samedi 20 septembre 2008

HAITI/CYCLONE: L'EMPIRE DE L'EAU

Haiti/Cyclones : L’empire de l’eau

vendredi 19 septembre 2008

Par Jean-Claude Bajeux

Soumis à AlterPresse le 18 septembre 2008

Les jours de “Haïti chérie” semblent bien révolus et bien des refrains du romantisme haïtien, même « Choucoune » font mal à entendre ou à chantonner, après les trois ouragans qui ont frappé le pays, tout le pays. Il semblerait que ce qui est arrivé à Gonaïves, il y a quatre ans, exactement, n’était qu’un avertissement, comme une répétition générale de désastres à suivre. Cette fois-ci, c’est littéralement le ciel qui nous tombait sur la tête aux quatre coins du pays, coupant les routes, emportant des ponts et rendant quasi impossible, pendant des jours, d’aider ceux qui étaient pris par les eaux, les victimes, les prisonniers de l’eau.

Dans les journaux, les radios, les écrans de télévision, ce que nous percevons, c’est beaucoup plus qu’une catastrophe nationale. C’est la catastrophe de la nation. C’est un verdict apocalyptique, concernant les responsables irresponsables, les farceurs pontifiants, les corrompus endurcis, les casseurs, nous tous sans exception. Que répondra-t-on dans trois, quatre ans quand le morne l’Hôpital se sera effondré sur Port-au-Prince ?

Pourtant, l’eau de plus en plus est classée comme une richesse qui se vend cher, qui s’évalue cher et qui a fait la fortune de grandes compagnies mondiales inscrites à la bourse. L’eau, sous toutes ses formes, salée, douce, tiède, glace ou neige est célébrée comme une bénédiction, eau lustrale dans des rites sacrés immémoriaux. Le tiers d’ile que nous occupons, avec plus d’un millier de kilomètres de côtes reçoit, de cette mer, du soleil et du vent, plus d’eau que nous ne pourrions utiliser. Et chacun de nous conserve, idéalisées, le souvenir d’heures de grâce en compagnie de cette amie de toujours, une eau, quelque part, source de bonheur.

Mais aussi, inconscients comme nous avons l’air de l’être, ignorants des secrets de cette mère du monde, l’eau, indifférente, claire ou boueuse, insidieuse ou violente est capable, nous le voyons, nous l’avons vu, nous le verrons, les larmes aux yeux, de déployer, sur nous, devant nous et tout autour de nous, une puissance de caprice et de destruction, au lieu d’être une source de bien-être. Car pour révéler ses bienfaits, elle demande un traitement spécial, d’être reçue de fa¬çon spéciale sinon elle revient au tohu-bohu originel, chaudron de désordre et d’infécondité, faisant éclater de partout les arbres, la terre, les roches, les ponts, les routes et les habitations, en route pour un rendez-vous avec la mer.

La leçon après ces passages cycloniques, tumultueux, de la violence aquatique est claire. Il nous faut répondre à ce message, pour ne pas dire cet ultimatum. Pour que l’eau soit richesse et non malédiction, il nous faut, de la source à la mer, créer les chemins de l’eau et prévoir, entre ces deux points, tous les usages possibles de l’eau pour en tirer le maximum de bénéfices, apprivoisant sa turbulence pour utiliser la variété vitale de ses services. C’est donc tout un pays qu’il nous faut aménager. Pour survivre, nous sommes acculés à accepter le défi faustien de réaliser la séparation de l’eau et de la terre, préparer les circuits qui permettent à l’eau qui tombe de retrouver les chemins de l’eau qui dort. C’est pourquoi dans un pays comme le nôtre, la première filière pour un futur libéré de nos tragédies récentes est la filière de l’eau, elle qui conduit à toutes les transformations qui répondraient aux multiples besoins de l’exister humain. Nous n’avons pas d’autre choix.

