mercredi 30 janvier 2008

HAITI: JACMEL INVENTE SON AVENIR

vendredi 19 mai 2006

Par Gary Olius

Soumis à AlterPresse le 12 mai 2006

« Jacmel invente son avenir » : tel est le titre d’un document qui va être soumis sous peu à l’appréciation des élus du département du Sud-Est et particulièrement ceux de Jacmel. C’est, en fait, un plan de développement (ou d’extension) de cette ville et de ses périphéries préparé par un organisme de l’Etat haïtien dénommé Unité Technique d’Exécution (UTE), mis en place au cours de la période de la transition post-aristidienne et dirigé par l’Economiste-Ingénieur Frantz Verella. Après avoir passé au peigne-fin ce document, nous sommes en mesure de décerner, sans broncher, un total satisfecit à tous ceux-là qui ont participé à ce travail d’équipe. Il est réconfortant de constater que, sur quelque soit l’angle considéré, ce plan convainc par sa cohérence. Et, pour ce qui est des besoins urgents de la ville, on a ciblé l’essentiel. Disant ceci, nous parlons en homme qui connaît bien le département et son chef-lieu.
L’ossature du document traduit un choix clair : la priorisation des aspects techniques sur les blablabla sans substance et celle du réel-concret sur les rêveries idéologiques qui sont, par nature, paralysantes et déroutantes. Ceci, sans se confiner dans un réalisme clos et sans lendemain. Les concepteurs articulent avec maestria une triptyque diagnostic-orientations-actions, tout en se démarquant avec doigtée de la formule réductrice et limitative du que-quoi-comment chère à l’école traditionnelle de la formulation des projets de développement.
Le diagnostic
Il n’est peut-être pas parfait, mais nous imaginons difficilement qu’on pourrait faire mieux compte tenu des contraintes du milieu. Le point fort de ce diagnostic est que les auteurs ne se sont pas laissés prendre dans la vision médicale de la chose, laquelle est généralement guidée par une logique a-historique pour ne pas dire a-temporelle. En vérité, on ne peut pas penser un schéma de développement durable d’une région donnée sans tenir compte de l’évolution historique de ses problèmes. Car les causes de ceux-ci peuvent être très lointaines et se laisser enchevêtrer au fil du temps. Déterminisme explique. Les choses qui, aujourd’hui, crèvent les yeux ne sont que les effets multiplicateurs des problèmes sur lesquels des générations antérieures ont fermé les yeux. De ce fait, il est absolument impossible pour un territoire ou une société donnée de s’inventer un meilleur futur en se basant sur un diagnostic qui, dans son référentiel, ne tient pas compte du passé.
Sur cet aspect précis, on est forcé de reconnaître la viabilité les prescriptions faites par le document de l’UTE. Elles sont basées sur un diagnostic systématique et rationnel qui n’exclut pas la dimension historique de la question. Par celui-ci, les Jacméliens qui vont lire ce document sauront comment éviter d’être les principaux artisans de leur propre malheur. Car le temps, n’étant pas architecte, ne saurait modeler à sa manière, configurer ou défigurer notre territoire sans notre complicité, c’est-à -dire, notre participation consciente ou inconsciente. En ce sens, le diagnostic effectué - à grand renfort de données historiques dans ce document - est un appel à une responsabilisation citoyenne tant individuellement que collectivement. Un appel à l’action concertée et réfléchie... en toute urgence.
Parlant des orientations proposées
C’est sous cette rubrique que l’équipe de l’UTE rejette, à sa manière, les actions isolées effectuées en dehors d’un cadre articulé et global. C’est du même coup un vibrant plaidoyer pour des interventions intégrées susceptibles de produire des impacts durables. Vraiment, le développement c’est d’abord ça et surtout ça. L’état actuel du pays en est la preuve la plus éloquente. Avec justesse, le document constate qu’il y a lieu de sortir de la logique suicidaire consistant à ne pas se préoccuper de la croissance démographique du pays pendant que les ressources disponibles s’amenuisent dangereusement. Il n’y a pas là que pur malthusianisme, mais la conscience d’un danger réel, surtout si l’on se rappelle que nous sommes plus de 8 millions d’habitants sur 27,750 km2 de terre dépouillés de plus de 97% de sa couverture végétale.
