mercredi 18 mars 2009

D'ACCORD POUR LE DEBAT

Economie 12 Février 2009
(Extrait du "Le Nouvelliste")

D'accord pour le débat

Par Marc L. Bazin

Introduction
A un article du 1er décembre 2008, intitulé « Le secteur bancaire pourrait se porter mieux », Claude Roumain, le 3 décembre a répondu, en disant, pour l'essentiel : « Au delà du système bancaire, ce dont il est question au fond, c'est de définir une politique économique cohérente qui vise à l'investissement, à la création de richesses, donc à une véritable politique de croissance économique et de réduction de la pauvreté ». Roumain a raison. En conclusion, il souhaite le lancement d'un débat public et pose un certain nombre de questions : « comment augmenter la croissance et la compétitivité ? Existerait-il un modèle de développement dont nous autres Haïtiens pourrions nous inspirer ? Comment, en tout état de cause, réconcilier politique économique de réformes et besoins sociaux » ? Toutes ces questions sont d'un grand intérêt et, à elles seules, suffiraient à justifier notre appui à la suggestion d'un débat public et nous souhaitons que d'autres acteurs économiques et sociaux se sentent assez concernés pour y participer également. Mais au delà des questions de principe et d'intérêt général qu'évoque Roumain, nous pensons que c'est la conjoncture elle-même qui nous interpelle et nous fait, à tous, obligation de réfléchir en commun et à ciel ouvert, sur l'état actuel de l'économie et notre devenir. Des exigences de la conjoncture il y en a au moins quatre qui s'imposent à l'attention immédiate.
i) pour la première fois sans doute dans les annales politiques de notre pays, le Parlement a retourné son projet de budget à l'Exécutif, avec injonction de soigner et de refaire sa copie. Un tel précédent est significatif et lourd de conséquences pour l'avenir. De plus, c'est le temps des élections. Les candidats, en bonne logique, devraient trouver intérêt à profiter de cette plateforme qu'offre Le Nouvelliste pour faire connaître la stratégie économique qu'ils préconisent.
ii) sous l'effet combiné des augmentations de prix des produits pétroliers et des produits alimentaires et des conséquences dévastatrices des ouragans sur la production, le cadre macroéconomique du DSRP sur lequel le gouvernement fonde tous ses espoirs de croissance, s'est disloqué et ne pourrait se reconstituer qu'au prix de grands sacrifices.
iii) Déjà, nous savons qu'en 2009, la croissance sera hauteur de 1.3% soit un taux de croissance de près de moitié inférieur au taux d'accroissement de la population, d'où il ressort que, en cette année 2009, nous Haïtiens, serons plus pauvres que l'année dernière, hypothèse difficile à accepter.
iv) Et puis, il y a eu la bombe du discours prononcé le 9 janvier par le Président de la République. Dans ce discours, le Président impartit à un groupe de professionnels un délai de 12 mois pour «dire ce qu'on va faire avec le pays dans un an, dans deux ans, dans vingt-cinq ans. » Sans être à proprement parler un pavé dans la mare, cette idée d'un plan sur vingt-cinq ans, sur laquelle M. Préval est revenu à plusieurs reprises dans un passé récent, n'en est pas moins une étonnante proposition. Avec ce plan sur vingt-cinq ans, de quoi peut-il s'agir en réalité ?
D'après ce qu'on croyait savoir et tenir pour acquis jusqu'à ce discours du 9 janvier, la politique économique de notre pays telle qu'elle s'exprime à travers discours, messages, lettres d'intention au FMI et à la Banque Mondiale, est à double volet :

a) sur le front macro économique : la réduction des déficits, la souplesse du régime des changes, la réduction de l'inflation, la libéralisation du secteur bancaire et des taux d'intérêt et l'indépendance des autorises monétaires ;

b) Sur le plan structures, la réduction du champ d'intervention de l'Etat dans l'économie et l'allocation des ressources, création d'un climat favorable à l'investissement privé, privatisation des entreprises publiques et liberté des échanges avec l'extérieur. Autrement dit, si on s'en tient toujours à cette politique-la, ce que sera Haïti d'ici vingt-cinq ans, c'est ce que nous en aurons fait ici et maintenant. Et si nous faisons bien, ici et maintenant, ce que nous avons à faire et qui est conforme à nos professions de foi et intentions solennellement et si souvent déclarées, il n'y a plus lieu de spéculer sur ce que sera Haïti d'ici 2035, à un moment où nous serons tous morts. Si, par contre, dans l'idée du Président de la République, il s'agit de substituer à la logique du marché un nouveau mode d'orientation de l'économie sur le modèle des plans des années 50, alors il s'agit d'un changement de taille qui remettrait en cause tous les postulats actuels, y compris la stabilité macroéconomique, le DSRP et l'entrée en globalisation. Si ce n'est pas de cela qu'il s'agit, alors il y a lieu à préciser, à clarifier et - pourquoi ne pas le dire à rassurer - d'autant que, d'ici Mars 2009, est prévue une Conférence internationale des donateurs.

