jeudi 29 mars 2012

HAITI: IL Y A VINGT-CINQ ANS, UNE NOUVELLE CONSTITUTION ETAIT ADOPTEE

National 28 Mars 2012 (Extrait du "Le Nouvelliste) Haïti: Il y a vingt-cinq ans, une nouvelle Constitution était adoptée Le 29 mars 1987, vêtue de blanc comme tous les citoyens qui, suivant les conseils largement diffusés, avaient décidé d'approuver la nouvelle Constitution, j'avais voté "oui". Il fallait le faire et je ne le regrette pas. C'était un radieux dimanche chargé d'espérances, où résonnait encore l'écho du slogan accrocheur et mobilisateur "Plus jamais ça !". Une vraie fête républicaine, où les citoyens se retrouvaient, en ligne sage et patiente, dans une ambiance presque fraternelle, heureux de participer à cette forme de catharsis chargée de virtualités optimistes. Une nouvelle Constitution était née et il y avait dans l'accueil festif et insouciant qui lui était réservé quelque chose comme une opération d'autosatisfaction qui permettait de la créditer, ne serait-ce qu'un instant, de toutes les vertus curatives, alors que des failles étaient déjà perceptibles. Mais en ce jour solennel, ce n'était pas là l'essentiel et l'émotion patriotique neutralisait les réserves de la froide raison. La mémoire collective retient ainsi la date du 29 mars pour célébrer la Constitution alors que deux autres auraient mieux correspondu à l'orthodoxie juridique : 10 mars, jour de son adoption, à 2h du matin, conformément à la tradition et tel que le rapporte l'émouvant et très utile témoignage de mon ami Georges Michel dans son livre "La Constitution de 1987. Souvenirs d'un constituant"; ou le 28 avril, date de sa publication dans Le Moniteur (No 36 pour la version française et No 36-A pour la version créole), ce qui l'avait rendue désormais exécutoire. Une durée non sans problèmes Un quart de siècle de survie, même chaotique, c'est le record atteint par la dernière en date des 22 Constitutions qui ont jalonné la vie nationale entre 1805 et 1987. Par référence à la durée, elle est devancée d'une courte tête par la Charte de 1816 qui a fonctionné pendant 27 ans jusqu'à la chute de Jean-Pierre Boyer en 1843, et par la doyenne de notre patrimoine, celle de 1889 qui, elle, a bouclé 29 ans, a servi 11 présidents, de Florvil Hyppolite à Sudre Dartiguenave à ses débuts, et organisé 11 législatures, de la 19e à la 29e, et cela sans avoir jamais été amendée malgré cinq tentatives infructueuses (1892, 1898, 1910, 1913, 1916). De ce fait, l'immortelle, comme les historiens l'ont baptisée, est restée vierge et inaltérée jusqu'en 1918. En fait, l'Assemblée constituante où se sont distingués deux éminents juristes de l'époque, Anténor Firmin et Léger Cauvin, est plus retenue comme un extraordinaire moment de science constitutionnelle, et cela jusqu'au milieu du XXe siècle, comme en témoigne l'hommage qui lui a été rendu à l'Assemblée Constituante de 1950, que le texte lui-même qui n'est pas le meilleur produit de notre histoire constitutionnelle. La Constitution de 1987 a traversé pas mal de péripéties depuis son adoption. Imprudemment conçue pour fonctionner en eau calme, elle a affronté les turbulences de notre vie nationale. En effet, comme balise, elle n'affiche pas un palmarès édifiant même si, par ses seules insuffisances, elle ne saurait être rendue comptable des dysfonctionnements dus à des contingences politiques. Mais l'histoire impitoyable et souvent injuste retiendra ceux que, par ses vertus, elle n'a pas pu empêcher. En effet, elle a vu défiler six présidents élus : Manigat, Aristide I, Préval I, Aristide II, Préval II et Martelly. Seul René Préval, à deux reprises, en 2001 et en 2011 a terminé son mandat, une exception remarquable dans un pays où, sur les 42 Chefs d'Etat, monarques et présidents qui se sont succédé, seuls 5 avant lui ont eu cette opportunité (sans compter, évidemment, Christophe qui s'est suicidé, les 6 qui sont