Eau qui lave, qui nourrit et alimente la vie, eau qui nettoie, eau qui ruisselle là où l’on veut qu’elle ruisselle et pas ailleurs, eau qui cuisine, l’eau, source d’énergie, l’eau qui s’allie à la terre, l’eau est une invitée qui récompense de mille façons ceux qui savent préparer sa venue. En fait un pays qui marche mal est un pays ou l’eau n’est pas où elle devrait être et ne peut faire ce qu’elle est supposée faire. Cette leçon est primordiale, que ce soit pour les pays plein de montagnes, ou pour les pays plats comme la main. Pour faire exister notre terre, il faut sur tout le parcours, de l’amont à l’aval, avoir dessiné les chemins de l’eau pour les buts précis définis par un projet national. C’est une condition sine qua non de la vie des communautés humaines. Sinon au bout du compte, on se retrouve à brasser les sables du désert ou à barboter dans les boues des marécages. Nous n’avons pas le choix. L’eau et la terre définissent pour de longues années encore le destin national, sa faillite ou sa réussite.

Voici donc que nous sommes le dos au mur, aujourd’hui, contemplant le drame. Les photos, les témoignages nous renvoient à l’image d’un échec collectif qui est bien notre échec. La solidarité à quoi personne ne peut dire non nous mènera-t-elle à de grandes déterminations ? Verrons-nous s’entrouvrir la porte pour qu’une nation se refonde, pour qu’un pays renaisse ? L’eau serait alors la filière primordiale qui ne supporte pas les petits projets, ni les dons qui n’en finissent pas, ni l’indolence calculée d’une bureaucratie, ni les contrats secrets ni les dessous de table. La terre et l’eau seraient le tissu, la matière de ce grand projet national et comme la matrice d’une nation qui surgirait hors de la honte, hors de la misère, hors de mendicité, « hors d’eau ».

Pour cela doivent fonctionner deux autres filières dont il faudra reparler qui, elles aussi, sont nécessairement convoquées, la filière du savoir, des savoir-faire, de la compétence et cette autre, la gestion, l’organisation séquentielle des actions, la volonté de gérer et de faire fonctionner l’entreprise nationale de production et de services.

A ce compte, l’eau, aurait trouvé sa finalité : une terre fertile et un peuple au travail.

17 septembre 2008

mardi 16 septembre 2008

LES DEUX MANDATS DE GEORGE W. BUSH

EXTRAIT DE "LE MONDE DIPLOMATIQUE"

Manière de voir — Demain, l’Amérique...

Les deux mandats de George W. Bush

2000

7 novembre. L’élection présidentielle oppose le républicain George W. Bush, gouverneur du Texas, au démocrate Albert Gore, vice-président sortant. Les deux candidats étant quasiment à égalité, une bataille juridico-politique s’engage pour les départager en Floride.

12 décembre. La Cour suprême entérine un décompte du vote en Floride qui favorise M. Bush. Celui-ci a recueilli moins de suffrages populaires que son concurrent (47,9 %, contre 48,4 % pour M. Gore à l’échelle nationale) mais, avec le résultat en Floride, obtenu plus de voix de grands électeurs (271, contre 266). Au Sénat, les républicains se retrouvent à égalité avec les démocrates – 50 sièges chacun – mais ils restent majoritaires à la Chambre des représentants (221 sièges, contre 212).

2001
15 février. Une enquête judiciaire est ouverte concernant la grâce accordée au milliardaire Marc Rich par M.William Clinton la veille de la fin du mandat présidentiel. Le financier, réfugié en Suisse depuis 1983, est poursuivi pour évasion fiscale et soupçonné d’avoir effectué des dons illégaux au Parti démocrate.

10-12 avril. Des émeutes éclatent à Cincinnati (Ohio) après la mort d’un jeune Noir tué par la police – le cinquième dans la ville depuis novembre 2000. Le maire décrète l’état d’urgence.

24 mai. Les démocrates deviennent majoritaires au Sénat après la décision du sénateur du Vermont, M. James Jeffords, de quitter le Parti républicain pour siéger comme indépendant.

