samedi 12 février 2011

HAITI: NI DUVALIER NI ARISTIDE

Idées & Opinions 8 Février 2011
(Extrait du "Le Nouvelliste"

Haïti: Ni Duvalier ni Aristide...
Suite de l'édition précédente

Par Hérold Jean-François

De même que l'on nait et que l'on meurt et qu'entre la naissance et la mort il y a toute une étape qui constitue notre vécu, il nous semble que cette logique de la vie devra s'appliquer de façon irrémédiable à la chose politique. On arrive sur la scène, on cherche le pouvoir, si on l'obtient, on exécute son mandat en faisant l'impossible pour laisser ses marques et l'on s'en va. Si on fait le vilain et que la rue vous renverse, c'est que vous êtes passés à côté.

Alors, dans votre petit coin, vous cuvez votre honte dans la dignité s'il vous en reste ou si vous en avez jamais eue et vous laissez le monde tranquille. La dynamique de la vie se déroule autour de nos choix. Nous forgeons notre existence à partir de nos priorités.

L'enfant qui gaspille sa chance se retrouvera plus surement dans la rue, raté, clochard ou s'il est plus chanceux et débrouillard, ouvrier ou entrepreneur. Mais cette dernière catégorie entre dans les exceptions. Ceux qui réussissent sont en général les bêcheurs qui forgent leur réalité au jour le jour par le travail patient et assidu. Il y en a aussi des rares qui sont sortis des cuisses de Jupiter qui n'ont pas fait grand-chose pour réussir, le gros du travail ayant été fait par une lignée de rudes travailleurs...

Le complexe du passé

En Haïti, nous cultivons une mauvaise tradition d'avoir le regard dans le rétroviseur. La force du passé est si attrayante que nous semblons incapables de tourner la page. Cette fatalité vient peut-être de la grandeur de notre histoire qui ressemble plus à une épopée fictive qu'à une réalité dans laquelle ont vraiment existé les multiples personnages légendaires que sont Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe, Capois, Pétion, Lamartinière, Magloire Ambroise, Marcadieu et les autres. Les oeuvres de ce passé glorieux sont si imposantes que nous ne voulons pas croire que les descendants de ces grands noms puissent être des nains qui ne peuvent pas faire la collecte des ordures ménagères. Comment on a pu construire la Citadelle Laferrière à l'orée de notre existence, sortis à peine de l'esclavage et que deux siècles plus tard, nous nous complaisions dans notre actuel statut de cendrillon des Antilles ?
Nous cultivons un complexe du passé qui nous hante et qui nous empêche de vivre au présent, de forger les structures pour bien aménager ce présent, pour nous garantir un futur de progrès et de croissance pour notre progéniture. Nous nous accrochons au passé que nous ne voulons pas dépasser.

Ceux qui, sur le plan politique ont eu la chance de nous diriger sans qu'ils aient pris en compte l'immense opportunité qui se présentait à eux et qui loin de se mettre au travail pour transformer nos difficiles réalités ont plutôt profité du pouvoir pour asseoir leur domination, constituer des richesses personnelles en laissant comme héritage à notre société, misère, sous-développement, deuil et blessures profondes, prétendent revenir hanter une deuxième voire une troisième fois notre mémoire collective.
Le défaut de mémoire par l'absence d'une mise en commun des victimes pour offrir aux générations d'après des témoignages indélébiles font qu'aujourd'hui on banalise la dictature et ses méfaits, l'on cherche des circonstances atténuantes au dictateur qui aurait été la première victime...

Comme si un quart de siècle suffit pour faire oublier, passer l'éponge, alors que justement toute la suite, la continuité des malheurs et des exactions sont venues de notre incapacité à demander des comptes. L'impunité a enhardi les successeurs du régime dictatorial qui ont pérennisé les mêmes pratiques et comme nous sommes une société de consensus contre la légalité, les avocats ne manquent pas pour plaider la cause de l'abandon des poursuites...La démocratie que l'on a toujours refusé a ses bons côtés, l'on en jouit en citoyen libre et c'est en son nom, aujourd'hui que l'on revendique toutes sortes de garanties. Et qui continuera de nous faire croire que notre société n'a pas progressé ? Mais en Haïti, les effets pervers de la démocratie semblent vouloir nous confiner dans une réalité dominée par la poursuite de l'impunité, car d'habiles avocats sont là et au prétoire et dans les médias pour nous donner mauvaise conscience, quand habilement l'on peut faire passer la tentative légitime de reddition des comptes pour une vulgaire volonté de revanche assimilée rapidement à de la persécution politique...

