mercredi 1 avril 2009

LES CONTRADICTIONS DE LA GLOBALISATION ET HAITI

Les contradictions de la globalisation et Haïti

mercredi 1er avril 2009

Par Leslie Péan

Soumis à AlterPresse le 31 mars 2009

À la veille du sommet de Londres du G-20 qui commence le 2 avril, rien ne va plus. Les croupiers majeurs du grand casino qu’est devenue l’économie mondiale prennent des dispositions pour trafiquer les machines et fausser les jeux. Le gouvernement américain en premier lieu décide au cours de la partie de changer les règles du jeu. Dans les dispositions prises, la toute dernière est la politique de l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) consistant à monétiser la dette. Suivant la politique de la Banque d’Angleterre, puisque les banques refusent toujours de prêter de l’argent, il faut alléger leur compte d’exploitation en rachetant de grandes quantités d’obligations d’État à long terme (bons du trésor) et du même coup retirer tous les actifs toxiques de leur portefeuille. C’est ce que l’économiste Paul Krugman nomme le plan zombie.[ Paul Krugman, “Wall Street Voodoo”, New York Times, January 18, 2009.] Pour ces économistes-bokor, la crise actuelle n’est pas le résultat d’un problème de solvabilité générale mais simplement un problème de liquidité insuffisante. Donc, il suffit de pomper de l’argent sur le marché dans la bonne tradition monétariste pour régler les problèmes et relancer la croissance. Les cours des obligations d’État diminueront et les banques seront forcées d’investir en accordant des crédits. Ce plan zombie reflète fondamentalement la crainte de voir la déflation s’installer, c’est-à-dire une baisse du niveau général des prix de 20%, et avec elle l’augmentation du chômage qui a atteint le chiffre de 7,2% en janvier 2009. On parle de dépression dans des proportions plus grandes et plus douloureuses que celle de 1929. Pour tenter de tromper les joueurs qui sont autour de la roulette, les autorités américaines de la Banque centrale (la Federal Reserve) qui sont un Etat dans l’Etat ont décidé unilatéralement de créer des trillions .[ Nous référons à 1 trillion en anglais, c’est-à-dire au chiffre 1 suivi de douze zéros, soit 1,000,000,000,000. Si en anglais 1 trillion est l’équivalent de mille milliards, par contre en français 1 trillion est l’équivalent d’un milliard de milliards. ] de dollars à partir de rien. L’objectif est de pouvoir acheter les actifs pourris, fruits de la corruption la plus monumentale jamais vue dans l’histoire de l’humanité. Cette corruption qui a été théorisée sous le gouvernement de Ronald Reagan, à travers la politique de dérégulation, s’est étalée avec rigueur au cours des huit dernières années du président George W. Bush.

Les signes avant-coureurs de la dérive des produits dérivés avaient eu lieu en 1998 avec la faillite du fonds spéculatif LTCM qui avait menacé l’économie mondiale d’une faillite généralisée. Mais cela n’a pas empêché le Congrès américain, alors contrôlé par le parti républicain, d’imposer la politique de dérégulation du système financier en abolissant en 1999 le Glass-Steagall Act de 1933 séparant les banques d’investissement des banques commerciales et des compagnies d’assurance. Grâce à la loi connue sous le nom de Gramm-Leach-Bliley Act (GLBA) , cette abolition sera on ne peut plus capitale pour permettre la croissance de la City Bank qui, par retour d’ascenseur, un an plus tard engagera Robert Rubin, qui était alors secrétaire au trésor, comme président de son conseil d’administration. Donnant donnant.

