, nous avons pensé qu'il est important, surtout dans notre pays ou un anti-néolibéralisme militant est le fonds de commerce de tant de politiciens, d'examiner deux question. La première est de déterminer non seulement les causes immédiates mais aussi l'origine des problèmes qui nous ont condamnés à l'ajustement.

D'origine interne ou externe ? Nous pensons : les deux à la fois.
Entre 1980-1985, la mine de bauxite a dû fermer, faute de réserves. De plus, la récession aux USA a limité nos exportations. Egalement la chute des cours du café. En 1980, nous avions exporté pour $114 millions et en 1985 pour moins de $50 millions. Mais les déficits budgétaires, les dépenses extra budgétaires, le protectionnisme appliqué à protéger les industries non rentables, la pénalisation de l'agriculture et des exportations, l'endettement extérieur systématique étaient de la faute d'Haïti et pouvaient se justifier d'autant moins que l'environnement extérieur devenait pour sa part de plus en plus difficile.

Une deuxième question est de savoir s'il était vraiment indispensable que l'ajustement se fasse brutalement et sur tous les fronts à la fois. Sans doute aucun, l'ajustement aurait pu être plus lent, mieux étalé dans le temps si les pays développés avaient pu trouver plus rapidement une solution raisonnable au problème de la dette, - en 1982, la dette des pays sous-développés atteignait $750 milliards, en 2002 plus de 1 trilliard ! - si les transferts de fonds aux pays sous-développés avaient pu augmenter - au lieu de diminuer, si les taux d'intérêts sur les prêts des pays développés avaient pu baisser au lieu d'augmenter et, finalement, si les prix des produits de base sur le marché mondial avaient augmenté au lieu de baisser. Pour intéressantes qu'elles soient au plan de l'échange d'idées, ces hypothèses, au début des années 80, avaient un caractère spéculatif et peu de valeur pratique. Le fait est que les pays sous-développés se trouvaient dans l'obligation de s'ajuster rapidement, à fond et sans interruption. Le FMI et la Banque Mondiale, en échange de leur apport financier, exigeaient des mesures de stabilisation et d'ajustement. Stabilisation, dans le but de réduire le double déséquilibre des comptes extérieurs et du budget. Ajustement, dans le but de corriger et de rectifier la tendance aux interférences de l'Etat dans l'économie, rendre à long terme l'économie plus souple et plus efficiente et l'orienter vers les exportations plutôt que confinée au marché local...
A suivre

Marc L. Bazin
Président, MIDH
marclouisbazin@hotmail.com

D'ACCORD POUR LE DEBAT

ECONOMIE 16 Mars 2009

(Extrait du "Le Nouvelliste")

D'accord pour le débat (Marc L. Bazin)

II) L'effort d'ajustement poursuivi par Haïti entre les années 80 et les débuts du gouvernement de transition s'est globalement soldé par un échec franc et massif. De ce fait, la pauvreté s'est aggravée et les conditions de vie de la population se sont détériorées.

A la base de l'idée et du concept même de l'ajustement, il y a un postulat fondamental : toute bonne politique économique devrait se fixer pour objectifs la croissance, un bas niveau d'inflation, une balance des paiements viable et c'est en fonction de ces objectifs que sont choisis les instruments de politique économique par lesquels atteindre lesdits objectifs. Nous avons, dans notre dernier article, énuméré les instruments en question. Passons maintenant en revue les performances et voyons en ensuite les conséquences sur la pauvreté.

A. Performances

i) Déficits budgétaires

Les déficits budgétaires sont unanimement reconnus comme le premier fait générateur de dislocations macroéconomiques, soit sous forme d'inflation, soit de déséquilibre de la balance des paiements ou de fuite des capitaux. Tout budget en déficit par rapport au revenu national est considéré comme un signe de mauvaise politique.

Pendant toute la période 1980-2004, il n'y a pas eu un seul budget en excédent. Si à cela on ajoute que généralement la plus grande part de ces déficits a été financée soit par tirages - purs et simples - sur la banque centrale, soit par des accumulations d'arriérés, on imagine sans mal l'influence néfaste qu'ils ont exercée sur la hausse des prix puisque toutes émissions de monnaie artificielle ne correspondant pas à une augmentation de la production font monter les prix. Pendant toute la période sous rubrique, jamais le taux d'inflation, sauf en 1987, ne s'est approché sensiblement du taux de 4-4,5 % considéré comme défendable, la moyenne annuelle ayant été de 14,7 %. Quant aux comptes extérieurs, en 1993, la différence entre nos exportations par rapport à nos importations était de 229 millions de dollars ; en 2003, elle était de 940 millions de dollars. Sans les transferts de la diaspora, c'est à 95 % que ces déficits n'auraient pas été couverts. De 610 millions de dollars qu'elle était en 1983, la dette extérieure était, en 2002, passée à 1,2 milliard de dollars.

ii. Réforme fiscale

Si on veut réduire le déficit, il faut soit augmenter les ressources, soit réduire les dépenses, soit faire les deux à la fois. Ce qui est généralement considéré comme souhaitable est de construire un système fiscal qui soit à assiette large et dans lequel les taux marginaux seraient modérés.