Et nous entrons dans une sorte de package deal, un fourre-tout qui fera bientôt d'Haïti un hôpital pour ancien Président. C'est paradoxal comme Haïti qu'ils n'ont pas su transformer en une zone de progrès économique et social est en même temps, la terre idéale pour bien vivre à l'abri de l'anonymat typique de la vie de ceux qui se sont jetés dans la poubelle de l'histoire, l'environnement propice dans le confort du soleil jamais défaillant mettant nos regards à l'abri du froid tant austral que boréal...

Si le pays n'est plus la chasse-gardée de qui que ce soit, si désormais, officiellement personne n'est le sujet d'aucun Président qui y régnait en maître, par la terreur de hordes de macoutes ou de chimères, si nous sommes, pour le moment, incapables de demander des comptes à nos anciens dirigeants, nous devons au moins pouvoir tourner la page de leur période de gouvernance faite d'exactions et de leur incapacité à nous faire entrer dans la terre promise. Qu'ils nous laissent tranquilles en nous reconnaissant le droit de leur laisser dans l'oubli, de faire un trait sur eux pour continuer sans nostalgie de leurs méfaits, la quête de ce mieux être qu'ils étaient incapables de nous offrir.

Quand le passé se veut l'avenir

Aujourd'hui, en Haïti, ni Duvalier ni Aristide sont des hommes du passé, un passé duquel, pour l'avenir de nos enfants et du pays, nous devons nous détacher. Laissons les zombis et les fantômes à leurs châteaux hantés, prenons la vie à tour de bras pour prétendre aux sommets qui nous ont été jusque-là refusés. Laissons nos anciens dirigeants à leur chimère, nous, après leur époque cauchemardesque, nous avons besoin de continuer de rêver en couleurs... Comment des dirigeants qui ont eu de longues opportunités et qui ont été incapables de transformer nos difficiles réalités, peuvent-ils être utiles dans la tache de reconstruction ?

D'ailleurs comment des spécialistes de la destruction, champion de la division nationale et générateur de crises, de souffrances, de corruption et de répression pourront changer pour s'intégrer comme citoyens normaux, se transformer en agent de construction et oeuvrant désormais en faveur de l'unité nationale ? Prétendons-nous voir un génie du mal dont la spécialité est la nuisance se convertir en une force du bien qui n'a d'autre finalité que le bonheur de la nation ?

En tout cas, pour notre part, nous pensons que le pays doit rompre radicalement avec son sombre passé et les acteurs de ce passé, quel que soit leur nom et épithètes qui s'y attachent. Si des dirigeants du passé malgré le poids des reproches et contentieux qui en font des personnages controversés peuvent prétendre à une nouvelle opportunité de remettre le pays en mode marche-arrière et qui pis est des groupes de citoyens veulent leur donner l'absolution pour y arriver, nous, nous pensons qu'il y a aujourd'hui en Haïti de bien meilleures options.

Si Haïti ne peut être que ce que ces chefs du passé en ont fait, tous les enfants qui sont à l'école et qui s'efforcent de meubler leur esprit pour servir notre pays peuvent désespérer d'y jouer un jour un rôle. Ce serait une gifle assénée à toutes ces générations de diplômés des Universités quand nous voulons leur faire comprendre qu'il n'y a dans leur rang aucune potentialité et que le passé déconstruit qui nous a donné ce pays délabré, sans souveraineté et survivant grâce à la charité internationale, est aussi l'avenir. Si le passé sans issue est aussi l'avenir, notre avenir c'est Duvalier ou Aristide. Alors nous devons comprendre dans ce cas que nous n'avons pas d'avenir.