10 août. M. Bush déçoit la droite religieuse en autorisant le financement de la recherche sur les cellules souches embryonnaires existantes.

11 septembre. Attentats de masse contre New York et Washington. D’abord hagard, le président se ressaisit et devient immensément populaire.

26 octobre. Promulgation du Patriot Act, qui renforce les pouvoirs du Federal Bureau of investigation (FBI) et des autres agences de maintien de l’ordre.

6 novembre. Le républicain Michael Bloomberg, magnat de l’information financière et économique, succède à M. Rudolph Giuliani à la mairie de New York.

18 décembre. Un juge fédéral casse le verdict de juillet 1982 condamnant à mort Mumia Abu Jamal, un journaliste et membre des Black Panthers accusé du meurtre d’un policier, à Philadelphie, en 1981. Sa peine sera commuée en prison à vie en 2008.

2002
20 mars. Le Congrès adopte la loi sur le financement des campagnes électorales. Elle limite les contributions financières versées aux partis par les groupes de pression mais relève le plafond des donations directes – de 1 000 à 2 000 dollars (2 300 aujourdhui) – faites à titre individuel aux candidats.

20 juin. La Cour suprême interdit l’exécution des handicapés mentaux, jusqu’alors possible dans vingt Etats.

5 novembre. Les républicains reprennent le contrôle du Sénat, lors des élections de mi-mandat, et confortent leur majorité à la Chambre des représentants.

25 novembre. M. Bush signe la loi créant le ministère de la sécurité intérieure (Department of Homeland Security). Cette nouvelle administration fédérale doit regrouper 170 000 fonctionnaires répartis jusqu’alors dans vingt-deux ministères et agences nationales.

2003
11 janvier. Estimant que le système judiciaire est « profondément défectueux », le gouverneur de l’Illinois, M. George Ryan, gracie quatre condamnés à mort et commue la peine de 167 personnes contre lesquelles l’exécution capitale avait été prononcée.

18 janvier. Près de 500 000 personnes défilent à Washington et 200 000 à San Francisco pour clamer leur opposition à une guerre contre l’Irak.

27 mars. Mis en cause pour conflit d’intérêts entre ses activités publiques et celles de consultant pour des sociétés d’armement, M. Richard Perle, artisan de la guerre en Irak, démissionne de son poste de conseiller auprès du Pentagone.

23 juin. Amenée à statuer sur la plainte d’un étudiant de l’université de Michigan, la Cour suprême réaffirme le principe de la discrimination positive (affirmative action). En novembre 2006, 58 % des électeurs du Michigan voteront la suppression des traitements préférentiels accordés par leur Etat.

7 octobre. A l’occasion d’un référendum exceptionnel, les Californiens destituent le gouverneur démocrate Gray Davis, auquel ils reprochent sa mauvaise gestion. L’acteur et candidat républicain Arnold Schwarzenegger lui succède. Dans son premier discours de législature, le 6 janvier 2004, il annonce de « douloureuses coupes budgétaires ».

2004
7 janvier. M. Bush propose un plan de régularisation des travailleurs immigrés clandestins qui concerne de 8 à 10 millions de personnes, pour la plupart d’origine mexicaine. 6 juin. Mort de l’ancien président Ronald Reagan.

22 juillet. Le rapport de la commission d’enquête bipartisane sur les attentats du 11 Septembre met en cause les administrations Clinton et Bush, ainsi que les services de police et de renseignement.

26-29 juillet. Le candidat démocrate à l’élection présidentielle, M. John Kerry, reçoit l’investiture officielle de son parti lors de la convention nationale réunie à Boston. M. Bush obtient celle du Parti républicain en septembre à New York.

13 septembre. Après dix ans d’interdiction, à la suite du moratoire décidé par M. Clinton en 1994, les armes d’assaut sont à nouveau en vente libre aux Etats-Unis.