morts au pouvoir : Pétion, Guerrier, Riché, Hyppolite, Auguste, Duvalier; et les 4 qui ont été tués : Dessalines, Salnave, Leconte, Guillaume Sam). Ont en effet connu ce destin constitutionnel : Nissage Saget, le premier en 1874, Tiresias Simon Sam en 1902, Sudre Dartiguenave en 1922, Louis Borno (deux mandats) en 1930, Sténio Vincent (deux mandats) en 1941. Mais parallèlement, elle a dû s'accommoder de 7 gouvernements provisoires, dont 3 militaires : Namphy I et II, Avril. L'Article 149 qui organise la vacance n'a jamais été correctement appliqué, car si Joseph Nerette en 1991 et Boniface Alexandre en 2004 étaient bien sortis du vivier de la présidence de la Cour de cassation, ils ont exercé le pouvoir plus longtemps que les trois mois prévus; Ertha Pascal Trouillot n'était pas la juge la mieux placée dans la hiérarchie de la Cour, mais dans le contexte de 1990, elle jouissait du double avantage d'être une femme et d'avoir suivi un parcours professionnel impeccable, ce qui lui conférait l'auréole de la compétence et de l'intégrité. Et Emile Jonassaint, le prestigieux président de l'Assemblée constituante de décembre 1986 à mars 1987, et devenu Président de la Cour de cassation, a conclu en 1994 dans des circonstances irrégulières l'intermède entre deux passages au pouvoir du Président Aristide. La Constitution prescrit un exécutif bicéphale en son Article 133, mais les constituants ne prévoyaient pas un défilé de 16 Premiers ministres, de Martial Célestin en 1988 à Gary Conille en 2011, ce qui rétrécit la fonction et même fait douter de l'efficacité de cette dyarchie qui était censée assurer la stabilité à la tête de l'Etat. Le système en tandem a fonctionné entre 4 mois (Manigat-Celestin) et (Martelly-Conille) et 27 mois (Alexandre-Latortue), alors que René Préval a collaboré, à deux reprises, avec Jacques Édouard Alexis, une première fois pendant 23 mois et une seconde pendant 25 mois. Mais le pays a connu quelques entorses juridiques : Namphy II, Avril, Ertha P. Trouillot, Emile Jonassaint ne se sont pas embarrassés d'un Premier ministre et la présidente Ertha Pascal Trouillot a tout simplement phagocyté un Conseil d'Etat non prévu par les normes constitutionnelles, mais à qui on avait confié la tâche improvisée et juridiquement surprenante et contestable de contrôler son pouvoir; Marc Bazin a occupé la Primature sans un président; et enfin René Préval avait placé le système bicéphale en veilleuse de juin 1997 à mars 1998 en ne nommant pas un Premier ministre. Elle a aussi souffert dans son intégrité. Suspendue au lendemain du coup d'Etat contre le président Leslie Manigat en juin 1988, elle a été rétablie le 13 mars 1989 par le général Prosper Avril, mais amputée de quelques 20 Articles et une ahurissante explication avait été fournie à cette occasion selon laquelle ces dispositions étaient incompatibles avec la forme de son gouvernement. La présidente Ertha Pascal Trouillot la rétablit dans son intégralité quelques mois plus tard. Nouveautés et souffle nouveau La Constitution de 1987 a apporté des dispositions novatrices, à notre patrimoine. La première indication de ce renouveau, nous la trouvons dans le préambule. On comprendra ma légitime fierté à rappeler que le texte fut transmis par le RDNP et qu'il fut adopté sans discussion. Cependant les constituants ont, pour la première fois dans une charte, et fort opportunément, ajouté la Déclaration d'indépendance du 1er janvier 1804, associée, en un symbolisme saisissant, à la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Il n'est pas sans intérêt de souligner l'impact de l'Article 5 qui sonne comme une réparation, car il rompait avec une frilosité empreinte de préjugés qui reléguait le créole, par une litote anonyme, au rang de langue usitée dans le pays, depuis la Constitution de 1843 ou de langue parlée et comprise par la majorité. En 1957, pour