Mais l'avenir, nous sommes confiant, ne peut en rien ressembler au refus de démocratie de la période Duvalier, ni encore moins à la tentative anachronique d'Aristide de jouir des prérogatives de Duvalier d'instaurer un régime de peur et de terreur au XXI ème siècle alors que notre vie de l'après-dictature est faite de jouissance de libertés accessibles même à ceux qui nous les ont refusées...

L'avenir, c'est la construction démocratique basée sur des valeurs universelles, une femme, un homme une voix, des élections sans manipulation du vote, l'égalité devant la justice pour que chaque comptable d'un délit ait la certitude qu'il rendra compte, l'accomplissement des devoirs civiques, un système politique qui garantit le pluralisme idéologique et le renouvellement continu des institutions dans les délais, toutes préoccupations observées et exécutées par des dirigeants qui ont une vision de l'aménagement et de la construction du pays et dont la préoccupation est le bien-être du citoyen, quel que soit l'endroit où il se trouve sur notre territoire. L'avenir c'est la mise en place d'un système scolaire qui incorpore tous les enfants en âge d'aller à l'école, la manifestation d'une volonté continue de progrès par la mise en branle à travers le pays d'une dynamique de construction et d'efforts notables d'aménagement d'oeuvres de tout type, aqueducs, barrages, routes, hôpitaux, dispensaires, centres sportifs, bibliothèques, centres de congrès, centres culturels, des infrastructures de toutes sortes qui changent graduellement nos réalités, repousser nos retards et garantir les conditions du développement global.

Si la Constitution et nos Lois reconnaissent le droit à tout citoyen de revenir sans aucune contrainte à la terre natale, d'ailleurs il ne devait pas y avoir de citoyens en exil, cette bonne disposition de la Constitution ne s'assimile aucunement à un blanc-seing à l'impunité. C'est dans la capacité de notre société à imposer l'égalité de tous les citoyens dans la justice que nous commencerons véritablement à ériger une société de droit. Regarder nos anciens dirigeants accusés de tous les maux du pays dans le blanc des yeux et aller les accueillir à l'aéroport à coups de vivats, les présenter comme des victimes en mettant un doigt dans la plaie de leurs victimes ou de leurs survivants serait un mauvais signal qui encouragerait tout futur détenteur du pouvoir à reproduire le même schéma de violation systématique des droits des Haïtiennes et des Haïtiens.
Il est facile de se faire le porte-étendard de la réconciliation nationale ou du désintéressement citoyen, mais oublier les douleurs et les souffrances, les disparitions de parents, la destruction des biens des particuliers et du commerce sont plus difficiles...

Entre 1986 et 2004, la vie nationale a connu des rebondissements et des crises multiples. L'après-Duvalier a vu la difficulté de mettre en place une société d'intégration sur la base de la justice sociale et de la garantie à la majorité des services essentiels. Nous avons eu trois crises majeures le 29 novembre 1987 avec le massacre des votants à Port-au-Prince et ailleurs, le 30 septembre 1991 avec le coup d'État militaire renversant le Président Jean-Bertrand Aristide et la troisième, à l'issue de la fraude électorale du 21 mai 2000. Nous faisons l'économie d'autres crises de moindre envergure de la période transitoire comme celle de l'opposition Casernes Dessalines/Palais National sous le Général Prosper Avril et du mouvement populaire qui a remporté le même Général-Président, les événements qui ont précédé la période mentionnée et qui ont abouti le 11 septembre 1988 à l'incendie de la Chapelle de Saint Jean Bosco à La Saline et entrainant la chute du Général Henry Namphy qui n'était plus Chouchou, entre autres... Notre pays a souffert deux grandes commotions sociales le 30 septembre 1991 et le 29 février 2004 autour de la même figure. Cela ne suffit-il pas? Sommes-nous assez sadomasochistes pour prendre à chaque fois la même option de blocage ? D'ailleurs, l'incapacité des uns et des autres de rompre avec le vieux système et d'offrir un modèle différent a eu pour effets de réhabiliter le duvalierisme décrié. La phrase désabusée d'une dame dans une émission à lignes ouvertes après le retour le 16 janvier dernier de l'ancien Président à vie Jean-Claude Duvalier dans le pays:''nou telman pa regle anyen pandan 25 an, nou fè sa ki pa te bon di tou pase pou pi bon...''Lavalas, dans son comportement et ses attitudes a amené à la conclusion que les pratiques politiques, en Haïti, ne changent pas d'un régime à l'autre et que dans ce domaine c'est ce que Jean-Thomas Cyprien appelle le ''match nul''. De Duvalier à Préval en passant par les régimes militaires de la trop longue transition, il y a très peu de différences entre les hommes qui se sont succédé au pouvoir. La même absence de vision, la même intolérance, la même incapacité d'accepter les critiques et l'opposition, la même propension à se maintenir au pouvoir par des moyens détournés et des coups fourrés, les multiples crises de cette transition sont autant d'exemples et d'illustrations de ce phénomène du'' match nul''...