2 novembre. M. Bush est réélu avec 50,8 % des suffrages et 286 grands électeurs, contre 48,3 % des voix et 252 grands électeurs en faveur de M. Kerry. Le Parti républicain sort renforcé au Congrès à l’issue des élections législatives (231 sièges à la Chambre des représentants, 55 au Sénat et 28 postes de gouverneur).

2005
1er mars. La Cour suprême abolit la peine capitale pour les moins de 18 ans. Cet arrêt annule les peines prononcées à l’encontre de soixante-douze condamnés à mort mineurs au moment des faits.

31 mars. Décès de Terry Schiavo, une femme de 41 ans placée dans un coma végétatif depuis quinze ans, dont le sort a donné lieu à une longue bataille politico-judiciaire et relancé le débat sur l’euthanasie. La droite conservatrice, avec l’appui de M. Bush, s’empara de cette histoire pour en faire un symbole de la lutte pour le maintien de la vie et défendre ses convictions religieuses.

1er juillet. Sandra Day O’Connor, juge à la Cour suprême, démissionne de son poste. Conservatrice modérée, elle avait à plusieurs reprises fait basculer la majorité, notamment sur l’avortement, la discrimination positive ou la vie privée. M. Bush choisit le républicain John G. Roberts pour la remplacer. Il sera nommé président en septembre après le décès du juge William Rehnquist.

29-31 août. L’ouragan Katrina frappe le sud du pays, faisant des milliers de morts. La Nouvelle-Orléans est détruite à 80 %. Critiqué pour son impéritie et pour la lenteur des secours apportés aux nombreux sinistrés de cette ville pauvre et majoritairement noire, M. Bush admet la responsabilité du gouvernement. Sa popularité plonge et ne se rétablira plus par la suite.

28 septembre. M. Tom DeLay, le chef des républicains à la Chambre des représentants, est inculpé pour financement politique illégal au Texas, et, une semaine plus tard, pour blanchiment d’argent dans le cadre de la campagne de mi-mandat de 2002.

28 octobre. M. Lewis Libby, directeur de cabinet du vice-président Richard Cheney, est mis en examen pour avoir révélé que la femme d’un ancien diplomate, opposant à la guerre en Irak, était un agent de la CIA.

31 octobre. Le juge conservateur Samuel Alito est nommé par M. Bush pour siéger à la Cour suprême. Sa confirmation par le Sénat sera acquise à une large majorité et avec le concours de quatre élus démocrates.

2 décembre. Le millième condamné à mort depuis le rétablissement de la peine capitale, en 1976, est exécuté en Caroline du Nord. Le New Jersey abolira la peine capitale en décembre 2007.

16 décembre. Le New York Times révèle qu’un programme d’écoutes téléphoniques a été mis en place par l’Agence de sécurité nationale (NSA) en 2002, sur décision du président et sans mandat de justice, pour espionner des milliers de citoyens américains ou étrangers vivant aux Etats-Unis. Le programme sera suspendu en janvier 2007. Le Congrès le légalisera six mois plus tard.

20 décembre. Le juge fédéral John Jones déclare anticonstitutionnel l’enseignement dans les écoles publiques de la thèse créationniste du « dessein intelligent », développée par les chrétiens conservateurs qui récusent la théorie darwinienne de l’évolution.

2006
3 janvier. Le lobbyiste républicain Jack Abramoff plaide coupable, devant un tribunal fédéral de Washington, pour escroquerie, fraude fiscale et corruption de responsables publics.

6 mars. Le Dakota du Sud interdit l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste.

Mars-avril. Des centaines de milliers d’immigrés hispaniques manifestent à Los Angeles, Phoenix, Milwaukee et Denver pour protester contre le projet de loi anti-immigration en discussion au Congrès.

23 juin. La presse rapporte que la CIA a espionné les flux bancaires internationaux, pour identifier les réseaux financiers d’Al-Qaida, en utilisant un système européen de gestion des informations bancaires mondiales censé demeurer confidentiel.

