mardi 20 mai 2008

HAITI: LES PREMIERES RACINES DE NOTRE MAL-DEVELOPPEMENT

Comprendre l’actuelle conjoncture dans ses rapports avec la formation sociale haïtienne et la situation internationaleHaiti : Les premières racines de notre mal- développement
lundi 19 mai 2008

Première partie d’une étude de Marc-Arthur Fils-Aimé [1]

Document soumis à AlterPresse le 16 mai 2008

I- Les stigmates de la colonisation française ou la question de couleur

a- la force de la question de couleur
Parmi toutes les blessures que nous a léguées la colonisation française, nous privilégions dans cette étude la question raciale à cause de la place qu’elle a toujours occupée dans toutes les confrontations politiques depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours. Tout d’abord, le racisme, l’un des supports idéologiques du colonialisme et du capitalisme, est un produit historique. Avant l’établissement et la légalisation de l’esclavage au cours de la deuxième moitié du XVIIè siècle, la France avait réservé aux quelques étrangers venus d’autres continents un accueil imprégné surtout de curiosité. Ses habitants s’inquiétaient davantage de la religion non chrétienne par exemple des Orientaux que de la couleur de leur peau ou de leurs cheveux. Ce scepticisme revêtait un caractère culturel plutôt que racial. L’Édit Royal du mois d’octobre 1716 et le Code Noir en 1685 ont institutionnalisé tout le préjugé racial que l’esclavagisme et le colonialisme ont inventé et nourri pour donner une arme subjective à leur forfait et à la domination occidentale sur le reste du monde. Le colonialisme a sciemment organisé et secrété dans presque dans tous les esprits de ses sujets ce facteur subjectif qu’est le préjugé de couleur. Le fouet et les sévices les plus rebutants ne suffisaient pas pour immobiliser les Africains dans leur situation. Le racisme ou la supériorité raciale devenaient un ajout indispensable à cela. Immanuel Wallerstein a donné l’explication suivante :

« Un système capitaliste en expansion (ce qui est le cas la moitié du temps) requiert toute la force de travail disponible puisque c’est ce travail qui produit les biens dont le capital est extrait pour être accumulé. L’expulsion hors du système est alors sans objet. Même si l’on veut maximiser l’accumulation du capital, il faut simultanément, minimiser les coûts de la force de travail) et minimiser également les coûts des troubles politiques (et par conséquent minimiser- et non éliminer, car cela est impossible- les revendications de la force de travail). Le racisme est la formule magique favorisant la réalisation de tels objectifs. » [2]

Les Blancs malgré l’absurdité d’une certaine classification de l’être humain à partir de la couleur de la peau, qui ne répond à aucun critère scientifique se faisaient passer supérieurs aux Noirs. Cette croyance n’interdisait pas aux colons de pénétrer la case des Négresses pour leur donner des enfants mulâtres. De là s’est découlé à un certain moment de l’histoire sociale à Saint-Domingue une bataille farouche entre trois catégories humaines sur une base du pourcentage de plus ou de moins de mélanine. Les Mulâtres condescendaient à la supériorité de leur père et acceptaient parallèlement l’infériorité de leur mère. Dans leurs premières revendications politiques, ils ne réclamaient que la jouissance des mêmes droits civils et politiques que leur ascendant mâle tout en se souciant peu de la majorité noire. Dans leur sein, se développait une nouvelle fraction de semi- colons grâce à une certaine reconnaissance sentimentale de leur père qui leur facilitait l’accès à s’instruire même en France et à accumuler une certaine richesse. Ils possédaient eux aussi des esclaves qu’ils traitaient sans aucun aménagement. Il leur manquait l’accès aux superstructures étatiques pour intégrer dans toute sa dimension la classe des colons. Ils ne partageaient pas les mêmes intérêts avec la classe de esclaves.

« Ainsi, il y avait trois castes fondamentales d’hommes à Saint-Domingue. 1o la caste des colons blancs 2o la caste des affranchis (majorité mulâtre et minorité noire) et 3o la caste des esclaves (majorité noire et minorité mulâtre). A la veille de la révolution de 1789, les blancs étaient au nombre de 40000, les affranchis au nombre de 28000 et les esclaves au nombre de 452000 » [3]

La montée de Toussaint et de ses lieutenants se montrait de plus en plus menaçante. Trois camps hostiles qui s’attiraient ou se repoussaient suivant la conjoncture, s’entre-déchiraient dans la colonie. Les alliances ente Blancs et Mulâtres contre les Noirs ou des Noirs et les Blancs contre les Mulâtres se faisaient et se défaisaient. Ce qui a porté la France sous le poids des circonstances par la voix du commissaire Sonthonax à proclamer le 29 août 1793 la suppression de l’esclavage dans les provinces du Nord. Polvérel, un autre commissaire a adopté une mesure similaire dans celles du Sud un mois plus tard. Un nouvel élément s’est ajouté à la complexité des luttes de classe dans la colonie. L’affranchissement général des esclaves favorisa l’émergence de Noirs riches et propriétaires d’esclaves face aux nouveaux libres dont les forces de travail constituaient leur seule richesse.