Défauts de mémoire, mais acteurs récents...

Si les jeunes qui crient vive Duvalier dans les rues scandalisent les victimes et les parents des victimes c'est parce que notre société n'a pas assez documenté la période 1957-1986 par des publications sonores et vidéos, des écrits comme le déplore à juste titre, notre soeur Liliane Pierre-Paul. Mais Aristide, c'est l'histoire contemporaine, le GNB, c'était hier. Tous ceux qui font preuve de défaut de mémoire quant au régime des Duvalier ont peut-être l'excuse de l'âge. Il y en a qui n'avaient pas encore vu le jour à la chute de la dictature le 7 février 1986 ou qui étaient encore dans les langes à cette période. Mais ceux-là ont connu les années Aristide, ils ont vécu adolescents les moments d'apothéose du 16 décembre 1990 tout comme ils ont vécu les contrecoups du 30 septembre 91, blocage du pays, pertes de jours de classe, embargo, manifestations, déferlement de violences du FRAPH, l'arrogance des putschistes et de leurs alliés, le déchirement du retour, la nouvelle occupation, les assassinats et exécutions des partisans des militaires, la perte de souveraineté, le vol du 21 mai 2000 et le boycott du 26 novembre 2000, le revirement d'Aristide investi le 7 février 2001, la résistance de l'opposition, la crise politique issue de cette indigestion de pouvoir, la 47ème Législature contestée, les laideurs parlementaires de ladite législature dont les deux Chambres étaient transformées en une bourse de valeurs où la dignité ne siégeait pas... Ils ne sont pas près d'oublier et la nation avec, la grande fracture de cette période, le coup fourré du 17 décembre 2001 contre l'opposition, les sièges de partis et les résidences des leaders, l'hypothèque grevée sur la célébration du bicentenaire de notre Indépendance, les manifestations de rue le jour de Noel 2003 et le Jour de l'An 2004, la répression des manifestations par la police vouée pieds et mains liées au régime, la violation de l'enceinte de l'Université d'État le 5 décembre 2003, les sorties contre les installations des médias le 12 janvier 2004, ils ont certainement encore à l'esprit, l'arrogance des partisans du régime lavalas suite à sa deuxième déchéance le 29 février 2004, l'Opération Bagdad et les têtes coupées jetées à des carrefours de grande circulation pour terroriser la nation. Toute chose issue de la transformation rampante du mouvement populaire perverti du militantisme sincère et spontané en une mutation dangereuse vers de multiples formes de banditisme. Ceux qui parlent de trahison n'exagèrent pas, car si les choix et le leader étaient différents, Jean-Bertrand Aristide aurait été la rampe de lancement du changement, de la modernisation et du progrès haïtien. Dommage pour Haïti, car loin de là, Aristide nous a fait perdre notre temps, des opportunités, à la place du progrès économique et social nous accumulons plus de retard et pire, nous avons aussi perdu notre souveraineté en faisant l'étranger s'installer comme tuteur-protecteur et arbitre de nos inlassables conflits...