Les rémunérations des dirigeants de l’assureur AIG à hauteur de 165 millions de dollars ont fait des vagues. Mais dans le cas de Robert Rubin, il n’y a pas eu de vagues. La City Bank a mis le paquet et a payé à l’ancien secrétaire au trésor la rondelette somme de 21 millions de dollars pour les mois de Novembre et Décembre 2000, soit deux mois de travail. . [1]Quant au président Clinton qui a vite signée la loi abolissant le Glass-Steagall Act, il avait assez d’ennuis avec le Sénat américain qui voulait le destituer pour l’affaire Monica Lewinsky le 12 février 1999. Il l’a échappé belle grâce aux cinq sénateurs républicains qui ont voté contre l’infraction de parjure dont il était accusé. Ce vote historique de 55 contre et 45 pour est-il un coup réfléchi des stratèges républicains ? On ne peut pas l’affirmer. Par contre, on sait que le président Clinton a souscrit au vote du Sénat de 8 contre et de 90 pour en signant sans appliquer son droit de veto le 12 novembre 1999 la loi de la dérégulation financière qui est à la racine de la crise actuelle. Au pays du plea bargaining, y a-t-il eu un deal entre les sénateurs républicains et le président Clinton ?

Dans le cas où des transactions judiciaires auraient eu lieu entre les deux parties, on peut dire sans aucun doute que si les avantages ont été réciproques, c’est le pays qui a perdu. Dix ans plus tard ce sont des morceaux qu’on essaie de recoller. L’abolition du Glass-Steagall a ouvert la porte à une financiarisation sans frein avec un produit intérieur brut mondial (PIB) de quarante-quatre (44) trillions de dollars tandis que le volume des transactions financières est de l’ordre de deux mille trillions de dollars. La monnaie financière représentant le marché supplante la monnaie bancaire représentant l’État, sans avoir la capacité et encore moins le souci d’assurer la cohérence d’ensemble que demande la vie en société. Une conflictualité dévastatrice se développe conduisant à la crise actuelle. Pour en sortir, les forces du marché font alors appel à la puissance publique en lui demandant d’être un prêteur en dernier ressort. Ce dernier s’engage dans une politique d’émission monétaire en prenant le risque de causer un type d’inflation à la Weimar. Mais c’est moins grave, pensent les stratèges du statu quo, que la déflation généralisée. Ce trillion de dollars émis par la Federal Reserve permettra de redémarrer la machine économique qui s’est arrêtée.

Or là où le bât blesse, c’est bien le montant des actifs toxiques ignoré. On navigue dans le noir, sans boussole. Selon le FMI, les actifs toxiques ne seraient que de 2.2 trillions. Pour Nouriel Roubini, professeur à New York University, ils seraient de 3.2 trillions. [2] Si ces actifs toxiques correspondent à la valeur titrisée des titres hypothécaires de Fannie Mae et Freddy Mac, institutions nationalisées par l’État américain, alors il s’agit de 5.2 trillions. La globalisation de la crise financière viendrait justement du fait que seulement 50% des ces titres sont détenus par des institutions financières américaines dont les banques, assurances, fonds de pension et les fonds spéculatifs. L’autre moitié est globalisée dont 40% dans les institutions européennes et 10% dans les institutions asiatiques.

Les dés sont pipés

Mais le casino n’offre pas que la roulette ou le poker. On ne peut pas comptabiliser uniquement les actifs toxiques découlant des titres hypothécaires. La crise d’accumulation du capital découlant de cette fameuse loi de baisse tendancielle du taux de profit formulée par un certain Karl Marx, a poussé les stratèges du capital à la financiarisation. Les mathématiciens de Wall Street qui ont créé les produits dérivés n’ont pas lésiné sur les moyens pour faire de l’argent. Ainsi ces produits dérivés n’ont pas été circonscrits aux actifs hypothécaires uniquement. Les cartes de crédit à la consommation, les prêts aux étudiants, les prêts pour les achats d’automobiles, les garanties sur les prêts en général ont été titrisés à une échelle sans précédent qui fait qu’on parle d’actifs toxiques de 500 trillions, soit 80% des produits dérivés en 2008. [3] Nous sommes à des années-lumière des 2.2 trillions du FMI. On comprend donc que le trillion du plan Geithner n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Le dernier rapport du Bureau de Contrôle de la Monnaie (Office of the Comptroller of the Currency) indique les pertes dues aux produits dérivés sur les taux d’intérêt pour l’année 2008 sont de 3.42 billions, soit plus de sept fois plus qu celui de 2004 quand les banques avaient alors perdu 472 millions. [4]