la première fois, le mot créole fera son apparition dans une Constitution, mais le français était maintenu comme langue officielle et rendu obligatoire dans les services publics. Dans la Constitution de 1983, on avait bien mentionné le créole comme étant une des langues nationales, mais l'Article 62 avait plombé toute possibilité de reconnaissance constitutionnelle égalitaire en édictant que le français tient lieu de langue officielle de la République d'Haiti. Une concession, voire une commodité, à laquelle la charte de 1987 mettra fin, d'autant qu'à l'Article 40 il sera fait obligation à l'Etat de publier tous les textes officiels dans les deux langues. Force est de reconnaître que cette disposition constitutionnelle est restée lettre morte. Mais le texte aurait pu ajouter cette précision que l'on retrouve à la fin des Conventions internationales adoptées dans plusieurs langues, "chacune d'elles faisant également foi", ce qui donnerait une légitimité normative égalitaire aux deux versions de la Constitution. On peut souligner, dès à présent, que le débat actuel concernant l'amendement mort-né de la Constitution met en évidence, fort opportunément, le fait que seules des versions françaises circulent et que l'on ne fait guère état du texte créole qui lui aussi devrait être amendé afin de respecter l'égalité proclamée à l'Article 5. Il ne s'agit pas seulement d'un problème de sensibilité patriotique pour notre langue nationale, mais aussi d'une question de droit : toute modification d'un texte juridique implique une opération simultanée appliquée à toutes les versions; dans le cas contraire, la révision est frappée de caducité, faute d'être réalisée dans toutes les dimensions de son intégrité juridique. Le texte créole n'est pas une traduction du français; il a été voté et publié séparément dans le journal officiel et il conserve, de ce fait, une authenticité normative autonome. Une générosité exceptionnelle Avec 298 articles (y compris les dispositions transitoires qui sont désormais toutes caduques), elle est la plus prolixe de nos chartes, encore que l'on peut allonger le nombre car le décompte nous révèle que 49 articles sont doubles, générant 98 points; 20 sont triples, entraînant 60 données; 12 sont quadruples, débouchant sur 48 dispositions; 3 sont quintuples, donnant naissance à 15 normes; 3 sont sextuples aboutissant à 18 prescriptions. La palme en ce domaine multiplicateur revient à 5 Articles (35, 36, 121,129, 200) identifiés de 1 à 6 comportant ainsi, chacun, 7 éléments, à l'Article 111 qui en engendre 9 tandis que l'Article 32 caracole en tête avec 10 suivants. Ainsi, nous avons un total de 498 articles, dont 204 seulement sont simples, c'est-à-dire comportant des alinéas, mais pas de subdivisions chiffrées. La structure de la Constitution mérite ainsi d'être un peu plus maîtrisée, ce qui permettrait un recours plus rigoureux à la grammaire juridique et une application plus stricte d'un principe cardinal, la suprématie de la lettre, ce qui est énoncé sur l'esprit, les intentions. On retrouve dans le texte des principes déjà adoptés auparavant et même depuis le XIXe siècle, par exemple dans le large développement des droits et libertés qui parait surprenant, car ils sont déjà indiqués dans le Code pénal et dans le Code d'instruction criminelle. Pas moins de 39 articles organisent la justice alors que les dispositions y afférentes sont déjà en vigueur dans les Codes en usage. Ce délayage peut se comprendre, car après une longue période de dictature il était inévitable de les marteler, au risque de verser dans la redondance inévitable. Ainsi, on ne peut pas justifier la pertinence de l'Article 41-1 qui stipule qu'un Haitien n'a pas besoin d'autorisation pour quitter son pays ou pour revenir en ignorant (ou en ne se souvenant pas) que, sous les Duvalier, un visa de sortie et de retour était nécessaire, une