samedi 7 mars 2009

REVISION CONSTITUTIONNELLE ET COMMISSIONS PRESIDENTIELLES EN TROMPE-L'OEIL

NATIONAL 5 Mars 2009
(Extrait du "Le Nouvelliste)

Révision Constitutionnelle et Commissions Présidentielles en Trompe-l’œil

Par Daly Valet

Des commissions. Encore des commissions. Toujours des commissions. On en a eues jusqu’au cou. Enfin, jusqu’au vertige! Elles sont comme devenues la seule manière d’être d’une équipe politique au pouvoir, qui semble tout maitriser de l’art de la politique purement politicienne et tout ignorer de la science du pouvoir et du gouvernement. Passons. Nous sommes en Haïti. Et nous avons affaire à des marrons. Notre propos est surtout de souligner le ridicule qu’il y a à ne gouverner que par des commissions, surtout quand leur composition frôle l’absurde. La majorité des membres des deux commissions récemment formées par notre estimable président, René Préval, n'ont pas les qualifications requises pour concevoir des réformes constitutionnelles et judiciaires. Étant moi- même très versé dans le droit constitutionnel comparé, je n'ai jamais lu un texte de ces messieurs sur ce que les anglo-saxons appellent constitutional design ou ingénierie constitutionnelle.

A part les travaux assez intéressants de Claude Moise sur l'histoire constitutionnelle d’Haïti, et les recherches d’une haute valeur académique de Cary Hector sur la transition démocratique haïtienne, il n'existe pas de corpus doctrinal sur le droit constitutionnel auquel les noms des membres de ces commissions pourraient être associés de près ou de loin. D’ailleurs, en dépit de leur impressionnante évaluation analytique de la Constitution dans leur rapport à René Préval l’année dernière, Claude Moise et Cary Hector y ont également erré par de multiples biais théoriques, et des approximations historico-doctrinales à la limite inacceptables. Il faut aussi relever leurs préjugés patents contre le régime mixte défini dans la constitution de 1987, et leur enthousiasme à entériner les penchants présidentialistes de Préval aussi bien que l’aversion proclamée, injustifiée de celui-ci contre les agencements institutionnels prévus dans notre charte fondamentale. Je me propose ultérieurement d’élaborer plus substantiellement et plus techniquement sur l’initiative Préval-Moise-Hector, qui en fait semble viser non une révision de la Constitution mais plutôt sa refonte totale en vue de l’instauration d’un régime strictement présidentiel. Pour le plaisir du Prince, bien sûr ! Dès qu’il y a changement de régime constitutionnel, il n’est plus question de révision mais de passage d’un système politique à un autre. C’est à ce niveau qu’il faut surveiller de près et intelligemment le travail de ce trio.

La constitution de 1987 est à réviser. Cette révision doit, cependant, s’opérer sur la base d’évaluations rationnelles des mécanismes institutionnels qui ordonnent le fonctionnement des pouvoirs de l’Etat. Elle ne devrait point s’engager à partir de préjugés intellectuels ou du souci d’accommoder les orientations anarcho-autoritaires d’un président décidément inapte à fonctionner dans le cadre régulé de contraintes institutionnelles. Je prône depuis un certain temps l’introduction d’un minimum de parlementarisme rationnalisé dans notre système. La dissymétrie est telle entre les pouvoirs de l’Exécutif et ceux du Parlement qu’elle ne peut déboucher que sur la paralysie de l’Etat quand des deux côtés les acteurs sont de mauvaise foi, en plus de n’être pas suffisamment éduqués aux principes de la gouverne étatique négociée. Il y a lieu de rétablir un certain équilibre dans la distribution des pouvoirs entre ces deux entités. L’Exécutif devrait être doté de plus de moyens d’intervention dans le calendrier législatif, spécifiquement lors de l’examen de projets de lois cruciaux à l’efficacité gouvernementale dans la conduite de sa politique. Le gouvernement devrait pouvoir engager sa responsabilité pour exiger le vote dans un délai raisonnable de ces textes, quitte à encourir la censure. Le systeme tel qu’il est présentement agencé encourage le recours abusif aux procédés dilatoires, et l’utilisation bruyante et brouillonne des instruments de contrôle de l’action gouvernementale par nos élus du palais législatif. Le calendrier électoral serait aussi à revoir. Les élections présidentielles et législatives devraient se tenir selon une chronologie qui permettrait au gouvernement de disposer d’une majorité parlementaire à même de soutenir son agenda. Personnellement, je suis pour l’élimination du bicamérisme. Un Senat élu au suffrage universel direct n’a pas sa raison d’être dans l’organisation de notre République. D’un autre coté, nous n’avons pas les moyens financiers pour continuer à entretenir indéfiniment cette vaste sinécure. Si l’option du monocamérisme ne mobilise pas suffisamment d’adeptes, il faudrait au moins corriger les déséquilibres de l’actuel régime par le renforcement des prérogatives de l’Exécutif dans sa relation au parlement, notamment par l’introduction du droit de dissolution des assemblées législatives. L’arme de la dissolution rendra ces assemblées moins oisives et turbulentes, et surtout plus responsables et coopératives. D’un régime hybride à prépondérance parlementaire, on passerait ainsi à un système mixte classique de type semi-présidentiel et équilibré.