Par ailleurs, dans cette nouvelle orientation, le document prêche pour une ville à double-centre. C’est une idée novatrice que nous soutenons depuis belle lurette et qui nous a valu d’être combattu et même menacé par la bourgeoisie commerçante locale. Les capitalistes à courte vue de cette petite clique n’ont pas pu remarquer les possibilités et avantages économiques d’une telle vision. Ils ne juraient que par le Bel-Air, là où se trouvent leurs magasins et s’en foutaient de l’ultra-congestionnement de la ville et le cortège de conséquences qui en découle.
Durant notre passage comme Directeur Régional du Fonds d’Assistance Economique et Sociale (FAES) à Jacmel, nous avons pu, de concert avec les autorités locales et les directeurs d’opinion de la société civile, convaincre les dirigeants de cette dite institution de financer la construction d’un nouveau marché public exactement dans la zone identifiée par l’UTE. Les maîtres économiques de la ville ont opposé une fin de non-recevoir à l’idée de ce projet et ont tout manigancé pour le tuer dans l’œuf. Sachant cela, les autorités locales et les notables ont mis tout leur poids dans la balance et ont appuyé sans réserve le bureau régional du FAES. Cette ferme détermination a porté fruit, car le Directeur Général de cette institution, le très lucide Harry Adam, s’est déplacé en personne pour venir confirmer, en présence de la presse et des personnalités les plus importantes de la ville (dont Mgr. Guy Poulard), que le projet sera exécuté comme le souhaite la population. Il a effectué, en compagnie du Délégué et du Maire, une visite du nouveau site proposé par les autorités et de l’actuel marché public ( les preuves sont là ...) .
Il est aussi réjouissant de voir que dans le modèle de développement proposé par l’UTE, ce nouveau marché constituera le principal locomotive dans le projet de construction du nouveau centre commercial. Ce sont, justement, ces genres d’initiative qu’il faudra soutenir à tue-tête afin que, à la longue, des anciennes périphéries du pays puissent se convertir en centres pouvant survivre par eux-même, en ouvrant ainsi la voie à de nouvelles possibilités de croissance économique. Ce qui contribuera sans aucun doute à la réduction de la pauvreté.
Enfin, dans les actions envisagées
La construction du nouveau marché public en était une. Mais le plan prévoit aussi un certain nombre d’interventions qui nous enchantent énormément. Par une simple coïncidence, au cours de notre premier voyage d’études en Espagne, nous nous sommes retrouvé à Cadiz, cité carnavalesque par excellence de ce pays de Cervantès. La similitude entre Jacmel et cette ville est plus que frappante. Un littoral de toute beauté, savamment aménagé où sont établis de grands hôtels et par où passe le défilé des groupes lors du carnaval. Nous nous sommes rendu compte qu’avec un volume d’investissement adéquat, jacmel pourrait devenir le Cadiz des Caraïbes. De retour en Haïti, nous avons partagé nos impressions avec des amis jacméliens (dont des ex-membres de comité carnavalesque). L’idée de construction d’un boulevard sur le littoral (de Congo jusqu’à Katiti) était au centre des différentes discussions que nous avons eu avec eux à l’occasion des différentes festivités qui se sont succédées dans la ville de 2000 à 2005. Pour notre plus grand bonheur, le plan de l’UTE fait de cette idée (avec un format réduit) un chantier prioritaire.
D’autres projets d’envergure font aussi partie du paquet proposé et leur complémentarité socio-économique incite à l’optimisme quand à l’avenir de Jacmel. De l’aménagement de l’ancienne prison coloniale en musée à la construction de la place de la douane, en passant par la reconstruction de 6 km de routes intérieures, d’une nouvelle école professionnelle et l’érection d’infrastructures sportives, en fait, toutes les dimensions du développement sont prises en considération : l’humain, le culturel, l’économique, l’infrastructurel etc... Le tout pour une somme évaluée à près de 25,5 millions de dollars. Vraiment, tout y est pour un bon démarrage. Espérons que les bailleurs de fonds acceptent de nous prêter les ressources financières nécessaires et que les responsables soient à même de tenir parole.

Contact : golius@excite.com

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