samedi 27 novembre 2010

ENTRE SAVOIR ET DEMOCRATIE... (BONNES FEUILLES 2)

Entre Savoir et Démocratie
Les Luttes de l’Union Nationale des Étudiants haïtiens sous le gouvernement de Duvalier (Bonnes feuilles 2)

samedi 27 novembre 2010

par Leslie Péan *

Soumis à AlterPresse le 15 novembre 2010

Le charbon et la farine

On ne saurait nier l’existence du préjugé de couleur en Haïti, mais en faire la question sociale par excellence en accentuant les horreurs qui en découlent représente une imposture. L’emploi abusif du préjugé de couleur par les noiristes pour prendre le pouvoir politique est diabolique. En citant Jean Price-Mars, l’UNEH fait une critique de la propagande noiriste du gouvernement dans le numéro 5 de la Tribune des étudiants, daté du 27 janvier 1961. Notre histoire enseigne que, depuis les luttes pour l’indépendance de 1804, Noirs et Mulâtres ont su surmonter les contradictions racistes et coloristes instituées par la puissance coloniale. Il est absolument faux de croire et de faire croire que les devoirs antagonistes des Blancs, des Mulâtres et des Noirs ont épousé uniquement les lignes de couleur.

Qu’on lise l’Histoire de Toussaint Louverture de Pauléus Sannon [1] pour apprendre que des Blancs, parmi lesquels des curés, des prêtres et des abbés dont le père Corneille Brelle, ont contribué à la préparation de la cérémonie du Bois-Caïman [2]. Nos aïeux, les pères fondateurs de la nation haïtienne, ne se sont pas laissés prendre au piège racialiste, coloriste et discriminatoire des colons français. Ils ont ouvert leurs bras aux 5,000 blancs polonais et 1,000 blancs allemands qui ont rejoint les troupes indigènes dans la guerre de l’Indépendance et versé leur sang pour contribuer à créer Haïti, un projet de liberté ancré dans tous les esprits. Mais s’ils ont su coaliser leurs forces avec d’autres en y acceptant même un Blanc Français comme le colonel Malet, signataire de l’Acte de l’Indépendance d’Haïti, leurs efforts ont été vaincus par le racisme dominant à l’échelle internationale, qui les a ensuite divisés. Ils se retrouvèrent donc comme Sisyphe, poussant le rocher de l’égalité des races et des couleurs, mais prétendant être contraints de le laisser retomber avant d’avoir atteint le sommet.

Lors de la guerre du Sud, le Mulâtre Rigaud avait des Noirs parmi ses partisans dont Lamour Dérance, Goman, Sanglaou et d’autres chefs de bande noirs. Des deux fils de Toussaint Louverture, c’est Placide, le mulâtre, qui le soutient dans la lutte contre la France, tandis qu’Isaac, le noir, appuie et rejoint les Français. Lors de rares élections à la présidence qui furent témoins du duel entre deux candidats mulâtres, Boisrond Canal et Boyer Bazelais en 1876, ou encore entre Boyer Bazelais et Lysius Salomon en 1879, ce sont les considérations financières et non coloristes des milieux affairistes qui primèrent.

Rony Durand, un des économistes de l’école noiriste qui devint doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques en 1986, a disséminé pendant quatre décennies le venin du racisme noiriste dans les têtes des étudiants haïtiens. Exprimant à haute voix le dogme noiriste et le rentrant à coups de marteau dans les consciences de la jeunesse, Rony Durand a complètement évacué la complexité de la question sociale et a déclaré que « la bourgeoisie « mulâtre » qui gouverne Haïti depuis les jours enfiévrés de « l’indépendance » porte la responsabilité historique de notre stagnation [3] ». Et il a du même coup légitimé la corruption financière, le vol des deniers publics et le brigandage des noiristes. Dans son entendement, leur accumulation sauvage est légitime car, dit-il, « la bourgeoisie « noire » a retourné contre la bourgeoisie « mulâtre » ses propres armes. Au demeurant, aucune bourgeoisie n’a les mains pures dans la formation du capital [4] ».

De telles représentations semant la haine et véhiculées par le discours noiriste sont prégnantes dans le corps social. Pour bien saisir comment le peuple haïtien se pense et se représente, il faut aller aux sources réelles de la négrophobie et démystifier l’aliénation de l’homme haïtien (noir et mulâtre), comme Anténor Firmin, dans son magnum opus oparum intitulé De l’égalité des races humaines. La réduction à néant d’Haïti est justement due au triomphe de certaines alliances politiques pernicieuses.

L’alliance infantilisante Duvalier/Rigal, on le sait, a permis d’isoler Louis Déjoie lors de la campagne électorale de 1957. Antoine Rigal fait alors une déclaration révoltante qui provoque la colère de la majorité de l’électorat. En proclamant dans un discours tristement célèbre, « Maintenant toutes les avenues du pouvoir sont encombrées par les ruraux [5] », Antoine Rigal écœure les Noirs, leur donne un goût amer à la bouche et assassine les idéaux d’industrialisation et de développement que représentait Déjoie. Le candidat François Duvalier reprendra pourtant cette phrase méprisante de Rigal pour mettre en marche une machine électorale broyant tout sur son passage. Il l’utilisera comme une lamentation afin que les Noirs adhèrent, même passivement, à sa candidature et voient en lui une raison d’espérer. Duvalier déclamera le message discriminatoire de Rigal au cours de ce fameux discours intitulé « Ils sont devenus fous » et dans lequel il dira :

“Heureux et se congratulant d’être enfin seuls, entre honnêtes gens, entre gens du monde, entre gens de société, débarrassés enfin des « ruraux » que nous sommes, selon l’acrimonieuse et imprudente expression de Me Antoine Rigal, ils ont concerté eux-mêmes, la mise en place de leurs dispositifs d’élimination. Ils sont devenus fous [6].”

Duvalier utilisait Rigal pour créer un fossé irrémédiable entre les masses noires et Déjoie. Le coup allait porter surtout quelques années après le mouvement de 1946, qui a modelé la conscience populaire sur la question de couleur. Rigal sera récompensé par l’attitude bienveillante de François Duvalier à son endroit, jusqu’à sa mort en 1971. Le discours de Rigal a cassé en quelques jours le lien social que Déjoie a construit pendant vingt ans avec la paysannerie noire à Saint Michel de L’Attalaye, aux Cayes, sur ses plantations agricoles. Déjoie se retrouve la victime d’un mulâtrisme qui bloque la cohésion sociale, entretient la méfiance et freine l’exécution d’un projet social collectif. Le mulâtrisme, en charriant la blanchitude occidentale et en mettant des Mulâtres incompétents aux commandes du système politique, des affaires, de l’administration et de la diplomatie, contribue à maintenir la société dans le dénuement tout comme le noirisme, en faisant la promotion de Noirs ignares à des postes de prestige, renforce le préjugé voulant que les Noirs soient incompétents.