Pour ce faire, il faudrait commencer par dissiper les malentendus. En dehors de ses sorties intempestives et frustrées contre la constitution, Mr Préval n'a pas encore développé de discours public cohérent sur les défaillances de ce document et la nécessité logique de le modifier. Il importe au président de la République et à ses commissions de jouer la carte de la transparence pour rassurer le pays sur ses vraies intentions. Veut-il une révision ou une refonte de la constitution? Les deux objectifs, mutuellement exclusifs d’un point de vue méthodologique, exigent des procédés différents de consultations citoyennes et expertes. Dans tous les cas, l’entreprise est jusque-là mal partie. C'est une tristesse que de voir l'amateurisme le plus plat prendre la direction de choses aussi sérieuses dans notre pays. La disette semble être non seulement économique là-bas, mais aussi et surtout intellectuelle. C’est ce que j’entends dire. Mais je n’y crois pas trop. Je demeure persuadé qu'il existe encore au pays de grands esprits à même de contribuer remarquablement et honorablement à une révision intelligente et ordonnée de la constitution. Durant mes quatre années d’études à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Port-au-Prince, j’ai eu le privilège d’être initié à l’analyse juridique et constitutionnelle par de brillants professeurs. Certains sont aujourd’hui hélas ! décédés. D’autres par contre continuent de demeurer au pays et d’y exercer leur profession. Où sont-ils ces survivants au grand savoir ? Ont-ils refusé de donner leur caution intellectuelle et morale à une vaste farce ? Ont-ils été tout bonnement ignorés ?

A noter que je ne conteste point le droit d'honorables citoyens de faire partie de commissions présidentielles. Nous parlons de COMMISSIONS PRESIDENTIELLES! Qui dit mieux...D'ailleurs, j'avais même applaudi publiquement à la formation récente par Mr Préval de deux commissions sur la compétitivité et la technologie. La question de qualification ne se pose pas pour les membres de ces commissions. Ils sont tous de dignes représentants de leurs secteurs d'activité respectifs.

Le problème avec celles sur les réformes constitutionnelle et judiciaire, c'est que la majorité de leurs membres sont dépourvus de pedigree en philosophie politique, ingénierie politique, philosophie du droit, droit constitutionnel pour penser ces réformes adéquatement. C'est avec des mécaniciens qu'on répare des voitures. A cheval entre le droit et la science politique, je sais pertinemment que ces deux disciplines sont loin d'être suffisantes comme cadres de pensée en matière d'organisation de l'Etat. On ne peut procéder non plus en en faisant abstraction. Il est par ailleurs impérieux de recourir à l'anthropologie politique pour évaluer la viabilité des institutions et des réformes dans un contexte culturel donné. Une autre tendance lourde dans le domaine des réformes constitutionnelles post-autoritaires ou dans un contexte de consolidation démocratique, c’est l’appel aux experts en ingénierie financière pour anticiper les coûts de ces réformes pour la société globale. Sinon, le risque est énorme de se retrouver avec un échafaudage institutionnel que les caisses d'un Etat pauvre ne peuvent supporter. Résultat: des réformes inapplicables puisque trop onéreuses à implémenter d'une part, et inadaptables culturellement de l'autre. Autrement dit, une réédition, mais cette fois plus coûteuse, de l’impasse dans laquelle nous nous retrouvons avec la constitution de 1987.

La présence dans les susdites commissions de Claude Moise, Cary Hector, Jean Rosier Descartes, Serge Henri Vieux, Micha Gaillard, Jerry Tardieu, Daniel Supplice, Moise, nous réconforte un peu. La vérité demeure que nombre d’entre les noms rendus publics seraient plus efficaces ailleurs à servir leur pays. L'équilibre des compétences n'y est pas. Or, de tels travaux requièrent l’apport de compétences expertes. Il ne s’agit pas ici d’assemblée constituante où prévaut davantage le principe de la représentativité. Au contraire, les comités restreints, investis de mandats spéciaux et techniques, ne doivent reposer que sur les expertises confirmées de leurs membres. Le déséquilibre est encore plus scandaleux au sein de l'équipe sur la révision de la Constitution. Les plus qualifiés de la troupe auraient dû exiger de se faire entourer des meilleurs esprits du pays dans le domaine du droit et de la sociologie politique. Cette responsabilité incombait notamment à Claude Moise et Cary Hector. L’histoire ne leur pardonnera pas si l’initiative du président, louable ou contestable, débouche sur la pagaille ou une autre débâcle des élites intellectuelles et politiques du pays. Ce n’est pas démériter de la patrie que de vouloir gagner, changer, réformer, transformer et réviser avec une équipe compétente. Et efficacement.

Au bout du compte, la mission de ces con-missions, telles qu’elles nous ont été présentées, serait tout simplement d'avaliser au nom de la société civile un certain projet de constitution déjà élaboré (par qui, on le saura tôt ou tard !), et sur lequel nombre de ces agents commissionnés n'auront que des blablablas à proposer comme arguments. Il s’agit là de vérités qu’on n’aime pas trop entendre dans notre République de petits copains et de complices. Pourtant, ce sont ces vérités dérangeantes et déstabilisatrices qu’il nous faudra marteler sans répit si vraiment nous souhaitons voir Haïti effectuer un saut qualitatif dans la modernité.

Daly Valet
Washington, dc