« Si nous passons aux affranchis, nous constatons que leurs intérêts de classe sont contradictoires : ces hommes libres ou plus précisément la fraction privilégiée de cette caste ont conquis de haute lutte une position très solide à Saint-Domingue, puisqu’en 1789, ils possèdent le quart des esclaves et le tiers des propriétés. Sur la base de cette position, les grands propriétaires de cette caste avaient partie liée avec les colons mais la politique de caste rigide de ces derniers et de la Métropole liera, en définitive, le sort des affranchis au sort des esclaves. » [4]

b. La naissance de la pauvreté de la paysannerie haïtienne

Les Toussaint, les Dessalines, les Christophe, les Pétion pour ne citer que ceux-là parmi tant d’autres généraux et grands chefs qui se sont emparés de la direction des luttes qui ont conduit à l’Indépendance, sont devenus plus tard les premiers chefs du nouvel État. Dans la colonie, ils exploitaient férocement leurs congénères. C’est pourquoi leur intérêt de classe les avait bien souvent situés à côté de la métropole pour guerroyer et terroriser la masse des nouveaux libres qui voulaient non seulement briser inconditionnellement leur chaîne, mais aussi devenir citoyennes et citoyens libres et propriétaires de leur terre. Le Noir Dessalines qui portait les armes sous les couleurs françaises, le mulâtre Pétion qui était membre de l’expédition de Bonaparte sous le commandement de son beau-frère Leclerc ont regagné le rang de l’armée révolutionnaire des masses travailleuses sous la pression des circonstances. Ils ont changé de camp quand ils se sont rendu compte que cette expédition cachait la mission secrète de rétablir l’esclavage. Cette critique objective de la situation de classe de ces grands stratèges ne signifie nullement une sous-estimation ou un mépris de leur apport dans la guerre de l’indépendance. Le général Giap du Vietnam a écrit que la tactique de guerre de Dessalines l’a aidé à combattre les Américains.

Cette tranche de notre histoire nous a permis de comprendre l’origine de la première formation sociale haïtienne. Les anciens libres à majorité mulâtres et à minorité noire grâce à leur expérience faite des luttes de guérilla contre le colonialisme et leur apprentissage auprès de l’armée expéditionnaire ont subtilisé la direction de la guerre des mains des anciens esclaves qui étaient dépourvus de biens meubles et immeubles. Les Dessalines, les Pétion, les Henri Christophe accompagnés d’une trentaine d’autres gradés de l’armée indigène révolutionnaire, ont proclamé l’Indépendance d’Haïti le premier janvier 1804 après avoir donné une leçon inoubliable à l’armée de Napoléon sous le commandement général de Rochambeau. Napoléon jouissait de la réputation de disposer de l’armée la plus puissante de l’époque.

Rappelons-nous que l’économie commande en dernière instance la politique. Les intérêts de classe ont subjugué tout sentimentalisme reposant sur une identité de couleur de la peau. Les premiers dirigeants de la première nation noire, ou disons de cette seule nation noire qui ait vaincu l’armée de ses oppresseurs coloniaux, étaient des anciens riches qui ne s’apprêtaient pas à divorcer d’avec leur pratiques anciennes. Au contraire au timon des affaires, ils s’étaient offert toutes les latitudes pour augmenter leur richesse en s’accaparant des biens des anciens colons et en organisant des distributions de terre à des grands généraux, à des amis. Le vocable grandon que celles et ceux d’entre vous qui connaissent Haïti ont l’habitude d’entendre vient de là. La majorité des anciens esclaves étaient acculés à habiter dans les mornes ou à travailler les terres des grandons.

