jeudi 22 janvier 2009

LA VICTOIRE DE BARACK OBAMA: MIRAGE OU REALITE

La victoire de Barack Obama : Mirage ou réalité

jeudi 22 janvier 2009

Par Leslie Péan

Soumis à AlterPresse le 22 janvier 09

L’inauguration de Barack Hussein Obama comme 44ème président des États-Unis d’Amérique représente la victoire de la raison contre les monstres de l’animalité qui hantent et menacent de détruire les civilisations. Il y avait de l’excitation et de l’émotion dans l’air. Dans une adresse d’un grand réalisme qui fera date, Obama a pris la route du dialogue. Le couple présidentiel a pris son bain de foule. Le couple Obama était heureux, tout comme au jour de leur mariage, cheminant sur la Pennsylvania Avenue, pour rentrer dans la Maison Blanche, et défendre une Constitution qui disait à son origine qu’un Noir était 3/5ème d’un être humain. C’est la culmination d’une longue lutte menée par les Noirs et Africain-Américains contre la discrimination et pour leur émancipation. La réalisation du rêve de Martin Luther King. Il y a un changement d’approche et l’attitude raciste négative envers le Noir prend un sérieux coup. Longtemps déprécié pour mieux légitimer son exploitation pendant cinq siècles, le Noir comme être humain reprend de la valeur. La fierté et l’espoir renaissent dans les cœurs. C’est la fête avec une allégresse similaire à celle que suscita la libération de Nelson Mandela en Afrique du Sud le 11 février 1990. Telles sont les performances des milieux de la haute finance capables de toutes les convulsions. Y compris celle de vendre à leurs propres ennemis les armes pour les combattre. Ce fut le cas dès l’origine, quand les commerçants hollandais en lutte pour leur indépendance de l’Espagne vendirent néanmoins des armes qui faisaient défaut à leurs adversaires espagnols lors de cette guerre de quatre-vingt ans (1568-1648), s’achevant avec le traité de Westphalie consacrant la naissance de l’État-nation moderne. [1]

Dans un pays où un quart des Noirs Américains vit en-dessous du seuil de pauvreté et où 36% des prisonniers sont des Noirs américains, l’élection de Barack Obama est un évènement sans précédent. Moins de 50 ans après que les droits civiques aient été accordés aux Noirs, la rentrée d’Obama à la Maison Blanche réchauffe le cœur de nombre de Noirs qui se croyaient condamnés à la déréliction à cause de la couleur de leur peau. Le racisme anti-noir fait partie du capital symbolique que les forces du grand capital ont utilisé pour démarrer et maintenir la machine d’exploitation des peuples de couleur depuis 1492. Nombre de Blancs et de Noirs qui se sont attaqués à ce capital symbolique ont eu un triste sort. C’est le cas de John Brown à Abraham Lincoln, de John à Robert Kennedy, de Malcom X à Martin Luther King. Mais le système se révèle plus astucieux et capable de se réformer.

Contre le pouvoir de l’argent des lobbies

Toutefois, l’euphorie de l’inauguration risque de disparaitre vite et de céder la place à la réalité. À un moment où le monde entier se pose des questions sur Gaza, cette réalité était absente du beau discours d’Obama. C’est que les néocons ont perdu la bataille mais pas la guerre. Nombre de personnalités républicaines ont été maintenues par Obama dans son gouvernement. C’est le cas surtout avec Robert Gates, Ministre de la Défense ou encore de Dennis Blair, directeur des seize (16) agences d’espionnage et d’intelligence. Mais ce ne sont pas uniquement les républicains que Barack Obama a conservé pour assurer la continuité. Certains architectes de la crise financière et économique actuelle comme Larry Summers sont toujours aux commandes. En effet, Larry Summers a été le maitre d’œuvre de la politique ultralibérale contre la régulation des fonds de couverture (hedge funds), contre celle de régulation des contrats dérivés de produits financiers multiples incluant les Credit Default Swaps (CDS) dont la valeur de $473 trillions dépasse de dix fois le PIB mondial évalué à $47 trillions en 2006, [2] pour la politique de capitalisation des fonds de pension, pour l’élimination du Glass-Steagall Act de 1933 refusant aux banques commerciales d’avoir des activités de courtage et de spéculation. Ce sont ces politiques désastreuses qui ont abouti à la crise des subprimes, la goutte d’eau qui a fait déverser le vase de la crise financière.

