jeudi 9 mai 2013

CHANGEMENT ET RUPTURE: NI DUVALIER NI ARISTIDE: CE SONT LES DEUX FACES DE LA MEME MEDAILLE

Le Nouvelliste | Publié le : jeudi 02 mai 2013 Changement et rupture: ni Duvalier ni Aristide : ce sont les deux faces de la même médaille ! Auteur:Georgemain PROPHETE Quartier-Morin Par : Georgemain PROPHETE* 29 avril 2013 Je suis né à la fin du règne de Paul Eugène Magloire. J'ai grandi sous celui de Duvalier père. Il n'y a pas vraiment grand-chose dont je me souvienne si ce n'est qu'à la mort de François Duvalier, nous avions eu peur même de chuchoter la nouvelle. Peur que ce ne fût qu'une rumeur comme il y en eut tant d'autres à cette époque. Si nous colportions la nouvelle et que ce n'était pas vrai, nous courrions le risque de très grandes représailles. J'ai commencé à avoir une conscience de la chose politique sous Jean-Claude Duvalier. Son père avait fait la révolution politique alors que lui, disait-il, nous promettait la révolution économique. Nous étions très excités à l'idée de cette transformation économique et étions très curieux de voir à quoi ressemblait un président à vie. Et quand, en 1971, il fit sa première visite officielle au Cap-Haïtien, nous étions en nombre imposant, sur la place de la Douane, pour le voir de près et écouter son discours. Nous étions jeunes, enthousiastes et pleins de rêves pour ce pays. Puis se succédèrent des évènements en cascade qui ont changé le cours de choses en Haïti : l'assassinat de Gasner Raymond en juin 1976, la rafle des journalistes du 28 novembre 1980, la visite du pape Jean-Paul II en Haïti et le départ de la famille présidentielle pour la France à l'aube de ce vendredi 7 février 1986 pour un exil qui aura duré 25 ans. Le début de la transition J'étais dans les rues ce vendredi 7 février 1986 devant le palais national, pour assister à l'intronisation du Conseil national de gouvernement, puis aux Gonaïves le mardi 11 février pour participer à la célébration de la naissance de la Nouvelle Haïti, Haïti Libérée, comme nous l'appelions et, enfin le mardi 25 février pour la montée du bicolore bleu et rouge en remplacement du drapeau noir et rouge. J'ai suivi, avec beaucoup d'intérêt, les péripéties du CNG pour mettre en place le premier Conseil électoral provisoire (CEP), en particulier les échanges entre feu Me François Saint-Fleur, ministre de la Justice et Jean L. Dominique qui, par une simple intervention au cours de la conférence de presse du gouvernement pour présenter la loi électorale, a changé le cours des évènements politiques en Haïti. J'ai suivi le massacre de la ruelle Vaillant, l'instrumentalisation de ses conséquences politiques et la décision de ne pas proclamer Me Gérard Gourgue, président élu de la République. J'ai suivi la mascarade du dimanche 18 janvier 1988 qui a vu le professeur Leslie François Manigat nommé président de la République au grand dam d'un autre candidat moins disant. Quatre (4) mois plus tard, il a été renversé alors qu'il festoyait en compagnie des siens. On rapporte qu'il n'avait rien vu venir. J'ai suivi le coup d'État qui a porté au pouvoir l'autoproclamé général-président Prosper Avril, le 18 septembre 1988 et le déchoukaj en règle qui s'en est suivi : capitaines, colonels, généraux et plusieurs hauts gradés de la défunte armée ont laissé leur peau et leur grade au cours de ces moments mouvementés de notre histoire. J'ai suivi la tentative de coup d'État des colonels Rébu, Qualo et Biamby et la guerre militaro-militaire qui s'en est suivie. D'un côté, les unités militaires du palais appuyés par le Corps des Engins lourds, de l'autre, les Casernes Dessalines et le Corps de Léopards. Le général-président gagna la bataille, mais cet affrontement aura laissé des fissures profondes au sein de l'institution militaire. C'était la goutte d'eau qui allait faire déverser le verre des Forces