Le noirisme boit à la même source coloriste et racialiste que le mulâtrisme en avançant la thèse de l’infériorité congénitale des Mulâtres. Les révocations de Mulâtres en 1946, simplement parce qu’ils sont des Mulâtres, sont aussi exécrables que les pratiques discriminatoires envers les Noirs sous les gouvernements mulâtristes. Les victimes deviennent des bourreaux en adoptant les attitudes et le type de pensée discriminatoires reprochés aux bourreaux. C’est de la mauvaise foi que de vouloir continuer dans la voie de la racialisation des rapports sociaux, que de vouloir l’instauration d’une pyramide sociale toujours basée sur la hiérarchie des couleurs de peau et la structuration coloriste. La vision de l’UNEH, présentée à chaud, combat cette forme de pensée racialiste dans son numéro 5 de Tribune des étudiants, daté du 27 janvier 1961.

Des destructions tous azimuts

Tout au long de l’histoire d’Haïti, le libéralisme en tant que principe sacro-saint de la bourgeoisie a été combattu par le dirigisme d’État appuyé sur la pensée racialiste et coloriste. Les efforts de développement national se sont révélés futiles, qu’ils viennent de l’État ou de l’activité productrice privée, car le minimum de connaissances nécessaires à un tel développement a toujours fait défaut. Les luttes de pouvoir ont surfé sur l’ignorance encouragée et maintenue à travers les manipulations coloristes de toutes sortes. Le combat des adversaires noiristes et mulâtristes s’est poursuivi au détriment de l’entité nationale, qui a périclité pendant deux siècles jusqu’à atteindre aujourd’hui son point d’effondrement, pour utiliser le langage de Jared Diamond [7]. Il y a en effet de sérieux indicateurs qui révèlent l’agonie de la société haïtienne. Cette agonie résulte de l’incapacité des adversaires noiristes et mulâtristes, en lutte pour l’hégémonie, à s’entendre sur un minimum d’objectifs pour répondre aux défis de l’environnement extérieur hostile. La possibilité de la disparition de la civilisation haïtienne, tout comme celle des Vikings démontrée par Jared Diamond, est donc bien réelle. Par-delà les théories fumeuses de l’essence de l’homme noir qui serait d’une radicale altérité par rapport aux autres êtres humains, les brigands de l’école des Griots sont parfaitement conscients de la « nourriture intellectuelle et morale [8] » qu’ils offraient à la population haïtienne, tant dans leur journal Les Griots que dans les autres publications dans lesquels ils exposaient leurs marchandises.

Sous le fallacieux prétexte de la « régénération des grandes masses », François Duvalier et Lorimer Denis utilisent, pour prendre le pouvoir, des processus identitaires et des pratiques mystificatrices qui privilégient la couleur noire de la peau et une certaine apparence physique. Les brigands des Griots s’amusent à brouiller la question sociale par ce que Frantz Fanon, en 1954, a nommé « l’apparente surdétermination par l’ordre « racial » du classement hiérarchique qu’opère la société sur elle-même [9] ». L’hégémonie de la pensée coloriste mulâtriste jusqu’en 1946 et la domination du courant de pensée noiriste qui s’en est suivi ont détruit les possibilités de formation d’une bourgeoisie nationale capable de propulser le développement. Ici encore, l’idéologie des jeunes de l’UNEH, dans l’éditorial du numéro 6 de Tribune des étudiants de juin 1960, a pris le contre-pied en appelant à la mobilisation de la bourgeoisie nationale. En présentant le Problème des classes à travers l’histoire d’Haïti comme leur Mein Kampf, les idéologues noiristes mettaient dans les têtes de la jeunesse les bases fascistes de leur future puissance, mais aussi les bases de l’enterrement de la nation haïtienne. Leur désir de gouverner n’avait d’égal que leur passion d’un pouvoir à retentissement chaotique. Paradoxalement, même des professeurs réputés progressistes recommanderont les thèses pernicieuses des Griots à leurs élèves. Avec un discours à la fois misérabiliste et moderne, la logorrhée de François Duvalier et de Lorimer Denis s’est propagée comme un SIDA de l’esprit. En manipulant l’histoire, les brigands des Griots ont préparé en toute sérénité le naufrage de la nation haïtienne. Leur passion pour le pouvoir a été étalée avec une grande charge affective et une sentimentalité qui ont séduit leurs disciples et que ceux-ci ont intériorisées. Leur œuvre continue de s’insinuer partout où le désespoir règne.

On pourra se demander ad nauseam s’ils savaient qu’ils préparaient les ruines d’Haïti. L’obscurantisme et la déchéance qu’a entraînés la pensée duvaliériste ont perverti la société dans ses valeurs existentielles de base, et il sera trop tard quand Jean Price-Mars [10] ou Roger Dorsinville dénonceront la débilité du discours noiriste. En 1990, Roger Dorsinville écrira :

« Pour ce qui concerne le bilan chez nous de ces trente dernières années, il est tragique, mais facile à établir, si bien qu’il faut espérer n’entendre plus jamais parler de « noirisme » en tant que doctrine ou définition de projets politiques. Le résultat n’est pas seulement la ruine économique, et, sur le délabrement des institutions, l’établissement de l’autorité publique d’une armée de faucons. Il faut surtout déplorer la disparition de toutes les vertus civiques ou morales, ce qu’un auteur étranger [11] a pu décrire « la démocratisation de la corruption [12]. » Les cris du cœur de Price-Mars et de Dorsinville n’auront d’échos que dans les esprits d’une faible minorité d’intellectuels. La fibre nationale était détruite et la tombe de la société haïtienne était déjà creusée. Les pratiques et les conduites nihilistes des tontons macoutes Ti Bobo, Boss Pinte, et autres Ti Cabiche s’étaient déjà propagées. Le pouvoir était remis à la jeunesse des Roger Lafontant et autres briseurs de grève qui attendaient leur tour pour cueillir les fruits mûrs de ce travail commencé en 1932, persuadés à tout jamais que ce qui sied à Haïti, c’est la démocratie des cadavres. Jacques Fourcand dira qu’il vaut mieux faire un Himalaya de cadavres que de perdre le pouvoir. La messe était dite. Faisant le bilan de ce voyage en enfer, Roger Dorsinville écrivait en 1990 : « Cette république qui se déglingue de partout, c’est le résultat de trente ans de Pouvoir Noir [13]. » Il ne croyait pas si bien dire sur cette époque « de nuit, de guerre et de mort » pour employer le langage de Jan Patocka [14]. Mais en laissant de côté l’arrière-fond de cette dégringolade, Roger Dorsinville ne permet pas de comprendre les origines et le déclenchement de ce malheur qui s’est abattu sur la société haïtienne au XXe siècle. Des origines qui ne remontent pas à 30 ans, mais plutôt à 55 ans, c’est-à-dire à 1932. Toutefois, il donne l’ampleur et la dimension de la mort organisée sous le régime duvaliériste :

« Nous avons ouvert la porte à des gens traditionnellement méprisés pour leur bâtardise, dans un pays où la légitimité des imitateurs date tout juste d’hier, et ces bâtards avaient des comptes à régler tous azimuts, y compris entre eux. Ils ont tué, embastillé, avili hommes, femmes et enfants, de cent manières et dans toutes les directions. Quant au paysan, ce noir, prétexte du combat pour le « plus grand nombre », il s’est trouvé plus que jamais trituré par les hommes nouveaux, une « élite lorage calé » sans tradition de bonté, de générosité, de solidarité, acharnée à se laver du souvenir de son abjection de naguère. Dès lors, où était la promesse : « C’est à nous, opprimés, de lutter pour tous les opprimés » ? Et, parce que l’État s’était avili, il y a eu le retour de bâton : la disparition de son autorité civique et morale, l’évacuation de sa pertinence à gouverner, l’instauration pure et simple du banditisme officiel [15]. »