Le nouveau pouvoir n’hésita pas à publier des lois très dures qui dans la plupart d’entre elles, rappela bien l’époque prétendument révolue pour retenir les paysans dans leurs champs. La paysannerie pauvre est née le même jour que la nouvelle République qui a recouvré son nom originel aborigène : Haïti. Le latifundiste côtoyait quotidiennement le minifundiste. Même les actes de naissance des paysans jusque sous la présidence d’Aristide, mentionnaient encore leur origine sociale. Le mot paysan y était inscrit en grande lettre sous le fallacieux prétexte de leur délivrer l’acte gratuitement. Si certains courants de sociologues ont avancé la thèse de la dualité c’est-à-dire de l’existence parallèle d’une Haïti des villes et d’une Haïti de la campagne ou le monde en dehors- les paysans sont appelés moun mòn ou bien moun andeyò, ce qui a inspiré à Gérald Barthélemy le titre de son ouvrage ‘’Le pays en dehors’’, pour nous il s’agit d’un seul pays à développement inégal selon les exigences du capitalisme. Les pays du centre ont toujours besoin de la périphérie pour perdurer leur avancement. Les classes riches de la périphérie parasitent la paysannerie pour assurer leur domination avec un gouvernement central pour perpétuer le statu quo.

c. Les premières racines de notre mal-développement

Pour dominer leurs sujets, la faction noire et la faction mulâtre ont emprunté le chemin de la lutte de couleur que nous appelons le noirisme versus le mulâtrisme. Cette fausse identité qui a l’avantage de cacher les contradictions de classe, a traversé toute l’histoire d’Haïti jusqu’à nos jours. Les noiristes ont toujours évoqué l’arithmétique du nombre et les mulâtristes, la géométrie de la capacité en sous-entendant tout le racisme que cela recèle, pour s’accaparer de la direction politique du pays et s’enrichir malhonnêtement au détriment de la majorité populaire et même de la croissance économique du pays.

1) la surexploitation de la paysannerie

Les trois ailes noire, mulâtre et étrangère des classes dominantes haïtiennes se sont jetées dans l’accumulation de l’argent facile. Les deux premières se sont mises à s’entre-déchirer pour occuper des postes politiques avec la complicité directe de la troisième, et pour s’approprier les bonnes terres légalement ou extra légalement sans les mettre en valeur de façon rationnelle. La vérification des titres de propriété ordonnée par l’Empereur Dessalines a causé parmi, tant d’autres griefs qui bouillonnaient dans toutes les classes sociales en formation pour des raisons différentes, son assassinat le 17 octobre 1806. Ce parricide a eu lieu moins de trois ans après la création du nouvel Etat. Entre-temps, les infrastructures industrielles de l’ex-colonie sont abandonnées à leur triste sort. Seul fleurit le commerce import- export dominé par des étrangers alors que la culture des denrées et des vivres est devenue le lot de paysans parcellaires communément appelés’’ petits paysans ‘’.

Nous savons bien que le commerce ne produit nullement de richesse. Le commerce ne fait que la distribuer, la faire circuler. La fraction compradore de la bourgeoisie que certains théoriciens politiques haïtiens ont identifié comme un lumpen- bourgeoisie en référence au lumpen prolétariat de Karl Marx s’est étonnamment grandie en étouffant toute velléité d’éclosion de sa fraction industrielle. Les Allemands, les Français qui bénéficiaient de la plus grande part de ce commerce n’avaient nul intérêt dans l’avancement structurel du pays. Et les Haïtiens ? Ils étaient obstinés par la voracité du gain rapide et la politique. Il n’a jamais existé une bourgeoisie nationale qui aurait été animée d’un grand désir de propulser une autre Haïti. Ce n’est pas parce que la bourgeoisie compradore a toujours été supplantée par des personnes d’origine européenne et autre, car comme l’a si bien dit Jean Luc :

« Le terme bourgeoisie nationale ne se réfère pas à la nationalité des individus mais au rôle national que leur position de classe leur permet de jouer dans la lutte anti-impérialiste » [5]
Une preuve évidente de cet énoncé. A plusieurs reprises, des gouvernements institués ou des rebelles en marche vers le pouvoir ont offert des parties du pays aux Américains ou aux Français pour se procurer des armes ou des financements.

Les paysans cultivaient leur jardin soit comme propriétaires de petites quantités de terre très souvent peu fertiles au flan des mornes, soit comme ‘’demwatye’’, ou métayer, un mode de production qui rappelle en bien des points le rapport social féodal médiéval. Leur mauvaise situation économique résulte de leur exploitation effrénée, encouragée par leur analphabétisme car les dirigeants politiques jusqu’à ceux d’aujourd’hui n’ont jamais implanté de bonnes écoles dans les milieux ruraux. Non seulement, elles ont toujours été insuffisantes, mais aussi, leur qualité reste à désirer. En ville, l’éducation publique ne connaissait pas un meilleur sort. Ce même écart entre l’éducation réservée aux enfants des gens aisés et celle réservée aux enfants de parents avec des moyens financiers plus précaires tend à s’élargir de nos jours. Elles sont rares, les écoles, en milieu rural qui fonctionnent avec une enseignante ou un enseignant par classe. Généralement, ces derniers ne sont pas plus que trois pour les six classes primaires. Jean Luc dans ce même ouvrage a expliqué que :