armées d'Haïti. Le compte à rebours a alors commencé. La descente aux enfers pour nos militaires était devenue inéluctable. Ça fait 19 ans que cela dure ! Et quand, Clarens Renois, éminent journaliste de Radio Métropole, a été reçu dans les bureaux du général-président pour une interview sur la dégradation de la situation politique et que le général Avril a suggéré qu'une démonstration des forces du béton (mobilisation de masse dans les rues de la capitale) lui suffisait pour remettre le pouvoir, le général Abraham n'avait qu'à se frotter les mains. Les portes du pouvoir intérimaire lui étaient grandes ouvertes. Il y siégera, en effet, pendant 72 heures : le temps de désigner un successeur au général-président. Il fallait quelqu'un qui acceptât d'organiser des élections libres, honnêtes et démocratiques en Haïti. Madame Ertha Pascal Trouillot accepta de relever le défi et reçut l'intronisation des mains du général Abraham. On se rappelle ces paroles célèbres du général au garde-à-vous : Madame la présidente, les Forces armées d'Haïti sont à vos ordres ! J'ai eu le privilège et l'honneur d'être reçu au palais national par cette grande dame dans le cadre des démarches pour la participation du FICA au championnat des Clubs champions de la CONCACAF. Ce fut un moment exceptionnel. Le paysage politique haïtien pâtit du manque de ces êtres humbles de tempérament, mais forts de caractère et de personnalité qui respectent la parole donnée, c'est-à-dire qui cultivent cette noble qualité de s'en tenir à leurs engagements quand ils les ont pris. Elle avait promis d'organiser les élections. Elle les a organisées en dépit des difficultés de tous ordres rencontrées sur sa route, en dépit des défections au sein de son gouvernement, en dépit du coup d'État manqué du 7 janvier 1991, en dépit du déchoucage qui a suivi ce putsch manqué, en dépit du risque personnel qu'elle encourait, vu les circonstances de l'époque. Après coup, elle témoignera au micro de Valéry Numa, sur Radio Vision 2000, que sa plus grande peine est qu'elle soit obligée de porter, encore aujourd'hui sur le dos, une tâche rouge sur sa robe immaculée. Elle faisait référence à son arrestation et son emprisonnement au pénitencier national après avoir passé le pouvoir à Jean-Bertrand Aristide. L'élection d'Aristide et le régime lavalas : ce devait la fin de la Transition ! Recruté sur concours, en mars 1976, comme beaucoup d'autres qui, comme moi, ont fréquenté l'École nationale des douanes, je suis de la génération de douaniers d'expérience tels que : Edouard Vales Jean-Laurent et Jean Jacques Valentin, tous les deux plusieurs fois directeur général des Douanes, Fritz Deshommes, actuel vice-recteur à l'Université d'État d'Haïti, Allrich Nicolas, boursier du gouvernement allemand, ancien ambassadeur d'Haïti en Allemagne et ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de madame Michèle Pierre-Louis, le professeur Camille Charlmers, grand altermondialiste de son état, Aliette Joseph, les frères Charles et Serge Audate et j'en passe. En 1990, j'ai profité du fait que l'Administration générale des douanes m'ait refusé une promotion que je croyais me revenir de droit pour demander au directeur général d'alors, mon ami Claude Grand-Pierre, ma mise en disponibilité pour une période indéterminée. La lettre était datée du 4 décembre. Les élections présidentielles étaient programmées pour le 16 décembre. J'ai assisté, à la Barrière Bouteille, à l'entrée triomphale du candidat Jean-Bertrand Aristide au Cap-Haïtien. Après avoir écouté son intervention sur la place Toussaint Louverture de la rue 3 devenue, depuis, le plus grand marché de la ville, il ne faisait aucun doute dans mon esprit que le prêtre des pauvres allait gagner les élections. Le contraste entre son intervention et celui de K-Plim était trop saisissant. Il y avait comme