Les ressources collectées par le système fiscal haïtien sont trop faibles. Elles ne correspondent qu'à 10 % du PIB. Dans tout antre pays aussi pauvre que le nôtre, les ressources fiscales correspondent à 20 % du PIB. En outre, sur les 10 % collectés chez nous, 9 % vont aux dépenses courantes. Les dépenses d'investissement financées par nous-mêmes ne représentent que 1% du PIB. Pratiquement, toutes les dépenses en capital - 4,4 % du PIB - sont financées de source extérieure. Les dépenses programmées pour les investissements en capital du DRSP sont d'environ 5 à 7 milliards de dollars. Or, il a été calculé que tout investissement dans les secteurs des transports, de l'énergie, de la santé et de l'éducation nécessitera des dépenses d'entretien de l'ordre de 5 à 33% de l'investissement initial. D'où il suit que pour financer toute dépense de fonctionnement supplémentaire et réduire notre dépendance par rapport à l'aide étrangère, il nous faut augmenter substantiellement l'effort de mobilisation des ressources. Idéalement, les ressources fiscales devraient être portées rapidement à un niveau proche de 12 à 15% du PIB, ce qui demanderait aussi bien une réforme en profondeur de l'administration fiscale qu'un relèvement de l'assiette. Beaucoup de projets de réforme sont en cours aussi bien à la DGI qu'à l'AGD. En attendant, c'est toujours la TCA, introduite le 19 septembre 1982 et amendée en juin 1996, impôt régressif payé en majorité par les pauvres, qui assume le 1/3 du revenu fiscal global.

iii. Ouverture sur le commerce international

La globalisation du commerce mondial est un fait. Tout pays qui veut se développer doit s'intégrer au commerce mondial et produire pour le marché mondial, c'est-à-dire non plus seulement des matières premières et des biens alimentaires mais des produits manufacturés et des services. Pour ce faire, de tels pays doivent être compétitifs c'est-à-dire pratiquer une politique de libéralisation des importations par laquelle les importations de bien intermédiaires se font à des prix relativement modérés de manière à favoriser les exportations et doivent faire cesser les pratiques discriminatoires destinées à protéger les industries locales non rentables contre les importations. Dès 1986, Haïti s'est engagée dans une politique de régime commercial ouvert, démantelant les protections, éliminant les barrières non tarifaires, y compris l'obligation des licences d'importation et d'exportation, abaissant les tarifs douaniers. Puis vint la période 1994-1995 où on enregistre une nouvelle vague de libéralisations, comprenant l'élimination du reliquat de contraintes à l'importation de certains produits agricoles, la réduction des tarifs douaniers d'un maximum de 50 % à une moyenne de 8 %. Tel était notre bas niveau de tarif que, en 1999, quand nous avons rejoint le CARICOM, nous avons dû leur demander de nous dispenser de mettre nos tarifs au même niveau que les leurs. Haïti est, avec le Chili et Panama, le pays le plus libéral d'Amérique latine.

Malheureusement, ces libéralisations ont été faites pour le principe, sans lien réel avec la structure de notre économie et sans actions d'accompagnement. Ainsi les tarifs sur produits alimentaires passaient, en février 1995 de 40-50 % à 0,5 %, les droits sur le riz de 50 % à 3 %. Très rapidement, les importations de riz sont passées de zéro en 1988 à 115.000 tonnes en 1998 et la production nationale passait pendant la même période de 180.000 tonnes à 105.000 tonnes. Nous avions libéralisé à outrance mais nous n'avions ni routes de commercialisation, ni électricité à bon marché, ni politique d'incitation au secteur privé, ni souci de protection sociale pour les petits producteurs.

iv. Le taux de change

Un des tests-clés de l'ouverture au commerce international est le taux de change. Il doit être déterminé par le marché, et non par l'État. Dès 1991, nous avons libéré le taux de change, supprimant la parité fixe de 5 gourdes pour 1 dollar et laissant le marché déterminer au jour le jour la valeur de la gourde par rapport au dollar. Ce qui est recherché ici, c'est que le taux de change soit compétitif, c'est-à-dire suffisamment bas pour favoriser l'augmentation des exportations (en théorie plus l'exportateur reçoit de gourdes pour son café ou son assemblage, plus il prospère et crée des emplois) d'où il suit que les investisseurs sont encouragés à prendre des risques et à s'engager vers l'exportation, ce qui suppose, comme pour l'ouverture en général, un climat favorable et des mesures adéquates d'incitation. En partie grâce à la libéralisation du taux de change, Haïti a effectivement, sauf bien entendu pendant les embargos, augmenté ses exportations, de 145 millions de dollars en 1991 à 437 millions de dollars en 2002. Dans le même temps, notamment, suite aux libéralisations intempestives, les importations également ont augmenté, passant de 251 millions de dollars à 881 millions de dollars.