Les brigands voulaient garder le pouvoir en transformant Haïti en un vaste camp de concentration. Ils exécutaient le travail des capos et décidaient de la destruction, de la récupération, de la conservation et de la classification des rebuts d’humanité créés par leur politique mortifère. Les recettes pour détruire l’âme du peuple haïtien seront de plus en plus sophistiquées. Elles passeront par la destruction de la mémoire, des travailleurs, des entrepreneurs, des cochons créoles, de l’armée, de l’intelligentsia, etc. Un anéantissement tous azimuts. Une dévastation sans cesse perfectionnée. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer, pour bien les comprendre, les luttes de l’UNEH, qui représentent un moment crucial du combat de la jeunesse haïtienne contre ceux et celles qui voulaient garder le pouvoir à tout prix. Les jeunes de l’UNEH avaient su reconnaître les caractéristiques fondamentales qui soutenaient le courant des Griots et avaient subodoré leur démarche d’élimination d’une civilisation. Ils firent de leur mieux pour empêcher ces cannibales d’entamer leur festin et la grève de 1960-1961 en est le témoignage fondamental.

[1] Horace Pauléus Sannon, Histoire de Toussaint Louverture, Tome I, Collection Patrimoine, Presses Nationales d’Haïti, 2003, p. 179-188.

[2] Jacques de Cauna, Haïti : L’éternelle révolution. Histoire de sa décolonisation (1789-1804), PRNG Editions Pyremonde, Monein, France, 2009, p. 146.

[3] Rony Durand, Regards sur la croissance économique d’Haïti, Imprimerie des Antilles, 1965, p. 165.

[4] Ibid., p. 117.

[5] Arthur Rouzier, Les belles figures de l’intelligentsia jérémienne. Du temps passé et du présent, Imprimerie Service Multi-Copies, 1986, p. 117.

[6] Colbert Bonhomme, Révolution et contre-révolution en Haïti, op. cit., p. 277.

[7] Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, 2006.

[8] François Duvalier et Lorimer Denis, Le problème des classes…, op. cit. p. 89.

[9] Frantz Fanon, Peaux noires, masques blancs. Paris, Le Seuil, 1954.

[10] Jean Price-Mars, Lettre ouverte à René Piquion sur son « Manuel de la négritude » ; le préjugé de couleur est-il la question sociale ?, Éditions des Antilles, P-au-P, 1967.

[11] André Corten.

[12] Roger Dorsinville, Marche arrière II, Éditions des Antilles, 1990, pp. 223-224.

[13] Ibid, p. 233.

[14] Jan Patocka, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, Verdier, Paris, 1981.

[15] Roger Dorsinville, Marche arrière II, Éditions des Antilles, 1990, p. 223-224.

jeudi 25 novembre 2010

ENTRE SAVOIR AND DEMOCRATIE - LES LUTTES DE L'UNION NATIONALE DES ETUDIANTS SOUS LE GOUVERNEMENT DE DUVALIER (BONNES FEUILLES 1)

mercredi 24 novembre 2010

par Leslie Péan *

Soumis à AlterPresse le 15 novembre 2010

À un moment où l’interrogation sur le devenir haïtien est au centre des débats, ces bonnes feuilles peuvent servir d’aiguillon à la réflexion. Nous publions des extraits de l’ouvrage Entre Savoir et Démocratie — Les Luttes de l’Union Nationale des Étudiants haïtiens sous le gouvernement de Duvalier qui sort chez Mémoire d’Encrier à Montréal à l’occasion du 50e anniversaire de la plus grande et la plus longue grève de l’histoire d’Haïti déclenchée le 22 novembre 1960. Plus de 450 pages avec quatorze des acteurs qui ont écrit ces jours de la résistance du mouvement social. Ces bonnes feuilles sont publiées en deux parties.

Première partie

Un mouvement qui dépasse le simple renversement de gouvernement

Au moment où, à la fin des années 1950, l’Union nationale des étudiants haïtiens (UNEH) prend la relève de la FEUH, le mouvement estudiantin a déjà une expérience pratique de l’activisme politique et a une confiance extrême dans l’efficacité de la grève générale. La grève de 1960-1961 que l’UNEH va déclencher dans un dangereux bras de fer avec le pouvoir va sérieusement secouer l’édifice duvaliériste, sans toutefois le mettre en péril. Une grève dont la répression, « avec son cortège d’emprisonnements, de bastonnades, de défections et de trahisons [1] », a fait éclore la carrière politique des Roger Lafontant, Robert (Bob) Germain, Rony Gilot et autres briseurs de grève, tout en mettant fin au rêve d’une jeunesse de se projeter dans l’avenir. Mais aussi un mouvement qui a fait flotter les drapeaux du civisme, du courage, de la solidarité, de la générosité et des aspirations positives. Un mouvement qui a voulu aller plus loin que le simple renversement d’un gouvernement, pour s’attaquer plutôt à renverser des idées préconçues sur le bien et le mal, le faux et le vrai, le juste et l’injuste.

À travers la chronique des faits qui ont ponctué ces quatre mois d’affrontements douloureux au cours desquels les étudiants ont fortement secoué la structure gouvernementale, nous nous proposons de reconstituer le déroulement d’une des luttes les plus progressistes et les plus périlleuses jamais menées par le mouvement estudiantin en Haïti. Pour tenter de rester fidèle à la trame de ces événements, nous retracerons d’abord le contexte des luttes démocratiques dans le secteur de l’enseignement avec la création de l’Union Nationale des maîtres de l’enseignement secondaire (UNMES). Nous présenterons ensuite l’énoncé des doléances et des aspirations des étudiants. C’est d’ailleurs dans la défense de leurs droits imprescriptibles, à travers la gestion de la défense de leurs camarades arrêtés, que leur activisme devient un événement. Puis, nous verrons de quelle façon certains acteurs de cette période ont interprété ces événements et en ont fait ressortir le caractère et la consistance. Enfin, nous profitons pour rendre un hommage à un frère consanguin, tout en recollant les bribes de l’histoire de la résistance d’une génération qui voulait qu’Haïti soit un pays de droit.

À la fin de Les mots et les choses, Michel Foucault annonce la mort de l’homme qui « s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable. » La destruction écologique en Haïti, où la surface végétale s’est réduite au point de ne couvrir maintenant que 2 % du territoire, semble donner raison à Foucault, du moins en ce qui concerne la mort de la nature, étape annonciatrice de la mort de l’homme. Ce système écologique dominateur consacre la rupture entre l’homme et la nature et propage la mort. Cette incohérence est exprimée ainsi par Délira, le personnage du roman Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain : « Nous mourrons tous, disait-elle, les bêtes, les plantes, les chrétiens vivants ». Roumain et ses camarades essaieront de construire un autre système d’écologie politique avec des réseaux sociaux et mentaux capables de protéger l’environnement. Cette construction passait par la mort d’une certaine idée de l’homme haïtien et par la naissance d’un homme nouveau capable de produire d’autres territoires et d’autres institutions pour monter à l’assaut des citadelles d’iniquité.