« En fait, dans la société haïtienne, la bourgeoisie compradore est constituée d’individus de couleur claire et la quasi- totalité de la paysannerie est de couleur noire. C’est ce que la connaissance sensible révèle au premier abord. Mais si on se détache des premières impressions sensibles pour découvrir les rapports de nécessité, les rapports de cause à effet qui seuls constituent la connaissance rationnelle, on constate que la bourgeoisie compradore exploite les paysans parcellaires non parce qu’elle est de couleur claire, mais parce qu’elle est possesseur de capitaux engagés dans le trafic commercial. L’élément constitutif de son exploitation, de son rôle économique, ce n’est pas la couleur de sa peau, mais sa qualité de possesseurs de capitaux commerciaux »

« Inversement, les paysans parcellaires ne sont pas exploités parce qu’ils ont la peau noir, mais en tant que vendeurs de leurs produits aux bourgeois commerçants. De même les ouvriers noirs des villes et des campagnes ne sont pas exploités parce qu’ils sont noirs, mais en tant que producteurs de plus-value. » [6]

2) les agissements délétères de la fraction internationale de la bourgeoisie et l’encouragement des luttes fratricides

Les grandes maisons de commerce d’origine d’outre-mer ne se contentaient pas de sucer la production agricole qui survivait seulement grâce au savoir faire des petits propriétaires et des petits possesseurs. Elles adoptaient la fâcheuse habitude de financer toutes les luttes inter fractionnelles des classes dirigeantes pour en tirer des avantages de toutes sortes allant jusqu’à des franchises douanières. Le nouveau gouvernement qui se mettait en place pour fonctionner empruntait de fortes sommes d’argent à des taux d’intérêt exagéré. Les grandes maisons réclamaient à tort et à travers des dédommagements énormes aussi pour compenser les prétendues pertes dont elles furent victimes durant les’’ révolutions’’ qu’elles avaient elles-mêmes financées parfois sous la menace de l’ambassade ou de la flotte de leur pays quand cela s’avérait nécessaire. Ce mode d’investissement rapportait tellement que la même maison finançait en même temps les deux camps rivaux. La plupart des propriétaires ou des responsables de ces maisons jonglaient avec leur double nationalité : l’une pour profiter des avantages que les lois nationales accordaient aux Haïtiennes et aux Haïtiens, l’autre pour se faire protéger de la puissance étrangère dans l’esprit de soutirer de l’argent au gouvernement haïtien. Les réticences qui ont marqué toutes nos constitutions quant à l’acceptation de la double nationalité sont liées à ces épisodes malheureux de notre histoire.

« On trouve en Haïti des étrangers vraiment honnêtes et dignes du plus grand respect. Ils sont malheureusement en petit nombre, et à côté d’eux grouille tout le rebut des nations étrangères : véritables scories que les sociétés rejettent de leur sein et qui, pour notre malheur, viennent s’accumuler en Haïti. Ils sont les artisans de nos discordes civiles ; on retrouve leur main dans presque toutes nos luttes intestines. Ils fournissent de l’argent aux mécontents pour les inciter à la révolte, et l’insurrection une fois proclamée, ils s’empressent de prêter au gouvernement les sommes nécessaires pour les combattre... soit que le gouvernement ou que l’insurrection triomphe, cela leur importe peu : ils sont sûrs d’encaisser de l’argent. A part le taux élevé auquel ils ont avancé aux contendants les sommes dont ceux-ci avaient besoin, ils ont toujours en poche d’inépuisables réclamations qu’avec un cynisme éhonté ils produisent au bon moment. Et ils trouvent des ministres, des représentants de grandes puissances pour soutenir leurs singulières et lucratives réclamations. » [7]

Leslie J. Péan a rapporté la pensée d’un grand écrivain haïtien Roger Dorsainville qui durant une longue période de sa carrière politique et intellectuelle adhérait au noirisme.

« Dorsainville argumente que si Haïti a raté le rendez-vous de la modernité, cela est dû essentiellement aux pressions des grandes puissances étrangères qui sont intervenues avec leurs bateaux de guerre, tout au cours du XIXe siècle, dans les affaires internes haïtiennes, pour empêcher l’établissement d’une paix durable. Les nombreuses interventions de bateaux américains et européens dans les eaux territoriales haïtiennes pour défendre les intérêts de leurs ressortissants commerçants ne s’expliquent pas autrement. Les inquiétudes des puissances extérieures pour garantir leur part de marché les ont portées à s’impliquer dans les luttes qui se déroulaient entre les villes et les campagnes, entre anciens et nouveaux libres, entre les paysans producteurs et la bourgeoisie étatique alliée au commerce extérieur, pour empêcher que la balance ne penche dans le sens des intérêts des masses paysannes. Essentiellement, les intérêts de ces puissances ont œuvré pour qu’Haïti soit un pays au rabais, se réduisant à un marché ouvert à tous les vents » [8].