de la magie dans le verbe d'Aristide. J'ai su que j'avais fait le bon choix en démissionnant de la douane parce que l'avalanche qui s'annonçait allait tout emporter sur son passage. Lavalas est effectivement arrivé au pouvoir et a tout balayé, ou presque. En tout cas et juste pour donner une idée des dégâts au niveau de l'administration publique haïtienne, sur les 40 employés qui émargeaient au budget de l'Administration générale des douanes pour le bureau du Cap-Haïtien, une commission a débarqué dans la ville une fin de semaine et a, sans aucun ménagement, aucune forme et aucuns égards, révoqué 39 employés sur les 40 de sorte que, le lundi matin, il était impossible pour la douane de liquider les taxes pour les marchandises importées faute de cadres capables de préparer un bordereau. On a dû repêcher un sous-directeur et un employé pour combler le vide en attendant le recrutement des militants. En cette année 1991, le régime lavalas paraissait solide comme un roc. Sauf qu'à un certain niveau dans les sphères du consensus de Washington, la décision était prise d'en finir avec lui. Ces rumeurs ont été reçues avec beaucoup d'incrédulité que ce soit de la part du pouvoir, encore plus de la part de beaucoup d'observateurs : un président aussi populaire ne pouvait pas être renversé ! Surtout après avoir célébré la réconciliation avec l'Armée qui n'avait, tout de même, pas apprécié la mise à pied des membres de son État-major le jour même et au cours du discours d'investiture du président. Et pourtant, comme Manigat avant lui, le président Aristide a été renversé par le coup d'État du 30 septembre 1991 bien que, contrairement à son prédécesseur et trois (3) ans plus tard, il sera rétabli dans ses fonctions grâce à la diligence du président américain Bill Clinton qui a mis, pour cela, vingt mille (20 000) soldats de l'armée américaine à sa disposition. Le retour d'Aristide : Retour à la case-départ ! J'ai fait la connaissance de Me Emile Jonassaint à Port-de-Paix en 1983. Je venais d'être installé comme directeur de la douane et le directeur sortant a eu l'amabilité de me faire faire un tour de ville. Je fus introduit au patriarche qui prit beaucoup de plaisir à me rappeler qu'il a vécu au Cap-Haïtien dans les années 1940 et fréquenté, lui aussi, le collège Notre-Dame du Perpétuel Secours. Donc, quand il a pris sur lui la décision de laisser entrer les Américains pour éviter le bombardement de Port-au-Prince, comme on l'en menaçait, je savais qu'il avait mesuré toute la gravité de la situation mais réalisé, tout d'un coup, qu'il venait de signer l'acte de capitulation sans avoir reçu un coup de canon, pas même une égratignure. Seulement des menaces. L'une des conséquences évidentes est que l'ancienne armée devait faire place à la nouvelle. C'était aussi simple que cela et les évènements survenus au quartier général de la police du Cap-Haïtien allaient illustrer à cette assertion : Quand vous laissez entrer votre rival dans votre demeure, vous dégagez. Sinon !!! Suite au retour du président Aristide et à la démobilisation des Forces armées d'Haïti qui s'ensuivit, les opérations de déchoukaj ont repris de plus belle sur presque toute l'étendue du territoire, comme aux plus beaux jours. C'est que les différentes armées et missions d'occupation ont toujours répété à qui veut l'entendre que les forces étrangères présentes sur le terrain n'avaient pas pour mission de protéger les Haïtiens encore moins d'interférer dans leurs différends et conflits. Seulement de s'interposer. Et ils ont tenu parole. C'est leur mandat encore aujourd'hui, je pense. Les seules fois que j'ai eu conscience de leur intervention, ce furent pour empêcher que le président Aristide ne s'octroie une prolongation de son mandat en 1995 et exiger la tenue des élections de 2010 sous le mandat du président Préval. Les autres