Mettre hors de l’eau le nouveau visage dessiné sur le sable

La création de l’Union nationale des étudiants haïtiens (UNEH) constitue un moment important de ce mouvement d’écologie politique qui cherche à réaliser la mort programmée du vieil homme haïtien. L’UNEH renvoie à un univers de valeurs qui vise l’émancipation réelle des vivants et l’affranchissement face à la confusion instaurée par le pouvoir duvaliériste. En soutenant les luttes démocratiques des enseignants amorcées par l’Union Nationale des membres de l’enseignement secondaire (UNMES), l’UNEH les prend au pied de la lettre pour mettre en avant leur contenu significatif et leur donner écho.

Les luttes de l’UNEH constituent d’abord une critique de la politique de l’enseignement et de l’éducation qui, selon elle, est déconnectée de la société et de l’économie. En tant qu’agents de la modernité, les étudiants constituent une force dynamique qui appelle au changement. Leur prise de conscience est susceptible de conduire au changement des processus en vigueur dans la société, mais aussi à de nouvelles façons de faire et de penser. Professeurs et étudiants viennent révéler que la crise de l’enseignement ne peut pas être traitée séparément des problèmes sociaux, politiques et économiques qui affectent Haïti et, par conséquent, en appellent à un changement fondamental pour désenclaver la pensée haïtienne et la diriger vers une réflexion qui sorte de l’arbitraire et qui appuie la promotion des libertés dans tous les domaines.

Les aspirations de l’UNEH à un savoir de qualité et à une démocratie politique rentrent en collision avec la rationalité dictatoriale du gouvernement de François Duvalier. Les tontons macoutes prennent d’assaut la citadelle du savoir en imposant leurs étudiants dans les écoles et universités. Éléments déclencheurs de la dégradation et de la clochardisation du système éducatif. Dans ce haut lieu de la modernité qu’est l’université, les étudiants de l’UNEH revendiquent une organisation du savoir loin des illusions de la pensée noiriste culminant dans la débilité duvaliériste. Une voie sans issue. L’UNEH a défini dans les revendications l’université comme lieu privilégié pour la recherche et l’innovation, en vue de la transformation du pays. Refusant d’accepter de trembler devant les tontons macoutes, les étudiants appellent à un renouvellement de l’organisation de la cité, avec comme objectif ultime celui des pratiques de conception de la vie politique et du pouvoir. Les revendications ne sont pas présentées comme une fin en soi mais comme un point de départ.

Pour construire cette démocratie, ils veulent s’appuyer sur les savoirs scientifiques mais aussi sur le savoir politique des citoyens. C’est dans le travail de repositionnement de l’université entre savoir et démocratie que les étudiants lancent la grève du 22 novembre 1960 pour libérer leurs camarades arrêtés par la gestapo duvaliériste. Cette grève a mis fin au mirage que le duvaliérisme avait projeté afin de séduire les incrédules. Cette réponse à la terreur a été trahie et l’appel insurrectionnel n’a pas trouvé de réponse. Pour étendre le désert dans l’espace haïtien, le duvaliérisme a distillé le désir éperdu du pouvoir noiriste. La descente de la nuit sur Haïti s’est concrétisée. De la corruption des institutions à celle de la citoyenneté.

Les étudiants de l’UNEH ont su montrer ce qu’être citoyen veut dire. En exprimant leur solidarité vis-à-vis de leurs camarades emprisonnés, c’est une autre construction ontologique qui entre en jeu. Le savoir citoyen, soit la responsabilité envers l’Autre, est la condition sine qua non de la modernisation de l’action publique. L’élimination des entraves à la pluralité des savoirs exige la diffusion de cette responsabilité à partir de l’écriture de la grammaire symbolique des compétences. L’expérience de révolte des étudiants de novembre 1960 invite à des discussions de fond. Car la société haïtienne traverse encore le désert aujourd’hui cinquante ans après. Sous le soleil torride de la précarité. Sous la pluie des cyclones. Sous les débris du séisme du 12 janvier 2010. Sous les rebuts des aventuristes occultes qui trahissent les intérêts nationaux et populaires. La résistance active et intelligente des étudiants de l’UNEH contre le fascisme duvaliérien est l’une des plus belles pages de notre histoire contemporaine. D’où la nécessité d’approfondir cette expérience afin de mettre en échec les mensonges d’un système qui demande de s’accommoder d’un présent lamentable.

À la suite de leur premier congrès de mai 1960, la lutte des étudiants de l’UNEH prend son envol avec la correspondance adressée au parlement haïtien en date du 17 juin 1960. À cette époque, Duvalier prend des dispositions pour caporaliser les membres du parlement afin qu’ils ne puissent pas élaborer de lois ou de directives fondamentales, mais qu’ils se conforment plutôt aux préférences de Duvalier et des acteurs de la communauté internationale et des bailleurs de fonds. La prise de décision politique ne dépend alors plus du gouvernement et de son dirigeant, mais de la communauté internationale [2] qui s’arrange, par tous les moyens, pour avoir le dernier mot.

Ainsi, l’organisation d’élections présidentielles n’aboutit pas nécessairement à la stabilité politique. C’est surtout le cas quand la fraude est au rendez-vous et que les résultats ne sont pas fiables. Le bourrage des urnes pour François Duvalier le 22 septembre 1957 a ouvert une période d’instabilité et d’absence de légitimité pour le nouveau gouvernement. Ne pouvant corrompre ses adversaires en leur offrant des postes gouvernementaux, le gouvernement Duvalier va immédiatement opter pour la répression et tenter de trouver une certaine stabilité. Il s’agira d’éradiquer les consciences, de faire perdre aux Haïtiens tout sens des responsabilités historiques en introduisant la torpeur et la peur dans toutes les couches de la population. La paix des cimetières est donc inscrite dans le mouvement qui utilise la corruption et la fraude pour pérenniser l’ordre établi. L’effet direct du coup d’État électoral a été d’orienter la stratégie du gouvernement Duvalier vers l’engagement de fonds pour la sécurité intérieure, au détriment des secteurs sociaux (justice, éducation, santé, infrastructure).

Prendre le pouvoir par la fraude électorale aboutit donc de manière presque inévitable à l’instauration d’un gouvernement dictatorial. Le coup d’État électoral de François Duvalier n’échappe pas à cet ancrage délibéré dans l’arbitraire et le prix payé pour se maintenir au pouvoir s’accompagne de la nécessité, pour le nouveau gouvernement, de mettre la priorité absolue sur sa sécurité. Cette orientation provoque la résistance des étudiants de l’UNEH, qui y voient un tort fait à leur avenir au moment où ils expriment, dans leur correspondance aux Chambres législatives en date du 17 juin 1960, leurs doléances en neuf points dont la construction d’une cité universitaire de 500 chambres, de laboratoires, d’une bibliothèque et d’un restaurant.