Si les jeunes de moins de trente ans semblent assez incultes en histoire jusqu'à applaudir Duvalier, c'est parce qu'ils n'ont pas lu les livres témoignages sur les cachots infernaux de Duvalier, c'est parce par défaut de la constitution de la mémoire, des archives et de la documentation publique de ces trois décennies de pouvoir autoritaire et dictatorial, Fort-Dimanche ici et Fort Saint-Michel au Cap-Haïtien et d'autres centres de tortures et d'exécution d'opposants à travers le pays n'ont pas été préservés pour héberger des musées du souvenir de cette période de terreur. Ils n'ont pas entendu l'histoire orale sur ce qui s'est passé à Casale avec les jeunes militants du mouvement communiste, ils n'ont jamais sans doute entendu parler de l'exécution des dix-neuf officiers de l'Armée le 8 juin 1967, ni des sorties sanguinaires appelées '' les Vêpres de Jérémie'' contre certaines familles, ni de l'exécution de Drouin, Numa et des autres braves de ''Jeune Haïti''. Ils ne connaissent sans doute pas le nom de Richard Brisson dont les photos les poignets attachés d'une corde révèlent qu'il a été capturé vivant mais pourtant présenté mort sur le front dans des échanges avec l'Armée dans le Nord-Ouest... Ils doivent ignorer les noms de certains sbires du régime qui avaient droit de vie et de mort sur les citoyens, droit dont ils ne s'en privaient pas... Personne n'a dû leur avoir conté la peur, les sueurs froides et le stress vécus par les familles à la vue des sombres DKW a Port-au-Prince, de la Patrol blanche de la Préfecture du Cap vers la fin de la décennie 60 dans lesquels circulaient ces marchands de la mort qui espionnaient, surveillaient, traquaient les ''yeux inconnus''... Le système à part de très rares cas n'a pas su ou voulu demander des comptes immédiatement après le 7 février 1986, car tout jugement du duvaliérisme était aussi le jugement des nouvelles autorités successeurs de Duvalier...

Cette méconnaissance du régime des Duvalier et de ses exactions n'est pas pareille dans le cas du régime Lavalassien. Les jeunes de la tranche d'âge en question ont été témoins et dans bien des cas, acteurs de la période Aristidienne. Les noms des protagonistes ont dominé la scène et tous les hommes de mains, les militants de la base qui ont semé la terreur pendant la période 2001-2004 sont des figures connues. On les a tellement vus à la télé et à la tête de toutes les mobilisations en faveur du régime qu'ils sont devenus familiers de l'opinion publique. Ils sont les acteurs de l'histoire immédiate, l'histoire que nous avons vécu hier et ils continuent de s'illustrer aujourd'hui de la même façon...
Il est certain que dans vingt-cinq ans, si nous continuons à délaisser le devoir de mémoire, leurs enfants ne sauront rien de ces tristes personnages. Et eux, parents, déploreront comme on le fait aujourd'hui la déconstruction des archives pour restituer le vécu social et politique des actuelles périodes...

Terrorisme d'État/ État délinquant

Ni Duvalier ni Aristide ne sont la solution aujourd'hui. Ils ont eu leur tour et partagent quelque part la responsabilité de l'état actuel du pays. Après trente ans de pouvoir, au départ de la dictature, le pays trainait un taux d'analphabétisme de 80%, pas de logements sociaux et tout se concentrait à Port-au-Prince aujourd'hui victime de cette centralisation à outrance. Après Duvalier, on n'a pas construit de nouvelles infrastructures d'envergure pour mettre le pays sur la voie du développement. Les tenants de l'heure ont préféré semer la discorde qui leur est retourné à la figure comme un boomerang. Aucun acquis social, aucun projet de modernisation, aucune volonté de rupture évidente avec le système. Le modèle duvalierien demeure le moule à modeler du comportement des détenteurs de pouvoir avec en moins la répression et en plus la jouissance des libertés publiques qui sont des acquis irréversibles. La grande majorité si elle est devenue citoyen avec la jouissance de son droit de vote après Duvalier n'a pas pour autant accès aux services de base. La vie continue d'être infecte dans les bidonvilles qui sont devenues la porte d'entrée des zones jadis élégantes mais défigurées par la présence du commerce informel tous azimuts des masses qui siègent à côté et dont le moyen de survie est la vente de toutes sortes de produits recyclés, des vêtements aux matelas et à l'inimaginable... Voilà Haïti de Duvalier à Aristide, aucune évolution quant à la manipulation des masses jadis macoute et désormais chimè avec une évolution qui va du militantisme bon enfant des premiers moments de 91 au grand banditisme et au crime organisé comme on l'a vécu dramatiquement pendant la période connue sous le nom d'Opération Bagdad avec des bandits qui terrorisaient le pays dans des fiefs baptisés zones de non droit... Et tout un cortège de crimes jusque-là restés impunis...L'impunité, la mamelle de l'insécurité qui va d'une simple velléité de délinquance à la pure expression du terrorisme d'État sous Duvalier et de l'État délinquant sous Aristide.