v. Libéralisation financière

Les taux d'intérêts ne doivent pas être fixés par le gouvernement mais par les forces du marché, en fonction de la loi de l'offre et de la demande, l'objectif étant d'éviter que des taux d'intérêt fixés entièrement sur la base de critères administratifs ne détournent l'épargne vers des activités spéculatives plutôt que vers la production. Mais en même temps, les taux d'intérêts doivent être positifs, c'est-à-dire supérieurs au taux d'inflation de manière à décourager la fuite des capitaux. La libéralisation des taux d'intérêts est donc au coeur de la réforme du système bancaire. En décembre 1989, tous les plafonds aux taux d'intérêts que les banques commerciales ne pouvaient payer sur les dépôts ou charger sur les prêts étaient éliminés et, en mai 1995, tous les plafonds statutaires sur les taux d'intérêts des banques commerciales étaient éliminés. L'un des bienfaits attendus de cette libéralisation était que, une fois libérés les taux d'intérêts, les banques se livreraient entre elles à une forte compétition qui les amènerait à rechercher de nouveaux clients, notamment parmi les petites et moyennes entreprises. Mais, comme on le sait, c'est la banque centrale qui a remplacé les PME dans le portefeuille des banques, et c'est la concentration du capital entre un petit nombre de banques qui a remplacé la compétition.

vi. Privatisation

Le credo ici est que les entreprises privées, ne serait-ce que par peur de la faillite, sont mieux gérées que les entreprises publiques, toujours en attente de subventions. De plus, la privatisation, domaine dans lequel nous ne nous sommes pas signalés par un excès de zèle, rapporte des impôts et soulage les finances de l'État.

B. La pauvreté aggravée

Ainsi donc, entre septembre 1983 et août 2002, Haïti aura passé avec le Fonds monétaire international un total d'environ 8 accords de stabilisation pour un montant total d'environ 133 millions de DTS, auxquels il convient d'ajouter trois accords passés entre 1997 et 2002, lesquels n'engageaient pas le Fonds à nous transférer des ressources mais plutôt à nous mettre sous résidence surveillée. Du tableau qui suit, il faut retenir la colonne « Utilisés ». Elle signifie que aucune de ces opérations ne s'est terminée avec succès et que, chaque fois, le FMI a dû arrêter les déboursements. Même chose pour les opérations de résidence surveillée. Aucune n'a abouti. C'est bien ce que, au début de ce texte, nous avions qualifié « d'échec franc et massif ».

Accords avec le FMI entre 1983 et 2002
(DTS millions)
Année Alloués Utilisés
1986 30,87 08,82
1989 21,00 15,00
1995 20,00 16,40
1996 91,05 15,18

Pour ce qui est de la Banque mondiale, en 2002, elle dressait le bilan de sa coopération avec Haïti. Le montant total de ses crédits à Haïti était, en 1996, évalué à 293,6 millions de dollars. De 1996 à 2002, plus aucun crédit ne nous avait été alloué. La Banque concluait: « L'impact de l'assistance de la Banque à Haïti n'a pas été significatif et la stratégie a été peu satisfaisante. Dans un pays comme Haïti, à faible capacité institutionnelle et gouvernance économique désastreuse, le financement traditionnel de programmes de développement n'a qu'un effet limité sur la réduction de la pauvreté ». Ce que la Banque aurait pu dire c'est que les programmes d'ajustement tels que nous les avions appliqués, en zigzag, de bric et de broc et pour parler créole, de manière « tchakée » ont aggravé la pauvreté et davantage détérioré les conditions de vie du peuple haïtien.