Comme on voit, pour faire un débat sur l'économie, ce ne sont pas des raisons de conjoncture qui manquent, - a quoi, il faut ajouter ce que disait Edward Heath, à l'époque Premier Ministre de Grande Bretagne « De toute manière, rien n'est plus politique que l'économie. »
Si les questions posées par Claude Roumain fournissent un bon cadre de discussion pour initiés, nous avons pensé que, dans le but d'intéresser un public aussi large que possible, notamment les jeunes, il convenait d'adopter une perspective plus large que nous ramenons à trois questions : D'où venons-nous ? Où en sommes-nous ? Où allons-nous ?
Ces trois questions de base seront traitées dans une série de cinq articles aux titres suivants :

I.- 1980-1985 : « Exubérances irrationnelles » et besoin d'ajustement
II.- Un bilan de malheur : la pauvreté s'est aggravée;

III.- Pêché originel de Préval : déficit zéro, d'où confusion entre moyens et objectifs ;

IV.- Pour une politique d'augmentation véritable de croissance et pas seulement d'amélioration d'efficacité dans l'emploi des ressources;

V.- En guise de conclusion : Un Etat faible et prédateur, qui consomme les maigres surplus, condamne le secteur privé à vivre de rentes peut-il à la fois réussir la démocratisation des structures politiques, libéraliser l'économie et créer les bases d'une croissance saine équitablement partagée entre tous les citoyens ?
I.- 1980 - 1985 : exubérances irrationnelles et besoin d'ajustement
Haïti est en situation d'ajustement. Une situation d'ajustement est un état de choses dans lequel nous sommes condamnés à réduire les déséquilibres entre ce que nous produisons et ce que nous dépensons, entre ce que nous exportons et ce que nous importons, entre ce que nous empruntons à l'extérieur et notre capacité à rembourser. L'origine de ce besoin d'ajustement, il faut la rechercher dans la tranche de 5 ans qui va de 1980-1985. C'est en effet une période pendant laquelle la gestion haïtienne de l'économie s'est caractérisée à la fois par son extravagance et un assortiment de décisions prises en dépit du bon sens que l'on associerait davantage au comportement d'une classe d'enfants livrés à eux-mêmes qu'à celui d'adultes responsables.

Dans l'agriculture, le café, notre principale culture commerciale qui faisait vivre 1,000,000 de personnes, était assujetti à une taxe à l'exportation qui a représenté 50% du prix à la production. La canne à sucre : le Gouvernement fixait le prix de la canne ainsi que les prix de gros et de détail départ usine du sucre. L'exploitant recevait 30% de la valeur de la teneur en sucre de la canne et la sucrerie 70% alors que, dans la plupart des pays sous-développés cette proportion est inversée. Le Comite du Sucre, géré par la Banque Centrale achetait du sucre raffiné sur le marché mondial et exportait vers les USA à des conditions préférentielles, du sucre brut haïtien, réalisant ainsi des bénéfices. De plus, le sucre raffiné, acheté à l'extérieur était vendu en Haïti à un prix majoré. La faiblesse des prix payés pour la canne a réduit les approvisionnements, en sorte que les quatre sucreries ont du percevoir un prix unitaire plus élevé pour leur production en vue d'assurer leur rentabilité, compte tenu du faible niveau d'utilisation de leur capacité. De plus, les usines achetaient la canne au poids, sans égard à sa teneur sucrose. Ceci dispensait l'exploitant de tout effort pour améliorer son produit et condamnait l'usine à subir des coûts de transformation élevés. Quant aux huiles essentielles, Haïti était le premier producteur mondial d'huile de vétiver. L' OCEA, organisme d'Etat, détenant le monopole du secteur n'améliorait pas la qualité technique de la production, moyennant quoi nous nous sommes fait ravir des parts de marché d'huile de vétiver par l'Indonésie et par la Chine. De 73% en 1978, notre part sur le marché des Etats-Unis d'Amérique, était tombée à 49% en 1982.
Dans l'industrie, les entreprises qui aspiraient à remplacer les importations (ouvrages en acier, papier et carton, articles ménagers en email ou en métal) florissaient à l'abri de protections. Très vite, le marché intérieur, trop étroit, s'est trouvé saturé, les coûts de production sont devenus trop élevés, l'équipement s'est vite périmé. Les usines dès lors ne pouvaient plus ni être compétitives sur la marche mondial, ni vendre à bas prix aux entreprises haïtiennes travaillant dans l'exportation.