Produits expirés / effets nocifs...

Haïti doit sortir de cette léthargie dans laquelle des dirigeants incompétents l'ont plongée et faisant que même la fonction de réfléchir est sous-traitée avec les tuteurs de la communauté internationale. Les anciens dirigeants qui n'ont pas eu le souci du progrès de notre pays et de notre peuple sont comme des produits avariés dont l'usage est déconseillé à cause des effets nocifs sur notre santé. Quand un produit arrive à expiration, indépendamment de la date où on l'a acheté sans l'avoir mis à contribution à temps, nous n'avons d'autre choix que de le jeter à la poubelle ! On pourra médire autant que l'on veut de la classe politique et des limites de ses leaders. Si elle a certes besoin de se renouveler, autant favoriser dans ses rangs ou hors de ses rangs, l'émergence des nouvelles figures aptes à diriger notre pays selon de nouvelles aspirations et une nouvelle vision plus en conformité avec notre siècle et conformément aux besoins de changement de la nation entière. Nous avons dans les nouvelles générations de bien meilleures options que le recyclage d'anciens leaders dont nous connaissons déjà le profil et que l'on a vu assez longtemps à l'oeuvre pour connaître leur degré d'utilité... Haïti, aujourd'hui doit avoir les yeux fixés sur son avenir san gade dèyè...Nous avons besoin de ruptures en tout pour avancer autrement...

mardi 8 février 2011

LA CRISE POLITIQUE HAITIENNE EST-ELLE TERMINEE

La crise politique haïtienne est elle terminée ?
Par Christophe Wargny

Maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), Paris. Auteur de Haïti n’existe pas. Deux cents ans de solitude, nouvelle édition, Autrement, Paris, 2008.

Jude Célestin, c’était le candidat du président René Préval lors des élections présidentielles du 28 novembre 2010. Un homme falot et dévoué à son présidentiel tuteur. Celui-ci espérait-il, dans l’ombre, gouverner encore ou s’assurer de l’impunité face à de lourdes accusations de corruption, antérieures au séisme ? Malgré des moyens énormes, ceux de l’Etat, et de multiples manœuvres de fraude et d’intimidation le jour du scrutin, malgré un Conseil électoral provisoire (CEP) dévoué au président, M. Célestin n’est arrivé que second, au coude à coude avec le troisième, le chanteur Michel Martelly, dit Sweet Micky. Le taux d’abstention a été proche de 80 %. C’est dire à quel point les Haïtiens, victimes ou non du séisme, sentaient mal l’enjeu électoral.

Même la « communauté internationale », toujours pressée depuis 25 ans d’organiser les élections qui-vont-remettre-le-pays-sur-les-rails, a trouvé à redire. Le parti au pouvoir, Unité, n’a pas réussi à sauver les apparences, d’autant que la rue a plusieurs fois grondé contre les tripatouillages. L’Organisation des Etats américains (OEA) a été chargée d’un vague recomptage. Qui élimine finalement le candidat du pouvoir. Après 15 jours de tergiversations et une tentative de diversion, qui n’est peut-être pas la dernière (après le retour de Jean-Claude Duvalier, le dictateur renversé en 1986), le clan Préval, divisé, isolé et sous pression de l’ONU, paraît avoir cédé.

