mercredi 11 novembre 2009

HAITI: LA CLASSE POLITIQUE HAITIENNE: ENTRE AFFAIBLISSEMENT ET ECHEC...

Haïti: La classe politique haïtienne : entre affaiblissement et échec...

«Pour prévoir l'avenir, il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés. Créés par les hommes animés des mêmes passions, ces événements doivent nécessairement avoir les mêmes résultats.» [ Nicolas Machiavel ]

Vu la crise sociétale qui caractérise le pays et l'incapacité de la classe politique de proposer une alternative durable à la misère, l'ignorance et le désespoir du peuple haitien, nous avons jugé bon de partager quelques éléments de réflexion avec le grand public afin d'attirer l'attention de tout un chacun sur les grands défis auxquels la nation se trouve confrontée. Ainsi, ce texte s'articule autour de l'urgente nécessité d'évaluer les partis politiques, d'apprécier leur contribution dans la consolidation du processus démocratique et dans l'amélioration des conditions matérielles d'existence de la population défavorisée.

Théoriquement, qu'est-ce qu'un parti ?
C'est une entreprise collective qui génère des biens et revenus politiques. Nous utilisons ici ce concept économique afin de permettre à nos lecteurs de mieux comprendre le bien-fondé de l'activité politique en Haiti. Historiquement, aucune entreprise ne peut ni évoluer ni survivre en autarcie, il lui faut un lieu propice à son épanouissement. Ce lieu abstrait que nous tentons de décrire est le marché politique : le terrain sur lequel s'exercent les concurrents politiques. Si le parti est considéré comme une entreprise avec tout ce que cela implique comme mode de fonctionnement, qu'est-ce qui le fait agir ?

D'abord, voyons sa composition : il est dirigé par un ou plusieurs entrepreneurs ou actionnaires communément appelés leaders dont les comportements sont dictés par les lois du marché. Stricto sensu, ce sont des gens qui vivent pour et de la politique. Ces derniers pour se distinguer des autres entités sur le marché exposent leur philosophie de la chose publique pour accéder par exemple à une part des postes électifs. Aussi trouvons-nous sur le marché plus large de la politique : des journalistes, des groupes d'intérêts et des lobbyistes avec lesquels ces entrepreneurs doivent nécessairement pactiser pour légitimer leur action .

Il n'y a pas d'entreprise sans clientèle : le peuple est au coeur de toutes les transactions qui se font sur le marché politique. La notion de marché avec ce contenu que nous lui donnons détermine cet espace particulier dans lequel ces agents investissent des capitaux pour recueillir des profits ou des dividendes ( traffic d'influence, contrats juteux, etc).

Le parti pour se promouvoir doit convaincre indubitablement la masse de l'efficacité de son offre : l'accès à l'eau potable, la création d'emplois, les logements sociaux, les constructions d'hôpitaux etc.
Ainsi, cette foule inconsciente s'abandonne aux promesses houleuses de ces activistes dans l'espoir de bénéficier de projets sociaux visant le bien-être collectif.

Pour Max Weber (1920): « Les partis politiques sont les enfants de la démocratie, du suffrage universel, de la nécessité de recruter et d'organiser les masses ». Cette précision exclut toute possibilité de dictature et de velléité despotique au sein des partis, car ils appartiennent à la communauté. Ils doivent favoriser l'alternance réelle au niveau de leur directoire et s'ouvrir aux citoyens-nes désireux de s'investir dans la politique active. Plus loin, pour différencier les entreprises politiques de celles dites économiques Max Weber affirma : « Une entreprise économique a pour but de se procurer des biens ; une entreprise politique le pouvoir ». Au-delà de toutes ces considérations, le parti dont le rôle serait de s'approprier du pouvoir, conduire la nation vers le développement et la croissance économique fait face à d'énormes difficultés. Il est concurrencé par la société civile organisée qui, elle aussi, aspire au pouvoir.

Dans un pays comme le nôtre où la société civile est réduite à une poignée d'organisations ou ONGs qui se pérennisent grâce à l'aide internationale, il est de plus en plus difficile pour quel que soit le parti d'être compétitif. D'où, pour se perpétuer, les partis sont obligés de recruter leurs candidats dans cette société civile dont la visibilité est incontestable du point de vue de ses disponibilités financières. Une opération politiquement risquée, vu que dans la majorité des cas, ces élus une fois qu'ils arrivent au Palais National ou au Parlement, ils rompent totalement avec ces formations politiques. Ce qui est le cas de beaucoup de nos politiciens dont le leader à vie de Fanmi Lavalas Jean-Bertand ARISTIDE en 1990 et les députés de la Concertation des Parlementaires Progressistes (CPP) en 2009. Ce phénomène mérite d'être approfondi afin de mieux comprendre la dynamique de la démocratie. Comme nous l'avons fait avec le concept de « parti politique » nous nous proposons de développer la notion de « société civile » et déterminer l'importance de ce secteur dans le jeu politique.