19 juillet. M. Bush oppose son droit de veto à un projet de loi visant à étendre la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

28 septembre. Le Congrès adopte une loi antiterroriste sur les tribunaux militaires, la détention et la torture qui prive les étrangers suspectés de terrorisme du bénéfice de l’habeas corpus (droit de contester toute détention préventive devant un juge).

26 octobre. M. Bush signe la loi autorisant la construction d’un mur de 1 100 kilomètres à la frontière du Mexique pour lutter contre l’immigration clandestine.

7 novembre. Victoire des démocrates aux élections de mi-mandat. Ils remportent, pour la première fois depuis 1994, la majorité à la Chambre des représentants (233 sièges) et comptent 28 gouverneurs sur 50.

2007
4 janvier. La démocrate Nancy Pelosi devient la première femme à présider la Chambre des représentants.

2 avril. La Cour suprême rend un avis recommandant au gouvernement de réglementer les gaz à effet de serre, mais essuie le refus de M. Bush.

16 avril. Un étudiant sud-coréen tue à bout portant trente-deux personnes sur le campus de l’université de Virginie puis se suicide. M. Bush mais aussi les différents candidats à l’élection présidentielle expriment leurs condoléances sans aborder la question du contrôle des armes à feu.

28 juin. La Cour suprême limite la discrimination positive à l’école, estimant qu’une classification raciale utilisée dans le cadre d’une politique éducative est une « approche extrême ».

2008
4 mars. Le sénateur John McCain remporte les élections primaires de son parti et devient le candidat républicain à l’élection présidentielle du 4 novembre.

En juin, M. Barack Obama sort vainqueur des primaires démocrates aux dépens de Mme Hillary Clinton.

En août, M. Barack Obama désigne M. Joseph R. Biden, sénateur du Delaware, comme vice-président (le 23). Du côté républicain, McCain hoisit Mme Sarah Palin, gouverneure d’Alaska (le 29).

Olivier Pironet.
Affairisme, Démocratie, Élections, Justice, Parti politique, Politique, Peine capitale, États-Unis (affaires intérieures)

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"HUMBLE" ENFIN?

http://www.monde-diplomatique.fr/mav/101/HALIMI/16321 - Page 4

« Humble » enfin ?
Par Serge Halimi

En 2000, le candidat républicain George W. Bush protesta contre les interventions à l’étranger de l’administration démocrate sortante – celle du président William Clinton –, souvent expliquées par le désir de défendre la démocratie de marché dans le monde. Et il promit que les Etats-Unis redeviendraient une « nation humble »... A l’époque, le pays avait pourtant les moyens de ses ambitions internationales. Il connaissait l’ère de croissance la plus longue de son histoire, son budget était excédentaire, la généralisation des technologies de l’information lui laissait entrevoir un nouvel âge d’or.

On connaît la suite. Embourbée dans deux conflits simultanés et confrontée à une crise majeure de l’immobilier et du système financier, l’Amérique réapprend l’humilité. Elle se contente de hausser le ton quand la Russie écrase l’armée géorgienne, laquelle doit alors rapatrier le contingent qu’elle avait dépêché en Irak pour complaire à Washington. La leçon est rude : se proclamer proaméricain ne garantit plus une immunité militaire. Car des nations ont resurgi, qui équilibrent la puissance des Etats-Unis ; les mouvements de menton de la Maison Blanche ne les effraient pas. Comment peut-il en être autrement quand la Russie, dopée par un taux de croissance annuel de 8 % et par les troisièmes réserves de change de la planète, envisage de tourner le dos à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ? Ou quand, dès son introduction en Bourse, le titre du groupe énergétique chinois PetroChina atteint un niveau de capitalisation (1 000 milliards de dollars) égal à ceux d’ExxonMobil et de General Electric réunis ?