Nous, Haïtiens, devrions toujours garder à l'esprit que, avec sa faible base en ressources humaines, son infrastructure délabrée, une structure économique non diversifiée, sur un fonds chronique d'instabilité politique, notre pays présente des obstacles structurels à tout programme de réformes, fut-il bien conçu et bien exécuté. A fortiori quand de tels programmes sont exécutés par petits bouts et de mauvaise foi. Les mesures de recours aux mécanismes du marché ne peuvent produire leur plein effet que si sont levés tous les obstacles à l'accumulation du capital, aussi bien les obstacles institutionnels (inefficacité de la bureaucratie, corruption, peu de respect pour l'état de droit et les droits de propriété, instabilité politique, populisme) que l'inadéquation du secteur financier et le manque d'infrastructure. Les programmes d'ajustement forment un tout. Les faire par petits bouts ne rapporte rien. À chaque faux pas, le FMI interrompt le programme et il faut recommencer. Les demi-réformes ne rapportent pas des demi-bénéfices. Mais elles peuvent, au contraire aggraver la situation. Les libéralisations ont ouvert les portes mais nous ne nous sommes pas donné les moyens d'en bénéficier pleinement. Ce qui s'est passé pour le riz est significatif. Libéraliser le commerce du riz en persistant avec les déficits budgétaires, tout en privant l'économie d'électricité, d'énergie et de services portuaires à bon marché, dans une atmosphère générale de « caponnage » du secteur privé, a pénalisé la production agricole, n'a pas mobilisé les investissements ni fait baisser la pression extérieure en faveur de l'ajustement.

Il nous faut donc renoncer au populisme et nous armer du courage politique nécessaire pour en finir, globalement et une fois pour toutes, avec ce «pongongon» des réformes. Autrement, nous renforçons notre malheureuse réputation de «pays paria» et de «pays en décomposition». Mais il y a plus grave. Faute notamment d'un effort d'ajustement complet, réussi et bouclé, les conditions de vie du peuple haïtien se détériorent considérablement. Nous sommes toujours dans la crise. Entre 1980 et 2002, le revenu national n'a pas augmenté pendant que la population augmentait de 2 % par an. Entre 1981 et 1990, notre revenu par tête avait baissé de 2,3 % par an. Entre 1990 et 2000, notre revenu par tête avait à nouveau baissé de 2,3 % par an. En 1960 nous avions à peu près le même revenu par tête que la République Dominicaine. En 2002, le revenu dominicain était de 2.500 dollars, le nôtre de 460 dollars.

Un revenu global qui baisse pendant que la population augmente, et que les prix montent est un signe clair d'augmentation de la pauvreté. Cela déjà devrait suffire à nous faire réfléchir. À ce constat, en soi dévastateur, il faut ajouter que tout programme d'ajustement est un programme de contraction des dépenses. Toute contraction de dépenses affecte négativement la condition des pauvres. Un programme de contraction de dépenses comprend aussi bien des réductions dans les dépenses du gouvernement, des augmentations de l'effort fiscal, des réductions du salaire réel et des restrictions dans l'allocation du crédit. De telles mesures mordent dans le revenu réel puisqu'elles affectent l'offre et l'emploi, réduisent les salaires réels de ceux qui ont un emploi, augmentent les prix des biens de consommation à mesure que les taxes et impôts indirects augmentent et les prix se libéralisent.

Dans l'ajustement, tous les groupes sociaux subissent une perte de pouvoir d'achat par suite des augmentations répétées des tarifs d'électricité, des transports publics, des produits pétroliers et des prix de produits importés. D'autres groupes affectés sont les employés du secteur public dont les salaires sont gelés et le nombre réduit par des renvois massifs. Du coup, la demande d'emplois dans le secteur informel s'accroît et l'informalisation généralisée du marché du travail déprime le marché informel, et le revenu par tête dans le secteur décline par suite de la compétition introduite par les nouveaux venus.

Également, toute mesure qui comprime les salaires pendant que les prix sont libres de monter réduit la capacité de consommation des plus pauvres. Dans le même temps, la réduction dans l'allocation du crédit, les taux d'intérêts élevés consécutifs aux libéralités de la Banque centrale vis-à-vis du niveau des taux sur les bons BRH contrarient les investissements, dépriment l'emploi et aggravent le chômage.

Bien entendu, la pauvreté généralisée en milieu urbain, via la baisse des transferts de l'étranger, la migration et le jeu des marchés, s'étend également au monde rural d'autant que ce dernier, consommateur net de tous produits affectés par les augmentations de prix, n'a pas effectivement bénéficié chez nous des avantages de la dévaluation du taux de change, laquelle était censée rétablir à son profit les termes de l'échange de l'agriculture vis-à-vis de l'industrie et du monde urbain.

Prétendre que l'on ajuste l'économie alors que, en réalité, on joue à cache-cache avec tout l'arsenal de mesures qui contribueraient à parachever l'entreprise et à lui donner un sens est une attitude coupable. Elle a privé d'efficacité les maigres efforts qui ont été tentés, ont aggravé la pauvreté, contribué à la désorganisation de la société et envenimé inutilement nos rapports avec la communauté des donateurs. Plus que jamais, un consensus minimum entre Haïtiens apparaît, dans ce domaine, comme tant d'autres, indispensable.

Marc L. Bazin
Président (MIDH)
e-mail : marclouisbazin@hotmail.com