samedi 23 février 2013

ACTUALITES POLITIQUES: GRANDES LIGNES

Thèmes de l’Émission de la semaine - Orlando le 22 février, 2013 - Actualités Politiques : Grandes Lignes – ROBERT BENODIN - Certes, comparé à l’énorme accumulation d’innombrables crises non-résolues qui gruge ce pays depuis 55 ans, l’incident d’exclusion de groupe musical du cortège carnavalesque du Cap-Haitien, paraît insignifiant et banal. Cependant, il y a des signes et des indices déjà vus et vécus, qui ne trompent pas. Qui fait revenir à la mémoire collective des réminiscences définitivement inquiétantes, quand on comprend ce qui sous-tend ces impulsions et leurs conséquences. Il y a des mises en garde avec un certain ton, avec une certaine expression d’autorité, qui dévoilent clairement, certains penchants, certains réflexes tendancieux. La réaction musclée de Martelly, corrobore avec éloquence le fait que ses mesures draconiennes de censure révèlent et montrent que la critique a sans aucun doute atteint sa cible, dénonçant les lacunes du gouvernement. Il y a de fait, un ras-le-bol, qui s’exprime clairement à travers la lyrique de ces méringues carnavalesques. Elles sont l’expression rythmée et répétitive à travers le refrain, articulant et ponctuant une frustration générale qui n’est pas des moindres. Musicien de profession et un peu egocentrique, devenu chef d’état, croit-il puérilement que tous musiciens devraient éprouver envers lui un sentiment de loyauté collective inébranlable ? Pris de cours et à rebrousse-poil dans son propre domaine, la musique, Martelly a mal réagi, laissant libre cours à ses réflexes autoritaires, qui n’est qu’un aveu incontestable de sa désillusion ! Intervenu trop tard, après que la liste des participants ait été dressée. Voilà indubitablement la gaffe qui a provoqué ce scandale. Il lui fallait prévenir, garder ses distances et passer des instructions avant la création de la liste. Timing et tact en politique, sont fondamentaux. On est en train de percevoir un profile inquiétant qui se dégage depuis peu, montrant clairement un chef d’état qui prend graduellement les plis de ses prédécesseurs. Et qui s’y accommode avec aise et confort. De fait, il ne reste que très peu, qui peut encore le distinguer de ses prédécesseurs. Le réflexe autoritaire s’est définitivement manifesté sans équivoque, particulièrement dans un domaine que Martelly a dominé pendant longtemps, en tant que musicien. Aujourd’hui président, il tient encore à exercer cette dominance d’antan dans un domaine qu’il aurait dû dépasser, vu les circonstances ! Est-ce un cas de fausse conscience ? A-t-il encore des difficultés à prendre conscience que ce ne soit plus, ni sa profession, ni son domaine, ni son rôle ? Malgré les apparences, il paraît n’avoir pas grandi. Après presque 2 ans à la présidence, il est encore en porte-à-faux entre chef d’état et chef de bande ! Où se sent-il le plus à l’aise, ne peut plus être la question ? Dans ces circonstances, on est bien obligé de se rappeler le fait, que ce soit par le biais de la transposition d’une popularité acquise dans le domaine de la musique, en politique, que Martelly ait été catapulté au pouvoir. Comme ce fut le cas, 20 ans plus tôt pour Aristide, dont la popularité acquise dans la prêtrise, a été transposée en politique, en guise de légitimité politique ! Cependant, il faut bien se rappeler que ce soit l’Eglise qui a dû rompre avec Aristide, et non l’inverse. S’attacher au point d’ancrage et d’origine qui vous a façonné, où on se sent naturellement plus confortable, est compréhensible. Cependant, il est important d’être conscient quand dans sa vie, on a l’exceptionnelle opportunité de faire un tel saut qualitatif, de ne pas retourner en arrière, où on se sent plus confortable. Il faut embrasser le présent dans sa totalité et dans toutes ses nuances. Devenir le nouveau personnage que l’on est, pour arriver à gérer son nouveau rôle avec maestria. Voilà la tâche à laquelle on doit s’adonner corps et âme ! Pour Martelly, la célébration du carnaval dans une grande ville