mesure qui a été abrogée seulement quelques semaines après le 7 février 1986. Le délayage des droits alourdit le texte qui prend parfois l'allure d'un décalogue et il méritera d'être un peu aéré. Et l'Article 32 confie, en termes coercitifs, des tâches écrasantes à l'Etat et aux Collectivités territoriales en matière d'éducation, alors que l'énoncé doctrinal de l'idéal aurait suffi, assorti d'un calendrier raisonnable et d'une planification qui tiennent compte de la complexité et de l'ampleur de la question qui ne doit pas être envisagée en termes de propagande, mais avec sérieux. Dans ce domaine, plus que dans d'autres, il s'avère nécessaire de laisser à la loi le soin de mettre en oeuvre les prescriptions constitutionnelles qui ne peuvent pas tout prévoir. Il n'était pas inutile d'interdire le culte de la personnalité en prohibant à l'Article 7 la diffusion des photos sur la monnaie, les timbres, mais aussi dans les rues et les ouvrages d'art, car le narcissisme est une tentation à laquelle cèdent trop souvent les détenteurs du pouvoir d'Etat. Dans ce cas aussi, force est de reconnaître qu'à l'heure actuelle, cette disposition n'est pas observée et que l'on constate une flagrante violation de la Constitution par un véritable débauchage photographique public, une publicité largement mensongère qui irrite plus qu'elle ne renseigne. Un régime mixte insatisfaisant Au niveau de l'aménagement des institutions, l'accent a été mis sur le pouvoir du Parlement, car il s'agissait pour les constituants de limiter les prérogatives présidentielles. C'est la raison pour laquelle la Constitution a jeté les bases d'un régime qui n'est ni présidentiel ni parlementaire et dont une caractéristique essentielle est l'aménagement d'un pouvoir exécutif bicéphale. Certes, c'est avec la révision intervenue en 1985 de la Constitution de 1983 que la Primature fut instaurée, mais le Président Jean-Claude Duvalier n'a jamais nommé un Premier ministre. Mais un débat est ouvert sur le point de savoir si cette dyarchie est fonctionnelle et s'il n'y avait pas un autre moyen de limiter les pouvoirs du président de la République et ainsi de prévenir tout retour à la dictature. Le rétablissement du Sénat, qui fut d'ailleurs le premier Parlement monocaméral du pays entre 1807 et 1816, introduit un élément de rééquilibre entre les deux organes législatifs, mais on peut observer que le système de renouvellement par tiers qui remonte à la Constitution de 1806 et maintenu depuis lors paraît obsolète et coûteux, car il augmente le rythme des élections. Par ailleurs, il est évident que si les deux organes partagent des pouvoirs équivalents, par exemple en ce qui concerne la procédure d'adoption des lois, il y a un gonflement en faveur du Sénat qui détient des prérogatives supplémentaires relatives à la nomination des membres de la Cour de cassation et de ceux de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif. Le langage courant et traditionnel reproduit la prééminence du Sénat appelé volontiers la Chambre Haute, tandis que l'autre est qualifiée de Chambre Basse. Par ailleurs, la décentralisation unanimement réclamée comme une voie conduisant à la démocratie est restée au niveau institutionnel avec d'ailleurs des prérogatives accordées aux Collectivités Territoriales qui ne correspondent pas à leur raison d'être et à la philosophie sur laquelle se construit la nécessaire décentralisation. Ainsi, il ne semble pas opportun d'accorder aux instances prévues le pouvoir de participer à la nomination des juges, tel que l'institue l'Article 175. Mais les réformes normatives envisagées ne sauraient porter atteinte aux principes sur lesquels repose une politique de décentralisation. Dans ce cas aussi, il sera nécessaire d'envisager l'adoption de plusieurs lois d'application pour expliciter, en termes pratiques, les possibilités et les bienfaits de la