Mais l’éducation n’est pas une priorité pour le gouvernement, qui n’y consacre que moins de 1 % du produit intérieur brut (PIB), tandis que les autres pays de la Caraïbe y consacrent tous à peu près 5 %. Le pays affiche donc un taux élevé d’analphabétisme (85 %), alors que la part du lion du budget national, soit 28 % ou encore 10,6 millions de dollars, va à la sécurité publique et à l’armée. Des 19 millions de gourdes qui vont au département de l’Éducation nationale, seulement 1 % est mis à la disposition des 1 200 étudiants et des 200 professeurs d’université. À cette époque, près de 45 % des étudiants sont inscrits en médecine et pharmacie et souvent les diplômés s’expatrient. Les conditions difficiles en milieu rural et le salaire de 250 dollars par mois que gagnent les médecins ont produit l’exode des 200 médecins diplômés au cours de la période 1950-1960 [3].

Le gouvernement de Duvalier a profité de la structure archaïque de la société haïtienne encouragée par un système éducatif dans lequel l’inadéquation entre l’offre d’éducation et la demande (les besoins du développement national) est la règle. Le professeur Max Chancy signale ainsi, dans un ouvrage de 1970, les contradictions du système éducatif haïtien :

« Les anciens préjugés contre le travail manuel, alliés aux conditions dans lesquelles s’est développée la vie économique du pays, ont favorisé de façon incroyable cette prédominance de la formation littéraire en Haïti. C’est ainsi qu’à l’Université d’Haïti en 1968, sur les 1527 étudiants inscrits, plus du tiers, 549, étaient à la Faculté de droit alors que l’effectif de l’École d’agronomie représente 1/39 de l’effectif global – 40 étudiants – moins que l’école de théologie – 46 étudiants. Haïti n’a formé en 35 ans que 200 agronomes alors que chaque année environ 100 étudiants reçoivent leur diplôme de licencié en Droit [4]. »

La destruction de l’intelligentsia et l’identification au nazisme

Duvalier ne voulait pas d’une politique éducative trop élaborée qui aurait pu produire des citoyens en mesure de balayer les poussières toxiques que son courant de pensée avait mis dans les esprits. Mais il n’a pas non plus basculé un beau matin dans une chasse aux intellectuels progressistes. Son combat ininterrompu contre l’excellence remonte toutefois aux années 1932-1940, quand il écrivait des textes grotesques prétendant que « la sentimentalité conditionne toutes les activités du Noir [5]. » Un vrai charabia dénoncé par de vrais intellectuels qui, à l’instar d’Antonio Vieux ou de Jacques Stephen Alexis, parlaient de Duvalier comme d’un « boucanier de la culture [6] » ou encore considéraient les partisans du mouvement des Griots comme des « folkloristes bêlants [7]. »

En reprenant les théories racistes de l’idéologue nazi Alfred Rosenberg, Duvalier a perverti le vaudou en prétendant être le dépositaire des lourds secrets de ce culte. Il a affirmé qu’il en tirait le « vitalisme mystique » qui désignerait l’essence de la race en Haïti. Dans ce sillage, qui prend la race comme unité de référence, Duvalier se veut le porte-drapeau intellectuel et fédérateur des aspirations de la classe moyenne noire. Il le dira lui-même : « Il jaillit de la matrice de la race un de ces leaders qui, dans leur équation personnelle, synthétisent la conscience de cette collectivité [8]. » Tous les intellectuels avisés prendront leur distance vis-à-vis de l’approche mystique de Duvalier et de sa bande. L’école des Griots de Duvalier, qui remonte à la période 1932-1940, réunit un groupe de penseurs parmi lesquels se trouvaient entre autres Lorimer Denis, Louis Diaquoi, Carl Brouard, Clément Magloire Fils, René Piquion et Kléber Georges Jacob. Sous prétexte de trouver une doctrine sociale authentiquement haïtienne, ils ont en commun adopté et propagé les thèses racistes de Georges Montandon en Haïti. Ils ont soutenu que les Haïtiens possédaient des particularités sociales, psychologiques et culturelles spécifiques découlant de leur origine africaine, et que le caractère singulier résultant de ces particularités demandait la formulation d’un système politique dictatorial et autoritaire dans lequel sont absents les éléments tels que la liberté de la presse, les élections libres, l’opposition constitutionnelle et les principes démocratiques. L’école des Griots a disséminé ses idées autour des années 1930 dans un certain nombre de publications dont L’Action Nationale, Haïti Journal, La Relève, L’Assaut, Le Nouvelliste. Elle recevra le soutien de Gérard de Catalogne dans la production d’un fascisme créole adapté aux conditions haïtiennes. Le moteur de ce fascisme sera la création d’une mystique pour mobiliser la jeunesse haïtienne et créer de nouvelles élites professionnelles [9].

Né au Cap-Haïtien au tournant du XXe siècle, Gérard de Catalogne fait ses classes en France, alimenté par le royalisme et la pensée ultraréactionnaire. Disciple de Charles Maurras, ardent défenseur de l’Action Française, Gérard de Catalogne brave vents et marées pour implanter les théories fascistes en Haïti. Pétri de cette idéologie d’extrême droite opposée aux idées démocratiques, Gérard de Catalogne expose ouvertement ses intentions : « Nous ne croyons ni aux droits des peuples, ni aux Droits de l’homme, qui représentent dans le ciel des nuées, des abstractions illogiques [10] … » Il explique aussi que « celui qui dirige les affaires publiques doit rester parfaitement indifférent aux soubresauts d’une multitude souvent inconsciente et toujours ignorante [11] ». Gérard de Catalogne sera de tous les gouvernements jusqu’à celui de François Duvalier et sera le guide spirituel de la révolution duvaliérienne [12]. Pour monopoliser la parole et entraver la compréhension de tout phénomène macro-sociologique, Duvalier décide d’éliminer tous les intellectuels qui ne partagent pas sa théorie énoncée dans son ouvrage Le problème des classes à travers l’histoire d’Haïti. Cet ouvrage, composé d’articles écrits par François Duvalier et Lorimer Denis au cours des années 1946-1947 dans le journal Chantiers, constitue, selon leur disciple Rodolphe Dérose, « le Mein Kampf haïtien de la Nouvelle Période inaugurée depuis le 22 octobre 1957 [13] ». On peut ainsi se faire une idée de la conception nazie et/ou fasciste [14] qu’avaient les brigands de Duvalier de la conduite du pays. Rodolphe Dérose avait probablement entendu Duvalier déclarer que « Hitler fut un grand homme incompris comme moi [15]. »

Mais l’influence du nazisme ne s’arrête pas là. Le slogan duvaliériste « Un seul peuple ! Une seule patrie ! Un seul chef ! » n’est que la traduction française du slogan nazi « Ein Volk ! Ein Reich ! Ein Führer ! » de Hitler. Duvalier était pétri d’hitlérisme au point qu’il référa ouvertement à Gœbbels dans une dédicace faite en 1957 à son ami Antoine Rodolphe Hérard, son propagandiste de la station Radio Port-au-Prince. Il écrivit : « Au Gœbbels de la campagne électorale de 1957, mon ami de toujours Antoine Rodolphe Hérard [16] ». On ne s’étonnera donc pas que Morille Figaro, secrétaire d’État de l’Intérieur, parle de Duvalier comme du « Führer » et que le « SD » (Service de dépistage) soit ainsi nommé d’après le SD hitlérien. On peut aussi comprendre la confusion actuelle quand on sait que le ronron épistémologique duvaliériste des manuels scolaires a servi, pendant plus d’un demi-siècle, à formater les jeunes esprits et à leur faire ânonner les thèses noiristes de l’école des Griots. Et quant aux moins jeunes qui ne voulaient pas internaliser la bêtise, Gérard de Catalogne, dans le quotidien Le Jour, avait proposé dès le 12 novembre 1957 de débarrasser le pays de ces indésirables.