Qu'entendons-nous par société civile ?
Elle est ce trait d'union qui sépare le gouvernement des partis politiques. Ainsi, nous attribuons cette définition à toute institution (groupements paysans, syndicalistes, sectes religieux, associations patronales, etc.) qui ne relève de l'appareil étatique. Contrairement aux Partis dont le but ultime est de s'accaparer du pouvoir, elle revêt une double importance : Veiller à la bonne marche de l'Etat et à l'application des principes fondamentaux établis par la Constitution et la loi.

Néanmoins, depuis la chute de la dictature des Duvalier et l'avènement de la liberté d'expression et d'associations en Haiti, la société civile n' a fait que consolider son influence par rapport aux gouvernements qui se sont succédés. Aussi échoue-t-elle piteusement dans sa mission de défendre les intérêts supérieurs de la nation. Jurgen Habermas disait que « l'opinion publique, c'est l'organe public du raisonnement ». Elle représente cette vigilance citoyenne constante qui nourrit la démocratie. Elle combat avec véhémence toute tentative autoritaire soumettant l'Etat aux caprices d'un individu ou d'un groupe. Cependant, la stratégie de commissions en cascade initiée par l''exécutif et l'enrôlement des cadres des partis de l'opposition dans sa plateforme de la stabilité n'ont-t-ils pas hypnotisé l'opinion publique?

Absolument ! Le constat est percutant. A présent, nous avons un secteur organisé consentant où toute réprobation de la politique présidentielle est refoulée. Dans cet état de chose, ni la société civile ni les traditionnels contestataires de la classe politique ne peuvent moralement contrer l'agenda du Président de la République. Désormais, il a les mains libres, il peut décider de manière unilatérale de notre avenir. N'a-t-il pas déjà annoncé les couleurs lors de sa rencontre avec les élus locaux au Ranch de la croix-des-bouquets : « Allez de par le monde prêcher la bonne nouvelle. Quiconque croit sera sauvé et ceux qui n'y croient pas seront condamnés » ?

Comment sommes-nous arrivés là ?
L'avarice et l'obsession de nos concitoyens-nes vis-à-vis du pouvoir et ceci sans aucun souci patriotique les poussent à admettre l'inacceptable pourvu que cela leur rapporte. Pire encore ! Il n'y a pas vraiment eu d'émergence durant ces vingt (20) dernières années : ce sont les mêmes noms, les mêmes clans pour les piètres résultats que nous connaissons. Aujourd'hui, le peuple s'attend à du nouveau, il ne s'identifie plus aux prédateurs moribonds et improductifs de la scène politique.

Pour expliquer ce revers, nous nous référons au professeur Stephen R. COVEY qui résume en ces termes: « Nous savons ce qu'est un compte en banque: nous y déposons des valeurs... Sur un compte affectif nous déposons le produit de nos relations humaines, notre confiance ». Autrement dit, lorsque nos hommes et femmes politiques pratiquent le clientélisme et la corruption, ils font des retraits de notre compte affectif ; lorsque l'occupation étrangère les arrange, ils font des retraits de notre compte affectif ; lorsque 197 millions de dollars du trésor public sont évaporés sans aucune réalisation majeure, ils font des retraits de notre compte affectif.

Donc, ces acteurs réputés pour leurs manoeuvres déconvenues et opportunistes ont pratiquement épuisé leur crédit. Leur mise à la retraite est inévitable !
Il est venu le temps pour la jeunesse de prendre le taureau pas les cornes en plébiscitant un leader éclairé et visionnaire à la tête de ce pays capable de nous sortir du marasme et du monopole économiques.

Gary BODEAU
Garybodeau@hotmail.com
Aucun sacrifice, aucune Victoire !

1- Michel Offerlé, Les Partis Politiques, Paris, Puf P.10-12
2- Le Savant et le politique, 1ère édition, Plon, 1920
3- Jurgen Habermas, l'espace publié, paris, payot, 1978 p.38
4- Stephen R. Covey, les sept habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu'ils entreprennent, paris, first business, 1996 p.192-193.

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