vendredi 4 juillet 2008

HAITI - ETHIQUE ET POLITIQUE: OU EN SOMMES-NOUS?

Haiti - Ethique et politique : Où en sommes-nous ?

jeudi 3 juillet 2008

Par Josué J. P. Dahomey [1]

Soumis a AlterPresse le 1er juillet 08

La question du rapport entre éthique et politique semblait avoir trouvé, depuis au moins un siècle, sa résolution la plus pertinente. L’argument semblait en fait clair et faisait autorité chez toutes les consciences éclairées : la séparation de la sphère publique et de la sphère privée ne devrait souffrir aucun amalgame. L’espace public comme espace de délibération des citoyens sur ce qui relève de l’intérêt commun se séparait de tout ce qui relève des convictions religieuses, des goûts, préférences et valeurs individuelles. La chose semblait jusqu’ici claire et entendue. Au demeurant, il y a lieu de se demander par quelle déroute de l’intelligence on en vient à assister en Haïti aujourd’hui à l’émergence de « palabres » sur une question qui relève de la sphère privée et qui ne devrait, sous aucun prétexte, être évoquée dans l’espace public ?

La chose est déconcertante, et en tant que telle, elle est l’indice d’une sorte de défaite de la pensée, trop longtemps acceptée dans notre société, au profit d’une certaine vulgarité qui porte l’empreinte des temps de l’inquisition. La sclérose intellectuelle dont sont frappées certaines gens ici est pathétique. Mais le comble dans tout cela, C’est l’immoralisme de ceux qui, au nom de la morale, commettent les forfaitures du dénigrement et de la misogynie. Les arguments fallacieux qui consistent à faire grande messe de la vie privée, cachent souvent les motivations les plus perfides, et les schémas dont ils se prévalent, sont aussi perfidement d’un autre temps. Il nous faut donc une pédagogie politique pour sortir des archaïsmes de tous bords qui ensablent notre société et l’enfoncent de part en part dans ce désert de conscience critique et démocratique.

L’âge démocratique et ses exigences éthiques

Il est difficile de prendre part à un débat qui n’en est pas un. Car c’est toujours délicat de vouloir ramener à la raison les gens qui sont, ou bien de mauvaise foi, ou bien tout simplement enrôlés dans des fondamentalismes, et, à fortiori, des fondamentalismes phallocratiques. Aussi, Il est difficile d’engager une discussion sérieuse sur des propos qui, de par leur teneur médiocre, ne sauraient aucunement s’élever au rang d’une simple pétition de principes. Toutefois, devant le spectre de l’immobilisme, voire du retour à l’intolérance et à l’incivilité ; devant le spectacle de la haine distillée dans les rouages de la société, il est impératif de convoquer la conscience critique sur les valeurs et exigences de l’âge démocratique.

En effet, pour qu’il y ait démocratie, il est impératif qu’advienne dans une société un certain nombre de valeurs et d’exigences dont les plus représentatives sont, la pluralité des formes de vie, l’égalité, la libre détermination ou l’autonomie individuelle ou encore la liberté, la solidarité. Il n’y a pas de démocratie sans valeurs démocratiques. Et de ce fait, les valeurs démocratiques sont les seules exigences éthiques qu’une société a le droit de requérir de ses membres. Tout le reste – les convictions religieuses, les tendances affectives, les codes émotionnels, etc. – relève du champ de la vie intime et privée et ne saurait, dans une société démocratique, être en aucune façon évoqué à des fins délibératives.

Par ailleurs, c’est une réalité désormais incontournable que la dynamique démocratique ne saurait être solidaire d’une structure sociale caractérisée par le patriarcat, la misogynie, le sexisme, ou l’homophobie. Car même si le travail à faire sur les mentalités est immense et exige une longue patience, la phallocratie ne peut plus être tenue comme une condition naturelle pour une société juste et bien ordonnée. Les vieux réflexes de la domination masculine ne peuvent plus être tenus pour des principes intangibles. C’est la logique démocratique de transformation des conditions structurelles des mentalités elle-même qui appelle à une refondation des superstructures intellectuelles.

Pourtant, malgré cette dynamique de notre temps, nous faisons l’expérience, actuellement dans l’arène politique haïtienne, d’une sorte de degré zéro du débat, où l’on fait fi des problèmes réels (sociaux, politiques, économiques), pour se focaliser, non sur un faux problème, mais sur un problème qui n’en est pas un du tout. La récupération de l’ordre des urgences de notre société par ces joutes aussi verbeuses que creuses sur la vie privée d’une personne, est en elle-même éloquente du déficit éthique d’un moralisme pré-démocratique. Il faudra pourtant bien vite aller au-delà de ces inepties. Car en dépit de tout, nous sommes tenus d’avancer. Mais que sais-je ! Après tout, il est peut-être important de chercher à comprendre pourquoi, aujourd’hui, il s’impose à nous de débattre d’un non-débat. C’est peut-être en disant non à cette négation suffocante, non à la machine de destruction et du ressentiment, non au lynchage politique ; c’est peut-être dans la négation de la négation, que la dynamique démocratique chez nous puisse trouver enfin son moteur. J’invite toutes les consciences éclairées de la société à la négation (critique) de la négation (destructrice).

C’est enfin au nom des repères éthiques de l’âge démocratique, que nous exigeons l’arrêt immédiat de ce lynchage contre la personne du premier ministre désigné.

Messieurs les pseudo-moralisateurs, souffrez qu’on exige de vous un peu plus d’efforts, et que vos seuls arguments ne soient plus guère que l’expression vile de vos refoulements mal négociés avec vous-mêmes.



[1] Professeur de philosophie éthique et politique

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