Mais le jeu de dés est aussi pipé. La Banque des Règlements Internationaux (BRI), le gendarme de la haute finance, a tenté de contrôler la financiarisation en émettant des règles strictes de solvabilité pour le fonctionnement des banques. La BRI et son Comité de Bâle ont spécifié en 1988 (Bâle 1) que les fonds propres d’une banque doivent s’élever à 8% de ses engagements pondérés. Cette règle connue sous le nom de ratio Cooke a été renforcée en 2004 par le ratio McDonough qui a non seulement ventilé les risques de crédit, de marché et opérationnels (Bâle 2) mais surtout a interdit aux banques de prêter aux État souverains à moins que le prêt soit entièrement provisionné. Ces règles grignotaient substantiellement les marges bénéficiaires des banques. Elles ont contourné ces restrictions imposées par la BRI à leur rentabilité en prêtant aux ménages insolvables à des taux faramineux, encouragées d’ailleurs par la réglementation de la même BRI favorisant les banques de détail par rapport aux banques d’affaires. Les banques ont appliqué alors le principe qui veut que le bon client n’est pas celui qui rembourse intégralement sa dette mais plutôt celui qui garde une perpétuelle dette tout en payant des intérêts élevés. Les banques commerciales comme la City Bank sont devenues le symbole de l’échec en privilégiant leur intérêt propre par rapport à celui des clients. Des produits toxiques ont été délibérément vendus à ces derniers. Haïti a fait l’expérience du financement d’un État insolvable tout au cours du 19ème siècle et au 20ème siècle. Ses créanciers ont refinancé sa dette avec de nouveaux emprunts de 1825 à 1874, puis de 1896 à 1910 et enfin de 1922 à 1948 sous le président Estimé. La sarabande des emprunts a repris en 1949 et dure depuis, maintenant Haïti sous la coupe réglée des créanciers internationaux.

La politique Ponzi menée par le gouvernement américain depuis la fin de la deuxième guerre mondiale a consisté à se faire financer son déficit par l’épargne mondiale en allant des Européens aux Arabes et enfin aux Chinois. Les États-Unis absorbent 70% de l’épargne mondiale. Ce sont les capitaux du reste du monde qui créent de l’emploi aux Etats-Unis. Il faut introduire un peu d’équité dans le système global afin que les pays pauvres comme Haïti ne continuent pas de prêter des millions de dollars aux États-Unis, essentiellement à taux zéro, alors qu’ils en ont besoin pour leur propre développement. C’est l’une des recommandations faites par la Commission du Groupe des experts des Nations Unies dirigé par le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz le 18 mars 2009. [5] Le coût élevé de l’empire américain a été supporté en grande partie par les eurodollars puis par les pétrodollars et actuellement par les chinodollars. Cette politique de la cavalerie a ses limites. On se rappelle comment lors de la crise de la dette de 1982, Paul Volcker, le patron de la Federal Reserve, avait combattu l’inflation aux Etats-Unis au détriment du reste du monde. Il avait augmenté les taux d’intérêt à 20% pour le taux des fonds fédéraux et à 21.5% pour les débiteurs de premier ordre, sans se soucier des conséquences internationales et particulièrement des pays en développement qui ont vu leurs dettes fuser comme des geysers en un clin d’œil. Le Mexique va se retrouver dans l’impossibilité de faire face à ses engagements financiers car le taux d’intérêt sur sa dette augmentait de 3.5% en 1980 à 27% en 1982.

La réalité du surendettement

Dans la conjoncture actuelle, les stratèges de l’empire essaient encore de prendre soin d’eux-mêmes au détriment des autres. Après avoir vendu au reste du monde des produits financiers toxiques, ils veulent s’en défaire par une inflation qui risque de se propager à la planète entière. Ces stratèges sont partisans de la mondialisation ou de la dé-mondialisation suivant ce qu’ils perçoivent être leur intérêt du moment. La Chine, leur principal créancier ne semble pas avoir apprécié. D’où la proposition du gouverneur de la Banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan, d’abandonner le dollar et de créer une monnaie internationale à l’instar des Droits de Tirage Internationaux (DTS) fondée sur un panier de quatre monnaies : le dollar, l’euro, le yen et la livre sterling. Cette recommandation est aussi appuyée par le groupe des experts dirigé par Joseph Stiglitz qui propose la création d’un nouveau Système Global de Réserves à partir de l’ampliation du système des DTS. [6]