Les thèses noiristes de l’école des Griots alimentèrent les pulsions destructrices des brigands dès 1946. Dix ans plus tard, en 1957, les candidats noirs se braquèrent, puis se coalisèrent, donnant ainsi la victoire à François Duvalier. De toute façon, Duvalier n’avait cessé de tisser sa toile dans l’armée au point où cette dernière sera divisée en deux factions (Léon Cantave contre Pierre Armand) sur la question de couleur. Cette bible du noirisme politique bétonne les principes qui rendront impossible toute distinction entre la croyance vraie et la croyance tenue pour vraie concernant les Mulâtres et les Noirs dans la société haïtienne. Les historiens noiristes, en se voulant les nouveaux gestionnaires de la mémoire nationale, orientent l’opinion dans des directions précises et définissent des règles qui donnent une légitimité à leurs interventions dans le débat politique. On reconnaîtra ici comment les factions rivales renvoient aux pratiques théoriques qui leur sont propres, chacune dans ce que Michel Foucault a appelé son « régime de vérité » :

« Chaque société a son régime de vérité, c’est-à-dire les types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres ; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai [17]. »

Face à la « vérité » mulâtriste renforcée par l’occupation américaine de 1915 à 1946, le noirisme affirme sa « vérité » en établissant son propre système de pouvoir avec ses dispositifs d’exclusion et de domination ainsi que ses effets de subjectivation. En marquant des points dans les milieux intellectuels des classes moyennes, Duvalier et sa bande ont pu convaincre les militaires noiristes que le pays ne devait pas se laisser faire et avaler la pilule d’un président mulâtre. La marchandise du noirisme est manipulée avec dextérité, car les idéologues du gouvernement argumentent qu’ils ont des mulâtres et gens au teint clair dans leurs rangs parmi lesquels Frédéric Duvignaud, Fritz Saint Thébaud, André Théard, Jean Magloire, Marc Charles, Arthur Bonhomme, Rindal Assad, André Simon, Auguste Denizé, Lucien Chauvet, Jules Blanchet, Paul Blanchet, Maurice P. Flambert, Karl Bauduy, Pierre Merceron, France Foucard Saint Victor, etc. La vérité est que la l’idéologie duvaliériste se porte comme un charme en septembre 1957 et que c’est le noirisme qui gagne à la ligne d’arrivée. Laminée par la question de couleur et ballottée entre les quatre principaux candidats aux élections de 1957, la gauche haïtienne est en convalescence à la prise du pouvoir par Duvalier. Duvalier représente l’archétype de ce que Jacques Stephen Alexis nomme le petit bourgeois aigri ayant la nostalgie de salons où il n’est pas invité [18], combattant les vrais intellectuels susceptibles d’utiliser leur connaissance contre son pouvoir. C’est donc à partir de ses représentations antérieures qu’une fois au pouvoir il énonce le discours terrifiant de « bat yo nan tèt » (frappez-les à la tête), car il avait peur des vrais intellectuels qui le disqualifiaient et proposaient pour Haïti une autre direction et une autre gestion. Appliquant sa théorie farfelue que les intellectuels des classes bourgeoises et moyennes constituent le sommet de la pyramide sociale, suivis « par la bourgeoisie, la classe moyenne, le prolétariat urbain, et enfin la grande masse rurale [19] », Duvalier passe la corde au cou de tous ceux qui lui font ombrage, mais aussi à certains de ceux qui l’ont hissé au pouvoir. Il concentre ainsi sa répression sur l’intelligentsia, afin d’avoir les mains libres pour engourdir les esprits de la jeunesse et les enfermer dans un étau. Pour se protéger contre l’intelligentsia, Duvalier décide de les tenir à distance. Ceux qui échappent à la mort ou à la prison doivent partir. Pour débarrasser le pays des étudiants diplômés de l’École normale supérieure, considérés comme des menaces imminentes pour le gouvernement, René Piquion, nommé doyen par Duvalier de 1961 à 1981 et intraitable défenseur du régime, ne trouvera pas mieux que de dresser une liste qu’il enverra au bureau du recrutement des Nations Unies pour l’Afrique afin qu’ils soient embauchés. Pour pouvoir agir sans restriction aucune, la dictature met une distance maximale entre elle et tous ceux qui sont perçus comme des êtres de conscience. La politique duvaliériste en matière d’éducation consiste à construire des bâtiments tout en éliminant les professeurs compétents.

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* Economiste, écrivain



[1] Eddy Cavé, De mémoire de Jérémien. Ma vie, ma ville, mon village, Éditions CIDIHCA, Montréal, 2009, p. 20.

[2] Jurgen Habermas, « Scientifisation de la politique et opinion publique », La technique et la science comme « idéologie », Paris, Gallimard, 1973.

[3] W. Brand, Impressions of Haiti, Mouton & Cie, The Hague, 1965, p. 55.

[4] Max Chancy, « Éducation et développement en Haïti », dans Emerson Douyon, Culture et développement en Haïti, Editions Leméac, Montréal, Canada, 1972, p. 145.

[5] Le Nouvelliste, P-au-P, 30 septembre 1935, repris dans Œuvres essentielles, troisième édition, Presses Nationales d’Haïti, tome 1, p. 53.

[6] Jean Florival, Duvalier. La face cachée de Papa Doc, Mémoire d’encrier, Montréal, 2007, p. 103.

[7] Bernard Diederich, Le prix du sang, Éditions Henri Deschamps, P-au-P, Haïti, 2005, p. 140.

[8] Lorimer Denis et François Duvalier, Le problème des classes à travers l’histoire d’Haïti, Imprimerie de l’État, P-au-P, Haïti, 1959, p. 19-20.

[9] Les thèses principales de Gérard de Catalogne sont développées dans son ouvrage écrit en 1939 intitulé Haïti devant son destin.

[10] Gérard de Catalogne, Haïti devant son destin, Imprimerie de l’État, P-au-P, Haïti, 1939, p. X.

[11] Ibid., p. 233.

[12] Le président Duvalier confia à Gérard De Catalogne la responsabilité de réaliser l’édition de ses Œuvres essentielles. Gérard de Catalogne ne se contenta pas d’examiner et de corriger les travaux des comités qui travaillaient à cette tâche. Il congédia d’abord le Comité des recherches composé de MM. Vianney Dennerville, André Bistoury, Lamartinière Adé, René Mompoint et Morille Figaro. Puis, il fit de même avec le Comité de coordination composé de MM. Paul Blanchet, Léonce Viaud, René Chalmers, Max Antoine, Hénock Trouillot, Jacques Oriol et Jean Montès Lefranc. Il leur reprochait leurs intrigues et manigances ainsi que leur faible capacité de travail. Il y mit tant de son style personnel que les trois tomes des Œuvres essentielles de François Duvalier portent les titres des trois parties son ouvrage Haïti devant son destin c’est-à-dire « Éléments d’une doctrine », « Une nation en marche » et enfin « Les théories au pouvoir ».