autre que Port-au-Prince, chaque année dans un département différent, est une stratégie politique d’expansion et de maintien de sa popularité (légitimité). C’est aussi l’expression simpliste d’une volonté de décentralisation. Mais, dans son esprit, il est en charge et en contrôle de cette stratégie. Alors que l’organisation du carnaval soit une fonction qui relève exclusivement de la municipalité. Certes c’est lui qui a pris cette décision de célébrer le carnaval dans différentes villes chaque année. Mais il ne lui revient pas pour autant d’en micro-gérer l’exécution ! A la présidence, il faut apprendre et savoir maintenir ses distances et déléguer, bien sûr avec des instructions. Malheureusement cette décision draconienne de censure, après que la municipalité du Cap-Haïtien ait inclus cette bande musicale dans la liste des participants, a mis en exergue le caractère possessif, autoritaire et obstiné de Martelly. Cela démontre aussi un certain crétinisme de sa part, dans sa volonté de micro-gérer les festivités carnavalesques. Même dans un domaine qu’il veut encore garder comme le sien, il n’a pas jugé nécessaire qu’il fallait à l’avance donner à la mairie des instructions bien spécifiques, établissant la liste des participants, pour ne pas avoir de mauvaises surprises, d’une part. Mais d’autre part, être forcé personnellement d’intervenir post-mortem. Il fallait prévenir pour éviter un tel scandale. Gouverner ce n’est pas prévoir ? Il y a un autre aspect important de cet incident qui révèle un point crucial à prendre en considération. Alors que Martelly s’est senti contraint par le besoin de frapper du poing sur la table pour faire valoir la prépondérance de son autorité, en assumant publiquement à la radio, sa décision d’exclusion de groupe musical de la liste des participants au cortège carnavalesque. Ce que cet acte a révélé en outre, avec un peu plus de clarté, est un contraste frappant et édifiant entre deux réalités politiques de deux époques différentes. Cet incident a dévoilé clairement que Martelly n’ait pas encore atteint le niveau de contrôle absolu, ni le niveau de prépondérance d’un pouvoir politique, lui permettant de s’imposer sans effort, par le biais traditionnel de l’internalisation de la peur, à l’instar de ses deux prédécesseurs, Duvalier et Aristide. Si c’était ces deux dictateurs, éprouveraient-ils la nécessité d’aller à la radio personnellement pour déclarer, assumer et renforcer une telle décision ? Absolument pas ! Ils n’auraient qu’à passer l’ordre à un subalterne. Et ce serait non-seulement fait immédiatement, mais automatiquement accepté et entériné dans le silence le plus absolu par toute la société. De plus, en réaction, on aurait ressenti instinctivement l’obligation de s’écarter le plus vite et le plus loin possible de ces exclus pour ne pas être soupçonné de complicité ou de sympathie. Aujourd’hui, avec Martelly, on constate exactement l’effet contraire. On sympathise. On se rapproche des exclus. Mieux on les défend. Or à la lumière de ce contraste, peut-on oser croire, que ce soit seulement une lueur de possibilité d’émancipation ? Ou mieux, que l’on soit enfin sur la voie, prêt à franchir le seuil de l’émancipation de l’ère traditionnelle de l’internalisation de la peur ? Réciproquement, est-ce aussi, parce que Martelly n’ayant jusqu'à présent que l’ambition d’atteindre ce plateau traditionnel, n’est pas encore arrivé à acquérir les moyens d’une telle politique ? Face à l’évidence de ce que l’on est en train de constater, est-il possible d’obvier et de faire obstacle à la possibilité d’un retour probable à la condition traditionnelle d’internalisation de la peur ? Compte tenu des tendances autoritaires que Martelly est en train de montrer manifestement à l’avant-scène politique à chaque opportunité qui s’offre à lui et l’effort qu’il est en train de déployer énergiquement pour y parvenir. Que faire pour prévenir et obvier à cette régression ? C’est une opportunité qu’il ne faut pas seulement saisir, mais empoigner avec vigueur et ténacité !