Les grandes impulsions économiques de ces quinze dernières années sont cependant parties, comme autrefois, de New York et de Californie. Au milieu des années 1990, la « bulle Internet » avait diffusé dans le monde une ère d’expansion, avant d’exploser. A l’été 2007, la crise des prêts hypothécaires risqués (subprime) a contaminé l’économie mondiale. S’en tenir à ce rappel serait néanmoins faire bon marché de la perte de crédit du modèle néolibéral appelé « consensus de Washington » et des deux grandes institutions localisées dans la capitale américaine qui procuraient à ce modèle rayonnement et moyens d’action : le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale. La crise financière de 1997-1999 a prouvé que leurs recommandations péremptoires ne garantissaient pas la croissance et qu’elles entraînaient l’affaiblissement des Etats (1). Pour s’en être dégagée, la Russie s’est redressée. Elle a repris le contrôle de ses richesses naturelles, a remboursé sa dette avant terme et, au passage, le rouble a regagné 60 % par rapport au dollar.

Il n’en faut pas davantage pour que réapparaissent les ruminations moroses de la fin des années 1980 sur la « surextension impériale » des Etats-Unis. A trop avoir sacrifié les dépenses d’investissements à une frénésie de consommation à crédit, à trop avoir privilégié la composante militaire de la puissance, l’Amérique de George Bush aurait sapé les assises financières de son hégémonie. Et elle se retrouve en position de débitrice, voire de quémandeuse, lorsqu’il lui faut solder ses comptes : recours aux fonds souverains des pays pétroliers, accroissement des créances chinoises sous forme de bons du Trésor américains et de réserves de change en dollars, ventes en série de ses fleurons économiques et culturels.

Ainsi, une entreprise contrôlée par des Brésiliens mais localisée en Belgique, InBev, vient de prendre le contrôle du grand brasseur américain Anheuser-Busch. A défaut de satisfaire les buveurs de bière de Saint Louis, la transaction (52 milliards de dollars) est lucrative pour les actionnaires et, compte tenu de la valeur du billet vert, elle n’est pas prohibitive pour les acheteurs. Au même moment, les Européens s’offrent des villas en Floride ; des investisseurs de Dubaï acquièrent le building de General Motors à New York, un fonds souverain d’Abou Dhabi jette son dévolu sur celui de Chrysler, célèbre pour son style « art déco » ; le groupe suisse Roche prend le contrôle de la société de biotechnologie Genentech. En 2007, deux mille entreprises américaines ont ainsi été l’objet de cessions de ce genre, pour une valeur globale six fois supérieure à celle de 2003 (2). Et, de même qu’en France les « talents » qui émigrent à Londres font l’objet de reportages incessants, on évoque à présent aux Etats-Unis « une vague de citoyens nés au pays qui partent à l’étranger à la recherche de nouveaux défis, de nouvelles occasions à saisir, et d’un mode de vie plus satisfaisant (3) ».

Mais au cœur de la Silicon Valley, naguère traversée par les 4×4, la course aux énergies vertes – sources de profits de demain – a déjà commencé. Il y a quinze ans, après que les achats du Rockefeller Center par Mitsubishi, de MCA par Matsushita et de Columbia Pictures par Sony eurent provoqué un déluge de commentaires angoissés, le président Clinton avait ponctué sa prestation de serment par la formule : « Il n’y a rien de ce qui va mal en Amérique qui ne puisse être guéri par ce qui va bien en Amérique. » Une telle croyance demeure vivace aux Etats-Unis. L’humilité n’est pas ce qui la caractérise...


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(1) Lire Jacques Sapir, Le Nouveau XXIe Siècle, Seuil, Paris, 2008.

(2) Jeff Israely et William Boston, « The great American yard sale », Business Week, 25 août 2008.

(3) Jay Tolson, « The quiet Exodus : More Americans find success and happiness by moving abroad », US News & World Report, 4 août 2008.



http://www.monde-diplomatique.fr/mav/101/HALIMI/16321