Pour la Chine, mais aussi pour la Russie qui en a fait la proposition originale, c’est la meilleure manière de garantir la valeur de leurs réserves de change. Les Américains refusent une telle proposition. Ils militent pour un plan de relance qui est encore boudé par les Européens avec une Banque Centrale Européenne (BCE) qui n’a aucun droit d’émission, contrairement à la Federal Reserve américaine qui fait fonctionner la planche à billet à grande vitesse. Avec les 788 billions du plan de relance du président Obama, soit 11% de leur produit intérieur brut (PIB), les Américains demandent aux autres pays développés européens de faire de même. Or la relance en zone euro n’est que 3.4% du PIB, soit trois fois moins que les États-Unis. Les Européens résistent aux pressions des Américains qui veulent appliquer une politique keynésienne d’augmentation de la demande à l’échelle de la planète. [7]

Dans le bras de fer qui se joue entre Américains, Européens, Russes et Chinois, quel sera le rôle du Brésil, de l’Inde, de l’Arabie Saoudite, de l’Indonésie, de l’Afrique du Sud et des autres pays à économie émergente qui sont membres du G20 ? Si les Américains refusent d’accepter une diminution de leur pouvoir à travers l’organisation d’une nouvelle architecture financière internationale, la Chine ne risque-t-elle pas de diminuer le financement du déficit américain ? Son premier ministre Wen n’avait-il pas sonné la cloche d’alarme dans une déclaration qui a précédé celle du gouverneur de la banque centrale chinoise ? Les conséquences désastreuses d’un tel retrait chinois du marché financier américain risquent d’envenimer une situation déjà catastrophique. On aurait alors une dévaluation du dollar allant jusqu’à 20%, la bourse (le Dow Jones) chuterait de manière significative au-dessous de 5.000 points, l’inflation pourrait atteindre deux chiffres, et les taux d’intérêt sur les bons du Trésor augmenteraient. On se rappelle comment en Septembre 2008, la crainte de voir les banques centrales de Chine, du Japon, de l’Europe, de la Russie et du Moyen-Orient suspendre leurs achats de bons du trésor américain, avait forcé Washington à nationaliser les institutions Fannie Mae et Freddy Mac.

Mais cette façon de voir refuse de reconnaître la réalité du surendettement. Ce n’est pas seulement l’État fédéral américain qui est surendetté. C’est aussi le cas pour les entreprises et les individus. Ce n’est pas parce qu’ils ont des problèmes de liquidité que les banques ne prêtent pas mais essentiellement parce qu’elles ne trouvent pas de clients solvables. Après l’expérience des crédits pourris des subprimes, on se demande pourquoi on veut encore pousser les banques à faire des crédits douteux dans d’autres secteurs de l’économie.

L’astronome, mathématicien et économiste italien Nicolas Copernic eut à dire au 15ème siècle que les nations ne sont pas ruinées par la violence mais plutôt graduellement, et de manière imperceptible, par la dépréciation de leur monnaie, due à une émission excessive de celle-ci.

Des remèdes pires que le mal

Comment Haïti se situe-t-elle dans cet imbroglio international ? Comment ses dirigeants comprennent et évaluent leur stratégie de développement dans la conjoncture internationale ? La politique économique d’extraversion suivie par les décideurs haïtiens et promue entre autres dans le rapport Collier ne tient pas compte de cet environnement extérieur malade. Il est question de marché américain, d’aide internationale, de tourisme, de loi Hope II, etc. C’est l’extraversion totale. Cette stratégie est en porte-à-faux par rapport à la réalité de la globalisation et ne semble pouvoir déboucher que sur un fiasco. Tout comme la réunion du G20 semble être un échec annoncé. Car il y a des vagues de fond qui sont structurelles. Deux raisons fondamentales expliquent cela. La première est qu’Haïti décide de dépendre de l’aide étrangère pour avoir les capitaux nécessaires à son développement. Or, l’aide étrangère a considérablement diminué. Ce sont les flux privés d’investissement qui priment dans le financement du développement international. Ces flux privés investis dans les pays émergents ont diminué de 2007 à 2008, allant de 928 billions de dollars à 466 billions. Ils devraient diminuer de moitié encore en 2009. Les plans de relance des pays développés ne laissent que peu de place aux capitaux de l’épargne mondiale pour qu’ils soient disponibles afin de financer les pays en développement. La deuxième est que les exportations des pays du Sud s’écroulent. Ils diminuent de 28% au Brésil et de 25% en Chine.