fois, des concours de circonstances ou de petits gestes ou exercices de cooptation des autorités constituées avaient suffi pour leur accorder, sur un plateau d'argent, tout ce qu'elles souhaitaient obtenir. Pourquoi toutes ces polémiques autour des Duvalier et d'Aristide ? Il faut en débattre parce que nos chers anciens présidents, en l'occurrence, François et Jean-Claude Duvalier d'un côté et Jean-Bertrand Aristide, de l'autre, représentent les deux faces de la même médaille. Ils incarnent, chacun à leur manière, le projet d'émancipation manquée des masses haïtiennes après la révolution de 1946. Ce sont deux moments importants de notre histoire de peuple qui ont eu le même objectif, choisi le même itinéraire, appliqué les mêmes méthodes pour, finalement et malheureusement, donner le même résultat : la déconstruction du pays, le naufrage du bateau haïtien. Rappelez-vous le «Naje pou sòti» du président Préval ! Nous devons en parler parce que nous avons réalisé que ni Duvalier, ni Aristide ne sont parvenus à prendre conscience de leur état propre, ni de celui du pays et du peuple. Ils vivent dans un état intermédiaire qui les retient coupés de la réalité des choses terre à terre. Ce n'est pas qu'ils s'en moquent. Ils n'en ont aucune conscience. Nous devons nous en inquiéter et le faire savoir parce que ni Duvalier, ni Aristide n'ont démontré, à ce jour, un quelconque capacité de s'ajuster en fonction des profondes mutations qui se sont opérées dans le monde et des réalités existentielles haïtiennes qui ont transformé l'environnement immédiat dans lequel ils sont revenus vivre. Beaucoup de choses ont changé ! Haïti, aujourd'hui, accueille des sommets de chefs d'État et de gouvernement de la Caraïbe et des Amériques. C'est une transformation majeure de notre image qui mérite d'être encouragée et non d'être banalisée. Nous nous devons de le leur rappeler parce que ni Duvalier, ni Aristide ne veulent accepter le principe de la nécessité du changement de paradigmes entre les gouvernants et les gouvernés, en particulier, du principe de la reddition des comptes, même quand on n'a pas été comptable des deniers publics. Nous sommes plusieurs à penser que leur position et leur fonction passées, l'immense popularité dont ils ont joui à un moment de leur présidence, la fin brutale de leur mandat, la mise à sac de leur demeures respectives et tant d'autres aléas et vicissitudes qui ont marqué leur vie auraient dû les interpeller et les préparer à avoir une nouvelle approche de la réalité haïtienne contemporaine. Peine est de constater, qu'il n'en est rien. Ni pour l'un ni pour l'autre ! Ni chez l'un, ni chez l'autre ! Comment ont-ils pu croire, en effet, qu'ils vont continuer à jouir des privilèges et prérogatives d'anciens présidents sans être disposés à payer la plus petite contrepartie qui est, en cet instant précis de notre vie de peuple, de descendre de leur piédestal. La démystification du statut des détenteurs du pouvoir d'État fait partie du cahier de charges du peuple revendicatif. Elle s'adresse aussi à eux. L'heure est venue pour eux de nous démontrer qu'ils sont prêts à se conformer aux exigences de notre démocratie naissante. S'il y a mandat de comparution devant un juge, le minimum que nous attendons de quiconque, qu'il s'appelle Duvalier ou Aristide, est qu'il se présente le plus humblement du monde pour y répondre. Ces tentatives maladroites de nous distraire pour échapper à la justice constituent de très mauvais précédents pour la construction de l'État de droit que nous appelons tous de nos voeux. Point n'est besoin d'entrer dans le débat sur le fond des choses reprochées à nos anciens présidents, il faut qu'ils se conforment à la procédure. Or, le minimum est qu'ils répondent à toutes les convocations qui leur sont régulièrement signifiées. «Anything less is unacceptable»