décentralisation, entre autres, préciser le découpage territorial des unités administratives, les domaines d'intervention de l'Etat et des Collectivités territoriales, la notion d'autonomie financière et les moyens de l'appliquer, la cohabitation d'une fonction publique nationale avec une fonction publique territoriale. Enfin, les constituants ont manifesté le légitime souci de construire un Etat de droit par lequel tous les citoyens, gouvernants et gouvernés seraient soumis aux rigueurs de la Constitution et de la loi. Ainsi, ils ont repris les dispositions relatives à la Haute Cour de Justice en vigueur depuis la Constitution de 1805 et inscrites, en termes variés, dans toutes nos chartes. Mais à cet égard, il convient de faire remarquer qu'avec l'Article 186, tous les détenteurs du pouvoir d'Etat (président, Premier ministre, ministres, membres du CEP et de la CSCCA, juges et officiers du ministère public près la Cour de cassation, protecteur du citoyen) sont passibles de ce tribunal d'exception, sauf les parlementaires, alors qu'au XIXe siècle, eux aussi étaient exposés à être jugés par cette instance, cela jusqu'à la Constitution de 1874. Ainsi, à côté de l'immunité légitime couplée en irresponsabilité et en inviolabilité, ils jouissent d'une impunité dans l'accomplissement de leurs fonctions qui les couvre du manteau de l'absolution préventive dans l'accomplissement de leurs fonctions. Par ailleurs, une précision s'impose en ce qui concerne le président de la République, qui, aux termes de l'Article 186 pt.a peut être mis en accusation pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions. Une interprétation restrictive voudrait faire croire que seuls des délits dénoncés pendant la durée de son mandat entrent dans ce cadre. Toutefois, l'Article 21 définit le crime de haute trahison et inclut la violation de la Constitution; il s'agit de cas imprescriptibles, on pourrait dire intemporels, caractérisés par leur nature et non par le moment où ils se présentent, dans la mesure où même avant d'assumer le pouvoir, un Président peut avoir commis un crime de haute trahison sous la forme d'une violation de la Constitution, mais qui serait rendu public après. On entre ainsi dans le domaine de la nécessaire et salutaire combinaison entre le droit et la morale publique. Ainsi, un citoyen ne saurait se réfugier derrière l'immunité de fonction que semble évoquer l'Article 186 et pourrait être traduit devant la Haute Cour de Justice à n'importe quel moment. Le caractère justiciable, en tant que président, commence avec la prestation de serment et, à cet égard, on peut établir un crime de lèse-Constitution s'il jure de respecter et de faire respecter la Charte (Article 135-1) alors que son élection serait entachée de violation et même de forfaiture. Il n'est pas sans intérêt de rappeler, à ce sujet, que le président américain Richard Nixon avait échappé, en démissionnant, à la destitution en 1974, non parce qu'il avait participé à la lamentable effraction d'un bureau du Parti démocrate dans le célèbre immeuble Watergate, mais parce qu'il avait menti à la Commission sénatoriale chargée de l'enquête sur la question. Il y a ainsi une exigence morale qui s'attache au prestige et à l'intégrité de la présidence de la République en tant qu'institution d'Etat et commande comme premier devoir d'un titulaire potentiel qu'il évite de la souiller par des mensonges et des actes délétères, de quelque nature que ce soit et à quelque moment que ce soit. Une lamentable opportunité ratée Toute Constitution est fille de son temps et, une fois adoptée, elle ne se transforme pas en une bible intouchable. Aussi le texte prévoit la procédure d'amendement caractérisée par deux principes : les prescriptions sont d'application stricte et leur mise en oeuvre doit respecter le temps constitutionnel inséré dans un chronogramme. Notre histoire