Parallèlement à tous ces non-sens économiques, le Gouvernement se portait soit acquéreur soit garant d'entreprises industrielles (minoterie, huilerie, cimenterie, sucreries) qui n'ont pu survivre un certain temps que parce qu'elles bénéficiaient d'un statut privilégié car aucune, vu leurs coûts de production, n'aurait été économiquement rentable. De plus, elles représentaient une charge financière considérable pour le secteur public.
Quant aux finances publiques, traditionnellement les dépenses ne dépassaient pas les recettes. Mais dès 1980, l'épargne publique s'effondrait, de 1,8% en moyenne entre 1975 et 1980 à 0,5% pour 1980-1985. Sous le poids combiné des dépenses extrabudgétaires et des augmentations de dépenses de fonctionnement, le déficit du secteur public, qui était de 7,7% du PIB en 1975-1980, passait à près de 10% entre 1980-1985. Les recettes en devises s'effondraient de moitié passant d'une moyenne de 29.3 millions de dollars entre 1975-1980 à une moyenne de -130.8 millions de dollars entre 1980-1985.
Quant à la dette extérieure, de 318,2 millions de dollars qu'elle était en moyenne pour 1975-1980, elle passait à 687,4 millions de dollars pour 1980-1985.

Alarmés par les résultats d'une politique économique désastreuse qui faisait passer la croissance de 5,3% entre 1975-1980 a -0,9% entre 1980-1985, augmentait les déficits, épuisait les réserves et augmentait considérablement le poids de la dette, les donateurs décidaient de réduire l'aide extérieure. Entre 1980 et 1985 l'aide passait de 8% à 6% du PIB et une part de plus en plus importante de cette aide réduite n'était plus acheminée que par les ONG.

Déficit public, perte de devises étrangères, fuite de capitaux, blocage de l'aide étrangère signifiaient dépréciation de la gourde, impossibilité d'assurer le service de la dette et le paiement des importations (essence et pièces détachées notamment), ce qui rendait le recours à une gestion plus saine et plus rationnelle de l'économie absolument incontournable i.e. à l'ajustement.

Une opération d'ajustement comporte, grosso modo, huit séries de mesures de politique économique:

- réduction des dépenses publiques;
- réduction du déficit public;
- suppression du contrôle des prix;
-dévaluation du taux de change;
- blocage des salaires;
- restructuration des secteurs (agriculture, industrie, énergie);
-réforme du secteur financier;
- libéralisation commerciale.
Alors que les 3 dernières mesures visent à réorienter l'économie et à la rendre plus efficiente à long terme, les autres visent à court terme, à ralentir le flot des exubérances irrationnelles et à condamner l'Etat à ramener ses dépenses au niveau de ses moyens.

A ce stade, avant d'entrer dans le détail des opérations d'ajustement, de la manière dont nous, Haïtiens, avons conduit l'opération et du bilan global de l'exercice, nous avons pensé qu'il est important, surtout dans notre pays ou un anti-néolibéralisme militant est le fonds de commerce de tant de politiciens, d'examiner deux question. La première est de déterminer non seulement les causes immédiates mais aussi l'origine des problèmes qui nous ont condamnés à l'ajustement.

D'origine interne ou externe ? Nous pensons : les deux à la fois.
Entre 1980-1985, la mine de bauxite a dû fermer, faute de réserves. De plus, la récession aux USA a limité nos exportations. Egalement la chute des cours du café. En 1980, nous avions exporté pour $114 millions et en 1985 pour moins de $50 millions. Mais les déficits budgétaires, les dépenses extra budgétaires, le protectionnisme appliqué à protéger les industries non rentables, la pénalisation de l'agriculture et des exportations, l'endettement extérieur systématique étaient de la faute d'Haïti et pouvaient se justifier d'autant moins que l'environnement extérieur devenait pour sa part de plus en plus difficile.

Une deuxième question est de savoir s'il était vraiment indispensable que l'ajustement se fasse brutalement et sur tous les fronts à la fois. Sans doute aucun, l'ajustement aurait pu être plus lent, mieux étalé dans le temps si les pays développés avaient pu trouver plus rapidement une solution raisonnable au problème de la dette, - en 1982, la dette des pays sous-développés atteignait $750 milliards, en 2002 plus de 1 trilliard ! - si les transferts de fonds aux pays sous-développés avaient pu augmenter - au lieu de diminuer, si les taux d'intérêts sur les prêts des pays développés avaient pu baisser au lieu d'augmenter et, finalement, si les prix des produits de base sur le marché mondial avaient augmenté au lieu de baisser. Pour intéressantes qu'elles soient au plan de l'échange d'idées, ces hypothèses, au début des années 80, avaient un caractère spéculatif et peu de valeur pratique. Le fait est que les pays sous-développés se trouvaient dans l'obligation de s'ajuster rapidement, à fond et sans interruption. Le FMI et la Banque Mondiale, en échange de leur apport financier, exigeaient des mesures de stabilisation et d'ajustement. Stabilisation, dans le but de réduire le double déséquilibre des comptes extérieurs et du budget. Ajustement, dans le but de corriger et de rectifier la tendance aux interférences de l'Etat dans l'économie, rendre à long terme l'économie plus souple et plus efficiente et l'orienter vers les exportations plutôt que confinée au marché local...
A suivre

Marc L. Bazin
Président, MIDH
marclouisbazin@hotmail.com

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