Les gouvernements haïtiens ont adopté la politique de privatisation aveugle. Des entreprises publiques ont été privatisées n’importe comment. La gestion des produits de ces privatisations est des plus opaque. Qu’a-t-on fait de cet argent ? Les gouvernements haïtiens ne sont pas autonomes et ne peuvent pas formuler leurs propres politiques à partir des intérêts nationaux. Ils écoutent les prescriptions des institutions financières internationales dictées par les pays développés. Or ces pays n’appliquent pas ces prescriptions chez eux quand ils sont confrontés à la crise. C’est le cas actuellement aux États-Unis aussi bien avec le plan de sauvetage qu’avec le plan de relance proposé par le gouvernement américain pour tenter de sortir de la crise. Ce plan adopte une politique monétaire qui est en désaccord avec l’orthodoxie néo-classique. En Haïti, les bailleurs de fonds internationaux continuent d’exiger l’application de politiques monétaires restrictives, d’augmentation des taux d’intérêt et de diminution des dépenses publiques. Des remèdes qui se révèlent pire que le mal. Comme le dit si bien l’économiste de Cambridge Ha-Joon Chang , « Si les politiques et les institutions que les pays riches recommandent aux pays pauvres sont convenables et appropriées, on aurait pu s’attendre à ce que la croissance et le développement soient la règle, plutôt que l’exception, durant les trois dernières décennies au cours desquelles les pays développés ont commencé à mettre la pression sur les pays en voie de développement pour qu’ils adoptent ce qu’ils appellent les ‘normes mondiales’ ». [8]

La politique de destruction de l’échelle

La politique de développement des gouvernements haïtiens est basée uniquement sur les concours financiers internationaux provenant de la Banque Inter-Americaine de Développement (BID), de la Banque mondiale, du FMI, de l’Union Européenne et des autres institutions financières bilatérales. Or ce qu’indique la réalité, c’est que depuis 1998, 80% des flux financiers allant dans les pays en développement viennent du secteur privé et 20% viennent du secteur officiel. Ayant perdu toute confiance en eux-mêmes, les dirigeants haïtiens ont mené des politiques consistant à faire dépendre la sécurité nationale d’une force d’occupation étrangère. Non seulement cette façon de voir prolonge la politique de réduction de la densité nationale, mais aussi elle détruit l’échelle sur laquelle Haïti pourrait grimper pour arriver à son propre développement. Cette échelle que les pays riches ont utilisée hier pour se développer. Comme l’a amplement montré l’économiste Ha-Joon Chang [9], cette politique de destruction de l’échelle consiste à imposer aux pays en développement des politiques libérales d’ouverture et de libre-échange qui n’ont pas été suivies par les pays développés.