révèle que nous avons eu recours plus fréquemment à une nouvelle charte qu'à la procédure d'amendement, et seules 6 Constitutions ont été amendées (1846, 1879, 1918, 1935, 1964, 1983). A six reprises (1846, 1858, 1876, 1879, 1946, 1957), on recourut à la remise en vigueur d'une ancienne Constitution afin d'éviter de prolonger une période d'a-constitutionnalité entre la répudiation d'une charte et la gestation d'une nouvelle. On peut faire remarquer qu'un tel recours ne semblait pas opportun en 1986, au motif qu'il s'était avéré délicat de choisir une de nos anciennes Constitutions; ainsi, le pays a vécu de février 1986 à avril 1987 sans Constitution, une situation passablement dangereuse pour la préservation de l'Etat de droit, car le Conseil national de gouvernement jouissait des pleins pouvoirs, un privilège qui sera d'ailleurs confirmé par la Constitution elle-même qui, par l'Article 285-1, lui permettra d'adopter des décrets-lois jusqu'à l'installation des Chambres, alors qu'elle ne reconnaît pas ce droit au pouvoir exécutif. Ainsi, la présente charte a prévu les modalités de l'amendement (Articles 282 à 284-4). Il n'est pas inutile de rappeler brièvement les étapes de la seule tentative de révision effectuée depuis 25 ans. Le 4 septembre 2009, l'exécutif faisait parvenir au Parlement des propositions d'amendement et, le 14 septembre, le dernier jour de la dernière session de la 48e Législature, les deux Chambres les entérinaient séparément, avec une rapidité surprenante qui fait douter de la possibilité d'un examen quelconque. En effet, le procès-verbal des deux séances indique qu'à 6h12, l'appel nominal accusa un quorum de 69 députés et, à 7h, le texte était voté : la séance a donc duré 48 minutes. A 7h19, on enregistra la présence de 22 sénateurs et à 8h tout était bouclé en une séance de 41 minutes. L'exécutif a ainsi publié le 6 octobre dans Le Moniteur les résultats de ces étranges et rapides initiatives réalisées au galop et in extremis. Depuis lors, on assiste à des opérations de rafistolage juridique qui font reculer l'Etat de droit. En effet, conformément aux prévisions, le 9 mai 2011, l'Assemblée nationale de la 49e législature a entériné les amendements et les a transmis à l'exécutif qui les a promulgués puis publiés dans Le Moniteur le 13 mai. Une altération majeure mérite d'être soulignée : la Constitution indique à l'Article 284 que l'amendement ne peut entrer en vigueur qu'après l'installation d'un nouveau président, alors que la loi constitutionnelle publiée indique à l'installation un changement significatif de temps lourd de conséquences. La première préposition souligne la postérité tandis que la seconde la simultanéité. A partir de là, l'actualité s'emballe et on a entendu des parlementaires souligner que le texte publié n'était pas conforme à celui qu'ils avaient adopté et qu'une manipulation coupable était intervenue et, jusqu'à présent, il n'est pas indiqué d'où elle provenait. Le 31 mai 2011, la procédure enregistre un accroc monumental : un arrêté est publié pour rappeler la loi, une monstruosité juridique de taille, car en raison de la hiérarchie des normes, un arrêté ne saurait annuler une Loi placée au-dessus. Par ailleurs, le nouvel exécutif n'a rien à faire avec une procédure d'amendement achevée avec le précédent chef de l'Etat. Le chronogramme précis indique simplement, à l'Article 284-2, que son installation marque le moment de l'entrée en vigueur de l'amendement obtenu. Le hasard chronologique a voulu que deux étapes se soient produites en un chevauchement de jours, celle du vote de l'Assemblée nationale suivie de la publication au Moniteur et celle de l'entrée en fonction d'un nouveau titulaire. Une opération de simulation aurait pu reléguer la seconde des années après, établissant ainsi une nette séparation entre les différentes phases de la procédure entre l'initiative, la