Le constat de R. Dorsainville recèle une part de vérité. Cependant, la responsabilité imputée aux forces étrangères est mal proportionnée car ce sont les classes dirigeantes et dominantes haïtiennes qui ont pavé la voie aux interventions externes mal intentionnées. Dans toute tension dialectique interne/ externe, l’interne joue le rôle principal de la contradiction. Les luttes fratricides pour des motifs parfois peu nobles ont paralysé l’évolution positive de la nation. Les ressources physiques, mentales et naturelles suffisaient pour un départ dynamique. La volonté politique a toujours manqué. Comme le professeur Leslie Manigat eut à le déclarer à plusieurs reprises :

« Haïti, mutatis mutandis, n’était pas alors si dissemblable à la France, du point de vue de la structure sociale. Redisons-le une nouvelle fois et mieux encore : une petite minorité dirigeante hégémonique, culturellement raffiné à la parisienne, véritable race gouvernante dotée du monopole de l’avoir (la grande richesse), du savoir (de l’instruction supérieure), du savoir-faire (l’instruction supérieure), du savoir-faire (raffinement de la socialisation et du pouvoir (les moyens de la puissance publique et de la condition légitime). Le’’ peuple ‘’ était à l’opposé : en gros un conservatoire bariolé d’un état de pauvreté persistante mais décente, de l’ignorance superstitieuse de la majorité rurale analphabète mais pas nécessairement « bête »malgré ses limites, d’une « vulgarité des mœurs » et du langage relevant des périmètres d’une autre culture, et de la soumission propre à la race des gouvernés. La modernisation économique et technique par l’industrialisation a reçu son impulsion décisive sous le Second Empire français et continuera sous la 3ème république qui enclenchera le processus rapide de démocratisation. Haïti, a raté le train de la modernisation et celui de la démocratisation, corollaires partout ailleurs de l’industrialisation, et son retard accumulé va la faire entrer en sous-développement » [9].

La question de la couleur de la peau sciemment soignée par les classes dominantes a toujours visé à embrumer la conscience de classe de la majorité populaire alors que ces classes dominantes se sont toujours entendues pour briser tous les soulèvements de cette majorité. Avant et jusqu’en 1915 avec l’occupation américaine, des chefs militaires et grands propriétaires fonciers armèrent des bandes de paysans pour chasser le président en fonction et se hisser au pouvoir avant de les abandonner tristement à leur sort en attendant l’offre d’un nouveau soupirant. Il a fallu attendre jusqu’en 1874 pour qu’un président en l’occurrence Nissage Saget laissât de plein gré le Palais National à la fin de son mandat constitutionnel de quatre ans. En deux ans, soit du 4 mai 1913 au 27 juillet 1915, quatre présidents se sont succédés au pouvoir. Les Américains ont saisi cette occasion pour envahir le pays et l’occuper pendant dix-neuf ans.

(A suivre)

[1] Directeur de l’Institut Culturel Karl Lévêque
[2] Immanuel Wallerstein dans son article : Universalisme, racisme, sexisme : les tensions idéologiques du capitalisme paru dans le livre publié en duo avec E. Balibar sous le titre : Race Nation Classe. Les identités ambiguës. Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein.P 48. Editions la Découverte
[3] Etienne Charlier : Aperçu sur la formation historique de la nation haïtienne.P 18. Les Presses Libres
[4] Etienne Charlier : ibid P20
[5] Jean Luc :ibid. P70. Editions Nouvelles Optiques.
[6] Jean Luc :Structures Economiques et lutte nationale populaire en Haïti.63-64. Editions Nouvelles Optiques.
[7] Jacques Nicolas Léger, Haïti, son Histoire et ses détracteurs. Notre citation est tirée de « Haïti, Un cas. La société des Baïonnettes » de Alix Mathon. P 183-184
[8] Leslie J.R. Pean : Haïti, économie politique de la corruption.TIII. Le Saccage. (1915-1956). P.93
[9] Leslie F. Manigat : Éventail d’Histoire Vivante d’Haïti. Des préludes à la révolution de Saint-Domingue jusqu’à nos jours 1789-2003).T 3 P5-6

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