Comme le Conseil électoral l’a confirmé le 3 février, le second tour des présidentielles opposera donc le 19 mars, quatre mois après le premier, Mirlande Manigat, juriste libérale qui a surtout les faveurs de la classe moyenne – mais qui n’a jamais été aux affaires –, à Sweet Micky, plus connu dans les classes populaires urbaines, sans programme cohérent, mais pas sans passé. Jeune dealer duvaliériste, il n’a condamné aucune des dictatures qui se sont succédé depuis 1986. « Arrivé au pouvoir, j’aimerais que tous les anciens présidents deviennent mes conseillers afin de profiter de leur expérience », a-t-il déclaré au quotidien Le Nouvelliste. On imagine autour d’une table les généraux Namphy, Avril et Cédras, les civils Aristide et Préval… Sur fond de reconstruction qui ne commence pas et de choléra qui poursuit son inexorable hécatombe, le choix s’annonce dramatique, d’autant que le populisme de Sweet Micky est sans bornes. Beaucoup d’Haïtiens, qui n’attendent rien de la classe politique, pourraient être tentés par un homme « neuf », même s’il est sans doute connecté avec les pires malfrats de la politique et de l’économie.

La crise politique est loin d’être réglée, dans un pays où les situations de ce type sont fréquentes et longues. Les politiciens haïtiens, qui ne souffrent pas directement de la situation calamiteuse de l’Etat, ont un art consommé de la pratique du dilatoire (l’absence de compromis ou de décision). Restent beaucoup d’inconnues avant le probable second tour du mois de mars. Et après.

L’élection concerne aussi les députés et une partie des sénateurs. Les irrégularités, nombreuses, seront-elles résolues à temps, par un Conseil électoral aux ordres du parti Unité ? La majorité des assemblées sera probablement défavorable au nouveau président, dans un pays où cohabitation et compromis fonctionnent rarement. Le mandat du président Préval s’achève le 7 février (date historique et quasi-mythique de la chute de M. Duvalier). Ce dernier a bien tenté de faire voter une loi (bien peu constitutionnelle) prolongeant éventuellement de trois mois son mandat. Comment régler l’intermède quand l’impopularité du président et l’exaspération populaire atteignent des sommets ? Qui canalisera la probable protestation ? René Préval rejoindra-t-il dans l’exil la majorité de ses devanciers ? Quelle sera la réaction des autres candidats à la présidence, éliminés, mais qui ne reconnaissent pas la validité d’un premier tour réalisé dans des conditions déplorables ? Que faire de Jean-Claude Duvalier, quasi-libre en Haïti ? Comment éviter le retour de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, dont la popularité grimpe à mesure que le pays s’enfonce ? Même si les Etats-Unis n’en veulent surtout pas et si ses lieutenants sont divisés…

La participation populaire, enfin, donnera-t-elle une vraie légitimité aux élus, dans un pays où les candidats ne concourent pas du tout à armes égales, ce dont les Nations unies se gardent bien de parler ? La tactique politique à court terme prévaut sur la reconstruction — même si la gestion de cette reconstruction (ou les bénéfices que peuvent en tirer les élites mafieuses) est au cœur du débat. La communauté internationale, qui peine à honorer ses engagements, pourrait trouver un moyen imparable de les différer : l’absence d’interlocuteurs politiques fiables et légitimes en Haïti. Avec, comme conséquence probable, la prolongation des conditions de vie infra-humaines d’une bonne moitié de la population.

« Refonder Haïti », on en est loin. L’écrivain Gary Victor dénonçait il y a peu « cet éternel chassé-croisé pour le pouvoir entre rivaux dans la médiocrité, la délinquance, la corruption, conduisant à la banalisation de la démence et à l’exclusion de larges secteurs et d’un peuple qui résiste ». Encore une fois, depuis 25 ans, ceux qui exercent leur tutelle sur Haïti font semblant de croire que la démocratie formelle, restreinte (sauf en 1990, avec l’éphémère victoire d’Aristide) aux professionnels de la politique, était la démocratie. En marginalisant les plus démunis et leurs organisations, et en repoussant à plus tard un investissement massif dans l’éducation citoyenne, et dans l’éducation tout court. En 25 ans, on aurait pu avancer dans ce pays, toujours lanterne rouge mondiale quant au rôle de l’Etat dans l’éducation.

http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-02-04-La-crise-politique-haitienne-est
février 2011