discussion, le vote en Chambres séparées, puis en Assemblée nationale, la promulgation et la mise en oeuvre. Et l'évocation qui est faite de l'Article 136 qui stipule que le Président de la République veille à la stabilité des institutions et à l'application de la Constitution ne signifie, en aucun cas, qu'il dispose du pouvoir d'interpréter, voire de modifier, le texte, d'autant que l'Article 150 précise qu'il n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution. Depuis lors, nous avons en circulation limitée trois textes en souffrance de légitimité : celui soumis par l'Assemblée nationale au président Préval et dont aucune copie ne semble avoir été conservée dans les archives du Parlement; la loi publiée dans Le Moniteur le 13 mai 2011; enfin une version dite "corrigée pour erreurs" soumise à l'exécutif aux fins de publication. Entre-temps, un groupe de spécialistes du droit a pris position le 28 février 2012, soulignant, sur deux colonnes, les contradictions, erreurs, altérations entre deux textes: d'un côté, le "Rapport du Bureau du palais législatif des séances de l'Assemblée nationale des 7,8 et 9 mai 2011"; de l'autre une "Loi constitutionnelle pour reproduction pour erreurs matérielles". On est en plein imbroglio et la conséquence qui en découle, du point de vue juridique et pour la préservation de l'Etat de droit, est que la Constitution de 1987 n'a pas été amendée, faute de procédure, et par conséquent elle demeure en exercice et elle est d'ailleurs appliquée dans divers domaines de la vie nationale, malgré ses faiblesses. On peut discuter sur la validité et surtout sur le caractère définitif de la publication au journal officiel, une opération qui généralement clôt la procédure d'adoption des textes de loi. A cet égard, la doctrine et le bon sens devraient intervenir pour souligner qu'en l'absence d'un Conseil constitutionnel qui aurait autorité pour annuler le texte a posteriori, il n'existe pas dans notre système juridique une institution habilitée à le faire. En fait, seul le président René Préval, s'il était encore en fonction, aurait pu opérer le retrait de la loi constitutionnelle; en aucun cas son successeur ne peut s'octroyer le droit de le faire. On se trouve placé dans une situation anachronique de caducité virtuelle d'un texte de loi coincé entre une apparente légitimation et une contestation orchestrée par ceux qui l'ont élaboré. Une sorte d'enfant renié par ses pères et qui survit dans les limbes. Pour entreprendre une nouvelle procédure d'amendement, il faudra attendre la dernière session de la 49e législature, c'est-à-dire le moment constitutionnel entre le deuxième lundi de juin et le deuxième lundi de septembre 2015 et, cette fois, avec sérieux. Mais un agenda de révision peut être élaboré et surtout publié à l'avance afin que les citoyens en prennent conscience, et inclure des questions de grand intérêt national telles que l'admission de la double nationalité, l'assouplissement des conditions pour les postes électifs, la création d'un Conseil constitutionnel et, aux risques de paraître iconoclaste, l'établissement d'un régime présidentiel contrôlé impliquant la suppression de la dyarchie exécutive et donc de la Primature. Lorsque les conditions de la vie nationale le permettront, il sera souhaitable d'envisager un autre terme de l'alternative, mettre sur pied une Assemblée constituante afin de préparer une nouvelle Constitution. Je n'ai jamais caché ma préférence pour une telle opération chirurgicale sans rejeter la procédure d'amendement, mais à condition qu'elle soit menée à terme selon les prescriptions contenues dans la charte. En ce vingt-cinquième anniversaire, c'est l'hommage triste et désabusé à rendre à la Constitution de 1987 : lui préserver son intégrité formelle à défaut de transformer son contenu et lui éviter un lamentable rafistolage de fond. Mirlande MANIGAT