samedi 26 janvier 2008

LA POLITIQUE A L'HAITIENNE ET UN ETAT A MODERNISER

vendredi 25 janvier 2008

Par Gary Olius

Soumis à AlterPresse le 23 janvier 2008

Dans le panthéon vaudou, on ne sait pas s’il existe un « dieu de la politique » dont les politiciens du terroir s’attacheraient à suivre religieusement les directives. Mais les faits montrent qu’il existe une façon haïtienne de faire la politique, indépendamment des lignes idéologiques conventionnelles et connues de par le monde.
Pour interpréter les actions des hommes et femmes de pouvoir en Haïti, il faut poser comme prémisse la compréhension de la politique à l’Haïtienne, c’est-à-dire telle qu’elle est ou a été pratiquée par Duvalier, Namphy, Avril, Aristide, Préval et consorts. Oui, la politique à l’haïtienne en tant qu’art de tout ramener à sa petite personne, art de dire une chose en faisant son contraire, art de mettre le feu tout en jouant le pompier, art d’ériger l’improvisation en méthode de gouvernance et, enfin, art de dire en temps et lieux ce que les gens aimeraient entendre tout en sachant que c’est le statu quo qui continuera de se prévaloir.
La politique à l’haïtienne a son langage, ses mimiques et son système de codification. C’est ce dernier, d’ailleurs, qui permet aux politiciens de se comprendre facilement et de s’entendre au détriment du reste de la société. Kreyòl pale, kreyòl aji et kreyòl konprann… [1] La politique à l’haïtienne c’est aussi ça : un jeu cynique, macabre, rocambolesque et joué par des joueurs sans pitié, sans humanisme pour ne pas dire sans humanité.
Elle serait peut-être moins pernicieuse si elle permettait d’étiqueter les hommes et les femmes qui nous ont dirigés au cours des 50 dernières années tant par leurs discours que par leurs pratiques ; en cela elle pourrait nous permettre au moins de distinguer le pire du mauvais si tous n’étaient pas pareils. Elle serait moins trompeuse aussi si elle ne permettait pas de vendre la dictature sous l’emballage de la démocratie et les approches ancestrales sous le label de la modernité.
Quand nos politicards parlent de Démocratie et de Modernité, il faut se garder de recourir aux références classiques pour comprendre ce qu’ils veulent dire. La politique à l’haïtienne a aussi son lexique ou son jargon. Et c’est justement, dans cette possibilité de « confusion de sens » qu’ils puisent une de leurs armes redoutables : l’effet trompe l’œil qui permet de faire une chose tout en prêchant le contraire. Le patois susmentionné veut que la Démocratie soit perçue comme la fiction d’un pouvoir sans support institutionnel et la Modernité comme un simple « effet de mode ».
Pour limiter les dégâts liés à cette pratique, il serait bon d’opposer une certaine résistance à ce galvaudage calculé des choses car la démocratie ne saurait être le fait de laisser les gens se plaindre librement tout en faisant la sourde oreille ; tout comme un vieux qui se pare de vêtements de dernier cri ne saurait être considéré, uniquement pour cela, comme un homme moderne.
Dans le même ordre d’idée, on ne peut pas se vanter de moderniser un Etat rien qu’en installant quelques ordinateurs par-ci par-là. La modernité suppose une actualisation des visions et des pratiques ; et les NTICs [2] ne sont que des moyens permettant de la rendre manifeste.
En outre, un projet de modernisation doit être porté par des hommes et des femmes vraiment modernes. Drôle de tautologie, diriez-vous ! Mais en cela, nous ne parlons pas de gens très jeunes (ou à la mode) comme le sens travesti du terme de modernisation le laisserait entendre ; nous parlons de préférence d’hommes et de femmes ayant une vision actualisée de nos réalités haïtiennes et de celles de notre région, laquelle doit nécessairement produire des résultats concrets, car le niveau d’actualisation de la vision des dirigeants est proportionnel au degré d’efficacité de leurs actions (quand ils ne sont pas tout bonnement inactifs ou léthargiques). Un déficit scandaleux de résultats étant en soi une preuve éloquente d’archaïsme…
Nous pouvons être plus clairs en prenant l’exemple du Ministère de l’Agriculture. L’extrême dépendance d’Haïti en matière alimentaire n’est-il pas un probant témoignage de sa résistance à la vraie modernité ? En partant du fait que l’inefficacité est en grande partie le corollaire de l’archaïsme pur et dur, on peut dire sans concession que c’est la persistance téméraire à mettre, figurément parlant, du vin nouveau dans de vielles outres qui amène notre pays à cet état de délabrement avancé où il est.
Bref, que voudrait dire : moderniser l’Etat d’Haïti avec des ministères de ce genre ? Vu qu’une politique viable de modernisation doit nécessairement mettre les responsables devant une exigence incontournable de résultats, qu’on nous explique pourquoi des gens qui n’ont rien donné pendant 4, 7, 8 ans ou même plus d’une décennie se retrouvent encore actuellement aux mêmes postes, en dépit des preuves irréfutables de leur inefficacité.
Par ailleurs, le fait d’annoncer à grand renfort de clairons et trompettes un projet de modernisation d’un Etat où la routine et les pratiques ancestrales s’imposent comme formule de gestion, c’est ipso facto convier (involontairement ou pas) les innombrables fonctionnaires rétrogrades à la constitution de foyers de résistance. D’abord, ils savent que les initiatives innovantes les mettront devant l’obligation de faire plus d’effort ou de s’adapter et, ensuite, le regain de transparence que la modernisation générera pourra impliquer pour eux des manques à gagner. De ce fait, céder à la tentation de faire échec à toutes les interventions modernisatrices leur paraîtra plus que naturel.
On peut comprendre, du coup, que « l’effet-surprise » compte beaucoup dans la conception et l’implémentation de ce genre de programme et le fait de s’adonner à une publicité politique en cette matière peut (1) soit constituer une stratégie pour claironner une chose (la modernisation) et de travailler au renforcement du contraire (l’archaïsme) et (2) soit traduire une velléité de dire ce que les gens aimeraient entendre, dans la droite ligne de la politique…à l’haïtienne.

Contact : golius@excite.com

[1] Formule typiquement haitienne traduisant l’idée qu’entre nous il suffit de s’exprimer et d’agir d’une certaine façon pour qu’on puisse se comprendre aisément, tout en laissant une tierce personne dans la confusion ou le doute…
[2] Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication

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