La Grande-Bretagne s’est ouverte au libre-échange seulement après avoir constituée sa suprématie industrielle et les Etats-Unis ont protégé leur marché national avec des hauts tarifs de 1816 à 1945. Comme le souligne Rafael Correa, président de l’Équateur, les pays riches s’efforcent d’appliquer la politique de la prostituée qui, après s’être fait un magot, réclame la fin de toute politique de tolérance. [10] En Haïti, la politique de destruction de l’échelle a eu pour effets de s’en remettre à la mondialisation pour pouvoir donner à manger à la population. L’autosuffisance alimentaire en riz, maïs, céréales, œufs, poulets, sucre, etc. a été remplacée par une politique d’importation dont la résultante a été les émeutes de la faim de 2008. Les partisans de la thèse qui veut qu’Haïti suspende la production de maïs sont au casino mais ne sont pas des joueurs titulaires d’une place assise à la table de Vingt-et-Un ou de Black Jack. En pensant qu’Hait devrait se fournir en maïs des Etats-Unis pendant 25 ans afin que les terres en pente aient le temps de se régénérer, ces gens-là qui sont debout derrière les gens assis se trompent et trompent les autres. Étant debout derrière les titulaires de places assises, ils n’ont pas le droit de décision. Les gouvernements haïtiens qui écoutent leurs mauvais conseils en voulant réaliser une politique d’industrialisation à la Taiwan doivent savoir que Taiwan avait assuré son autosuffisance en riz avant de se lancer dans l’assemblage pour l’exportation. Ditto pour la Corée du Sud. La politique d’industrialisation par l’assemblage prônée par l’USAID et les institutions financières internationales a placé Haïti dans une voie de garage au détriment des investissements qui devaient avoir lieu dans l’agriculture.

Le temps des fausses « bonnes nouvelles »

L’empire a donné au président Obama la difficile tâche de dire aux Américains que leur train de vie basé sur la dette est insoutenable et doit changer. Ce n’est plus le temps des entrepreneurs mais celui des joueurs qui font du lucre leur motto. C’est tout simplement de l’escroquerie que de transformer des dettes en actif. Mais plus grave encore c’est de la corruption (incluant ententes entre traders, délits d’initiés, truquages comptables) quand on mélange des crédits à haut risque avec d’autres crédits moyennement risqués et qu’on les vend comme des nouveaux produits dérivés. Cette titrisation sauvage est à la base de la crise financière qui ravage la planète. La mafia financière a déshabillé Pierre pour habiller Paul. Le secteur de la finance a continué sur une plus grande échelle les pratiques de corruption qui ont entraîné les faillites emblématiques d’Enron et de WorldCom en 2002-2003. Et dans ce cadre, l’arme de l’information, surtout à travers l’internet, a été mis en valeur pour diffuser de fausses « bonnes nouvelles » afin d’influencer artificiellement les cours boursiers. Depuis la fameuse bataille de Waterloo, les financiers qui dirigent la planète ont toujours su fabriquer des mensonges, comme celle de la victoire de Napoléon en novembre 1815, pour vendre leur vision trompeuse au reste du monde et multiplier leur fortune par vingt.

[1] Kathleen Day, “Rubin’s pay for just 2 months : $21 million”, Washington Post, March 7, 2000

[2] Nouriel Roubini, “A Deep Recession and a Severe Financial Crisis Ahead”, Investment News, Mar 26, 2008

[3] Bank of International Settlements, Quarterly Review, Basel, Switzerland, March 2009, p. A-103.

[4] Quarterly Report on Bank Trading and Derivatives Activities, Office of the Comptroller of the Currency, Washington, D.C., Fourth Quarter 2008, p. 17.

[5] « Recommendations by the Commission of Experts of the President of the General Assembly on reforms of the international monetary and financial system », United Nations, New York, 19 March 2009, p. 11.

[6] Ibid, p. 11

[7] Nicolas Kulish, « Europe, aided by Safety Nets, resists U.S. push on Stimulus », New York Times, March 27, 2009

[8] Ha-Joon Chang, "Les schémas de développement servis aux pays du Sud ne servent que les intérêts de ceux qui les propagent", Conférence de l’auteur à la Banque Africaine de Développement (BAD) à Tunis, Février 2009. Voir aussi Ha-Joon Chang, “La bonne gouvernance à l’épreuve de l’histoire”, L’économie politique, n° 17, 1er trimestre, 2003.

[9] Ha-Joon Chang, Kicking away the Ladder. Development,Strategy in Historical Perspective, Anthem Press, London, 2002, p. 68.

[10] Rafael Correa, Presentación del libro « El rostro oculto del TLC », de Alberto Acosta, Fander Falconí Benítez, Hugo Jácome y René Ramirez, Ediciones Abya-Yala, Quito, Ecuador, 2006.

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