[13] Rodolphe Dérose, « Le problème des classes à travers l’Histoire d’Haïti ou une Doctrine de Gouvernement », Le Jour, P-au-P, Haïti, 10, 12, 22 et 24 novembre 1958. Ce texte a été repris en guise de postface à la 3e édition de l’ouvrage Le problème des classes à travers l’histoire d’Haïti, Imprimerie de l’État, P-au-P, Haïti, 1959.

[14] Dans les premiers jours après sa prise de pouvoir par les élections frauduleuses du 22 septembre 1957, Duvalier ne perdit pas de temps pour conférer avec l’ancien président Sténio Vincent, alors âgé de 89 ans, qui lui conseilla vivement d’engager immédiatement Frédéric Duvigneaud, l’ancien protégé de Mussolini en 1940, comme secrétaire d’État de l’Intérieur et de la Défense Nationale.

[15] Gérard Pierre-Charles, Radiographie d’une dictature, Éditions Nouvelle Optique, Montréal, Canada, 1973, p. 97.

[16] Le Nouvelliste, 3 janvier 1969 et Le Nouveau Monde, 26 avril 1971, cité dans Jacques Barros, Haïti de 1804 à nos jours, Tome II, L’Harmattan, Paris, 1984, p. 566.

[17] Michel Foucault, « Entretien avec Michel Foucault » (1977), Dits et écrits, Tome III, Gallimard, Paris, 1994, p. 158.

[18] Jacques Stephen Alexis, « La main dans le S.A.C. », Le Nouvelliste, P-au-P, 11 mars 1958.

[19] Lorimer Denis et François Duvalier, Le problème des classes à travers l’histoire d’Haïti, op. cit., p. 102.

DIX MILLIONS DE PERSONNES PAIENT L'IRRESPONSABILITE DE CEUX QUI GOUVERNENT EN HAITI

jeudi 25 novembre 2010

Débat

par Leslie Péan *

Soumis à AlterPresse le 15 novembre 2010

L’’occasion est venue de faire le bilan de l’action de ceux qui gouvernent en Haïti dix mois après le séisme du 12 janvier 2010. Dix mois qui ont été importants pour mesurer leur performance et pour déterminer s’ils méritent une continuation. Face à ceux qui disent que quoi qu’il advienne nous devons continuer, nous présentons le bilan d’un échec qui laisse le peuple haïtien dans l’insatisfaction. À tous les niveaux. Le courant Préval-Inité n’a pas été à la hauteur. Le peuple haïtien doit tirer les conséquences pour ne pas le reconduire. C’est le moment de divorcer. On ne dit pas « je t’aime » à celui ou celle qui vous fait voir toutes les misères du monde.

Le premier domaine d’évaluation est celui de la gestion de l’aide d’urgence. Le bilan se révèle catastrophique. Aucun plan sérieux n’a été élaboré. Aucune concertation n’a eu lieu avec les secteurs vitaux de la nation. Rien n’a été pensé pour les sans-abris qui n’ont pas été déplacés dix mois après pour être logés dans des maisons en dur. Les tentes qu’on leur avait données sont actuellement déchirées. Il n’y a pas d’eau potable suffisante dans les camps et chaque famille n’a accès qu’à une bokit dlo par jour pour quatre personnes. La quantité de chlore dans l’eau n’est pas mesurée et les gens se retrouvent avec des coliques et de la diarrhée, ceci longtemps avant l’apparition du choléra.

En ce qui concerne le secteur de l’éducation, l’offre scolaire a été déficiente. 750 000 enfants d’âge scolaire n’ont pas pu aller à l’école au mois d’octobre 2010. Pour ceux qui vivent sous les tentes et qui vont à l’école, on note une diminution notable de leur rendement. En effet, les élèves ne peuvent pas étudier correctement dans des abris provisoires ou dans des conditions de transit prolongé. Par exemple, dans la localité de Morne Lazarre, les élèves qui avaient des notes de 8 sur 10 avant le séisme n’ont maintenant que 4 sur 10 [1].

En ce qui a trait à la gestion des débris, 90% des 20 millions de mètres cubes (soit 26 millions de yard cubes) de débris créés par le séisme n’ont pas été enlevés. Le gouvernement haïtien n’a pas compris que c’était une priorité avant toute reconstruction. Cela lui a pris plus de huit mois pour passer les contrats d’enlèvement des débris qui ont été signés par ailleurs dans une absence totale de transparence. Et pour cause car les prix payés par le pauvre gouvernement haïtien sont plus élevés et parfois le double que ceux payés par le riche gouvernement américain pour enlever les débris après le passage de l’ouragan Katrina à New Orléans. Le gouvernement haïtien paie entre 32.50 et 48 dollars le mètre cube [2] tandis que le gouvernement américain paie 23 dollars le mètre cube [3]. Ce prix de 23 dollars est déjà très élevé car un entrepreneur qui a témoigné au Congrès américain en 2006 a déclaré que son entreprise était capable d’enlever les débris au prix de 12.90 dollars le mètre cube, soit 44% moins cher que son concurrent [4]. Six mois après le séisme, les quatre entités contractées par la USAID pour enlever les débris sur certains sites n’avaient pas encore enlevés 500 000 mètres cubes.

La continuation de la politique d’exclusion

La participation de la société civile a été complètement négligée. C’est la même petite clique du Palais national qui contrôle tout et oriente toute action en fonction de ses intérêts immédiats et des ses moyens technologiques limités. Elle rate du même coup la possibilité d’étendre son cercle d’influence, se contentant d’une gestion en cercle fermé, très fermé des programmes d’enlèvements des débris. Ce sont les autorités politiques qui font le choix des travailleurs. En dépit de multiples avertissements pour l’inclusion des organisations communautaires haïtiennes dans la reconstruction, ces dernières sont exclues aussi bien dans le choix des objectifs que dans le choix des moyens pour les réaliser [5]. Comment assurer le suivi et l’évaluation des projets exécutés quand la population est tenue à l’écart de l’établissement des priorités et de l’allocation des ressources ?

Le réaménagement urbain est confié à la Banque de la République d’Haïti (BRH) qui fait à sa guise avec ses bulldozers qui détruisent le bas de la ville à leur rythme. Non seulement la population n’est pas informée mais même les commerçants sont dans le noir et ne savent pas ce qui est planifié. Certains commerçants font des réparations au risque de perdre leur argent car à tout moment la BRH peut dire que tel endroit est retenu pour un édifice public ou un monument. C’est la rénovation chaotique.

Sur le plan sanitaire, la catastrophe est criante. Le gouvernement fait installer des toilettes dans lesquelles souvent il n’y a pas d’eau, contribuant ainsi à la création de conditions propices à l’apparition et à la propagation d’épidémies comme le choléra. Non seulement il n’y a pas d’eau dans les toilettes et quand il y en a, aucun endroit n’est prévu pour évacuer les eaux usées. Une firme privée, la SANCO, se fait même surprendre -photo à l’appui- en train de déverser des excréta dans une rivière, sans encourir la moindre amende, le moindre rappel à l’ordre. L’hygiène publique est absente. Quand le président Préval est contacté pour faire quelque chose dans ce domaine, il répond à qui veut l’entendre qu’il n’est pas responsable et que ce n’est pas lui qui a fait le tremblement de terre.

