dimanche 21 septembre 2008

LE RNDDH ANALYSE LA LOI SUR L'ETAT D'URGENCE DU 9 SEPTEMBRE 2008

Le RNDDH analyse la loi sur l’Etat d’Urgence du 9 septembre 2008 adoptée par le Parlement

Septembre 2008

INTRODUCTION

Le RNDDH a pris connaissance de la loi sur l’état d’urgence, votée à la va-vite le 9 septembre 2008 par le corps législatif haïtien. Cette loi attire l’attention du RNDDH tant par sa justesse, ses faiblesses et ses limites que par son caractère exceptionnel, car l’état d’urgence est par nature une mesure restrictive des libertés publiques.

I- JUSTESSE DE LA LOI

La République d’Haïti fait souvent face à des situations de perturbation grave de l’ordre public, à des catastrophes naturelles et à la paralysie des services publics essentiels où il est parfois impossible d’assurer l’approvisionnement en produits de première nécessité à des populations entières dans des zones importantes du territoire national. Il est indéniable que les mesures d’exception peuvent se révéler nécessaires pour faire face à ces situations exceptionnelles qui empêchent le fonctionnement normal des institutions publiques.

II- FAIBLESSES DE LA LOI

L’initiative des parlementaires risque cependant d’aller à l’encontre de l’intention dont ils sont animés et ceci en raison des nombreuses faiblesses du texte adopté par les deux (2) chambres en moins de vingt-quatre (24) heures.

1. Objet - définition

La loi du 9 septembre 2008 réduit l’état d’urgence à des cas de catastrophes naturelles uniquement. Cependant les cataclysmes publics entraînant la paralysie du territoire peuvent ne pas résulter uniquement de catastrophes naturelles. Il est incompréhensible aussi, dans le cadre d’une telle loi, de ne pas prévoir des dispositions spécifiques sur l’état de siège qui peut être déclaré en cas de menaces contre la souveraineté et l’intégrité du territoire.

2. Procédure

La déclaration de l’état d’urgence est une mesure d’une telle gravité que généralement la compétence est réservée au Gouvernement, par décision prise en Conseil des Ministres et, dans certaines circonstances avec l’autorisation du Parlement. Cette autorisation doit porter non seulement sur le principe mais également sur les moindres détails du dispositif de l’arrêté ou du décret déclarant l’état d’urgence. Or, dans le texte adopté émotionnellement par nos parlementaires, au chapitre III, il est permis au Président de la République, au Premier Ministre, ou à tout Ministre exerçant la fonction de Premier Ministre par intérim, de déclarer seul l’état d’urgence. Même un délégué départemental ou un vice-délégué d’arrondissement a autorité pour déclarer l’état d’urgence.

L’article 5 de la loi prévoit l’assentiment du corps législatif seulement pour des périodes allant au-delà de trente (30) jours. Mais aucune précision n’est donnée sur la manière dont le corps législatif doit exprimer son assentiment : doit-il se réunir en chambre séparée ou en assemblée nationale? Par quel type de vote ?

Cette loi, en son article 7, alinéas 3 et 4, autorise le gouvernement à faire les dépenses jugées nécessaires sans tenir compte de la loi budgétaire et des règles de procédure pour des achats publics. Le gouvernement est aussi autorisé à disposer des fonds du Trésor Public, comme il le veut, à l’exception des salaires, indemnités et pensions de retraite. Ces dispositions représentent une véritable source de corruption.

3. Limites

En plus des pouvoirs étendus du gouvernement, énumérés dans la loi celui-ci peut, en vertu de l’article 7, alinéa 19, prendre « toutes autres mesures permettant de faire face à la situation ». Il s’agit là d’une sorte de pouvoir illimité. Or, il est généralement admis que les droits fondamentaux susceptibles d’être affectés en période de crise où l’état d’urgence est déclaré, sont : les droits à la liberté et à la sûreté, à l’inviolabilité du domicile, au secret des communications, à la liberté de circulation et de résidence, à la liberté d’expression et d’information, le droit de réunion et le droit de grève. La loi doit néanmoins préciser dans quelle mesure chacun de ces droits peut-être suspendu. La loi du 9 septembre 2008 ne précise pas non plus les droits qui ne peuvent en aucun cas faire l’objet de restrictions, tels : le droit de réunion des organes statutaires des partis politiques, des syndicats, des associations socioprofessionnelles et patronales, les droits des détenus, etc.

4. Recours

Le droit au recours devant les tribunaux est un droit fondamental garanti par Haïti à partir d’engagements internationaux. En situation d’état d’urgence et pour des raisons supérieures d’intérêt général et d’efficacité, les pouvoirs de police sont renforcés. Si les circonstances conduisent à la disparition de l’administration, il est aussi permis à des particuliers d’assurer la continuité de l’Etat en vertu de la théorie dite du fonctionnaire de fait. Dans ces situations, les cas d’abus, d’exagération et de violation des droits humains sont souvent légion. Or, les parlementaires se contentent de dire de manière vague et imprécise que les mesures adoptées pendant l’état d’urgence par le gouvernement sont susceptibles de recours par devant la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif.

Il est impensable que la loi du 9 septembre 2008 ne prévoie pas le recours devant les tribunaux pour tout citoyen victime d’une mesure prise en période d’état d’urgence, qu’elle n’organise pas le référé administratif ou le référé suspension pour faciliter la suspension rapide d’une mesure susceptible de prévenir, de contrôler ou de limiter la crise, mais qui ne respecte pas le principe de proportionnalité ou qui risque de causer inutilement des torts irréparables à des citoyens.

CONCLUSION

Le RNDDH, en fonction de la théorie des circonstances exceptionnelles, ne conteste pas l’idée pour l’Etat de recourir à ce que l’on appelle généralement « la légalité d’exception » c’est-à-dire un ensemble de dispositions juridiques permettant aux autorités constituées, en période de crise grave, d’exercer des pouvoirs qu’elles ne détiennent pas en situation normale. Ce régime provisoire de confusion des pouvoirs, dans un Etat de droit, doit être limité et soumis au contrôle du Juge de la légalité. Il ne peut en aucun cas et pour quelque raison que ce soit faciliter la violation des droits indérogeables et intangibles, ou transformer l’Etat en un Etat irresponsable. Telle est la motivation du RNDDH en publiant la présente analyse.

Au demeurant, une loi accordant des pouvoirs exceptionnels aux autorités publiques en période de crise grave est une nécessité pour Haïti. L’initiative des parlementaires en ce sens est bien venue. Mais le texte adopté et voté le 9 septembre est à parfaire, car cette loi est dangereuse pour la démocratie et l’Etat de droit que le peuple haïtien appelle de ses vœux. La loi, telle que votée, confond la prérogative de déclaration d’état d’urgence, l’annonce de déclaration d’état d’urgence et fait abstraction du pouvoir de confirmation par le Parlement des mesures prises par le gouvernement par décisions réglementaires. Elle viole aussi le principe de la permanence du Sénat.

Elle s’apparente au phénomène des « pleins pouvoirs », des chambres « J’approuve » des Duvalier régulièrement accordés à l’Exécutif en période de vacances parlementaires. L’adoption de cette loi est une volonté maladroitement exprimée de retour aux pratiques anciennes, comme si la bonne gouvernance et la gestion démocratique et responsable de l’Etat en période de crise étaient impossibles. Le RNDDH appelle l’Exécutif et le Parlement à revoir cette loi qui représente une véritable menace pour la démocratie, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance et l’Etat de droit.

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