Au comble de l’incompétence, l’équipe au pouvoir n’a jamais mis en place ou communiqué des plans d’urgence visant à une intervention efficace en cas d’épidémie. Ceci explique que la première poussée de choléra a donné l’illusion d’être maitrisée alors que le pire est à venir. Si l’on prend en considération les dernières prévisions faites par l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS), on devrait s’attendre à 270000 cas dans les semaines à venir. Ce nombre représenterait une valeur plancher si l’on tient compte du fait que seulement un cas sur quatre est déclaré. L’irresponsabilité est érigée en politique et dix millions de personnes sont sacrifiées sur l’autel de l’incurie du chef pour qui l’épidémie n’a été que l’occasion de faire campagne à propos des interventions du Centre National des Équipements (CNE-Célestin non éligible). Le peuple haïtien découvre un Préval totalement impotent, même sur le terrain de la manœuvre politique où on le pensait jusque là habile. La corruption et l’achat des votes

Au niveau de la création d’emplois, le gouvernement Préval a laissé se développer le programme food-for-work en milieu rural sans tenir compte de ses incidences négatives sur la disponibilité de la main d’œuvre pour la production agricole. Après le tremblement de terre, la préoccupation immédiate des bailleurs de fonds était d’empêcher une révolution socio-politique. À coté des marines sécurisant l’aéroport de la capitale, les bailleurs de fonds ont distribué de l’argent pour pacifier la population. En milieu rural, cette distribution s’est faite à travers le food-for-work qui n’a pas tenu compte du calendrier agricole. Ainsi les paysans ont été embrigadés dans des programmes de construction de murs de soutènement au détriment de la culture des produits vivriers tels que les pois, les patates, le manioc et le sorgho. Les résultats nets du food-for-work risquent d’être la famine, la destruction de la production nationale et un changement dans les habitudes alimentaires des paysans avec l’achat de produits vivriers à l’étranger.

En milieu urbain, le cash-for-work financé par l’USAID Office of Transition Initiatives (OTI), est utilisé essentiellement à des fins politiques par INITÉ. Ce programme financé à hauteur de 20 millions de dollars est exécuté par deux ONG américaines Chemonics et Development Alternatives. Les objectifs du programme cash-for-work sont clairs. Il s’agit d’“appuyer le Gouvernement d’Haïti, de promouvoir la stabilité, et de diminuer les chances de troubles [6].” Les travaux ne sont qu’un prétexte pour pacifier les gens en leur donnant une pitance. L’USAID avait planifié la création de trois millions de jours de travail à cinq dollars (200 gourdes) par jour, soit 124 000 bénéficiaires totalisant des salaires de 15 millions de dollars. Cela signifie essentiellement un mois de travail de 24 jours par bénéficiaire, soit des revenus de 4800 gourdes par bénéficiaire. Mais cette pitance n’a pas pu être payée car le rapport salaires/autres coûts d’opération de 70/30 n’a pas pu être atteint. Les entreprises ont dû acquérir des équipements et au lieu de 30% les autres coûts d’opération représentent 75%.

La situation est encore plus grave du fait que INITÉ monopolise les rares emplois créés. L’USAID reste de marbre malgré les dénonciations de la population et des leaders politiques. À Carrefour Feuilles, au Bel-Air, au Fort national, il y des morts dans les affrontements causés par les protestations de la population dénonçant le cash-for-work comme un programme de cash-for-vote. Seuls les gens qui sont pour INITÉ sont payés pour les travaux cash-for-work [7]. Les personnes qui affichent les sympathies pour des candidats autres que Jude Célestin sont immédiatement révoquées. Le gouvernement américain est pour la stabilité mais non pour appuyer les assassins de paisibles citoyens comme Robert Marcello et les agressions criminelles contre des citoyens comme c’est le cas avec Mme Cottin à Pèlerin 5 dans la nuit du 29 au 30 octobre. Le pouvoir de Préval appuie Jude Célestin non seulement à travers l’argent de l’USAID mais aussi à travers la MINUSTAH qui lui donne un soutien militaire sans lequel son gouvernement n’existerait pas.

Contre la continuation

Avec le gouvernement de Préval, Haïti est actuellement une entité chaotique ingouvernable. Il n’existe aucun plan d’ensemble. Chacun fait ce qu’il veut. Par exemple, au lieu de procéder rapidement à la réhabilitation du local de la Primature qui aurait pu se faire en quatre mois, le gouvernement a laissé s’installer sur ce site un camp de réfugiés de plus de 4000 personnes. La Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH) n’existe que de nom. Pour punir Jean-Max Bellerive, Préval a torpillé la CIRH. Il l’a placée sous une tente à l’ancien local de l’ambassade américaine au bicentenaire. Il a mis à sa direction générale son ami Gabriel Verret, qui n’est pas un expert en exécution de projets, pour neutraliser Bellerive.

Dix mois après le séisme, c’est l’insalubrité généralisée. Les gens défèquent partout et même sur les pelouses du Palais national. Sur la route des rails à Carrefour, la population aux abois occupe le séparateur et habite entre deux rues, sur un espace de un mètre cinquante de profondeur. La saleté est partout. Quand le président René Préval parle de la continuité, il s’agit de la continuité des kidnappings et assassinats de paisibles citoyens, 1,3 millions de gens sous les tentes, 750 000 enfants qui ne vont pas à l’école, corruption généralisée, impunité, crétinisme, inaptitude, irresponsabilité, et j’en passe. En fait la continuité est une façon déguisée de restauration de la présidence à vie. La société haïtienne a-t-elle encore des ressorts et des ressources pour ne pas accepter l’inacceptable et ne pas supporter l’insupportable ? Le peuple est appelé à répondre à cette question le 28 novembre prochain. Bénéficiera-t-il du support des démocrates de l’intérieur et de la diaspora ? Eux aussi devront répondre à cette question le 28 novembre prochain.

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* Economiste, écrivain

[1] Darren Ell, « Education and the Cataclysm in Haiti : An Interview with Rea Dol”, Upside Down World, September 8, 2010.

[2] Le mètre cube est égal à 1.30 cubic yard. Voir Deborah Sontag, “Weary of Debris, Haiti Finally Sees Some Vanish”, The New York Times, 17 Oct 2010.

[3] United States House of Representatives, Waste, Fraud, and Abuse in Hurricane Katrina Contracts, Special Investigation Division, Washington, DC., August 2006.

[4] House Committee on Government Reform, Testimony of David Machado, Necaise Brothers Construction, Hearings on Contracting and Hurricane Katrina (May 4, 2006).

[5] Institute for Justice and Democracy in Haiti. Neglect in the Encampments : Haiti’s Second Wave Humanitarian Disaster. March 23, 2010. http://ijdh.org/archives/10671

[6] Office of Inspector General, Audit of USAID’s Cash-for-Work Activities in Haiti (Report No. 1-521-10-009-P), San Salvador, El Salvador, p. 4.

[7] “The Pitfalls of "Cash for Work", Haiti Grassroots Watch, Haiti Liberté, November 3 - 9, 2010 Vol. 4, No. 16