La machine de corruption mise en branle par Robert Rubin, le patron de Summers au Département du Trésor, pour exécuter des politiques visant à favoriser les grandes banques d’investissement telles que la Citi Bank (la plus grande banque privée mondiale), a donné carte blanche aux financiers pour inventer en 1980 et 1990 les fameuses obligations garanties par des créances multiples synthétiques appelées Collaterized Debt Obligations (CDO) synthétiques. Ces produits dérivés ne sont pas basés sur des actifs réels adossés à de réelles créances mais sur les CDS. Ce sera l’extrapolation de la politique des subprimes avec le carrousel de la musique de la titrisation entrainant tout le monde dans la danse de la spéculation financière. Le résultat est la plus grande récession mondiale depuis le crash de 1929. L’avenir dira si les ingénieurs de cette crise sont des dinosaures égarés dans le Jurassic Park d’un empire contesté mondialement ou si ce sont les gardiens du temple. Des personnalités comme Naomi Klein [3], Paul Krugman, prix Nobel d’Economie de 2008, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Economie de 1991, qui ont toujours contesté la globalisation ultralibérale, auraient mieux fait l’équilibre dans l’équipe des conseillers économiques autour du nouveau président.

Obama a fait campagne contre le pouvoir de l’argent des lobbies dans la politique. Il a répété ce thème inlassablement. Il fallait avoir du courage pour s’attaquer à ces lobbies qui mènent la politique étrangère américaine en achetant les décisions du pouvoir politique. De l’affaire Mossadegh en Iran en 1953 à la guerre actuelle en Irak pour des armes destruction massive qui n’ont jamais existé, le pouvoir des lobbies est incontournable. En nommant Susan Rice ambassadeur aux Nations-Unies avec rang de membre du cabinet ministériel, Obama donne-t-il le signal de la fin des lobbies dans la politique étrangère ? Il n’est que d’attendre pour avoir la réponse. Les promesses d’Obama au cours de sa campagne électorale risquent de rester des promesses engageant uniquement ceux qui y croient. Surtout en ce qui concerne l’héritage de l’administration Bush. Les attaques de cette administration contre la constitution américaine et les libertés civiques sont nombreuses. Le 19 janvier 2009, Keith Oberman et Rachel Maddow, deux reporters bien connus de la chaine de télévision américaine MSNBC, ont demandé au président élu Obama d’investiguer et punir les membres de l’administration Bush qui ont commis des crimes de torture, plus précisément de torture par l’eau (waterboarding). Ce sera un test critique pour la nouvelle administration Obama. Comme un phœnix qui renait de ses cendres

Mais on ne saurait rester à une pensée racialiste pour analyser la victoire d’Obama. Il faut aller plus loin et aborder cette victoire à partir de l’idéologie et des pratiques de mobilisation sociale qu’elle inaugure. L’africain américain Eric Holder, nommé par Obama ministre de la justice, est le noir qui, en tant que juge à Washington, a changé la loi faisant de la possession de marijuana un crime, contribuant ainsi à augmenter de manière significative le nombre de Noirs dans les prisons. Le noir Clarence Thomas à la Cour Suprême est l’exemple le plus achevé de la capacité du système dominant de corrompre et récupérer les demandes de justice contre la discrimination raciale à son avantage. Le vote du conservateur Clarence Thomas sera déterminant pour donner la victoire à l’élection frauduleuse du président George W. Bush en l’an 2000. [4] Le fait que le pouvoir républicain ait nommé des Noirs américains comme Colin Powell et Condoleezza Rice aux postes respectifs de chef des forces armées et de Secrétaire d’Etat laisserait penser que la victoire de Barack Obama comme président des États-Unis est beaucoup de bruit pour rien.

La stratégie d’Obama combine le style à la substance. Avancer sur un terrain miné demande de la dextérité. La conspiration démocratique qui a fait triompher Obama se nourrit de l’expérience de la victoire des abolitionnistes au Congrès américain au cours de la guerre civile de 1861-1865. Après cette guerre, et au cours des années 1870-1887, les Noirs américains eurent dix-sept représentants au Congrès parmi lesquels des sénateurs tels que Hiram Revels et Bruce Blanche pour le Mississipi. [5] Les abolitionnistes du Nord formant l’aile radicale du Parti Républicain mettront en œuvre les moyens légaux pour changer la situation des Noirs Américains. Ce fut d’abord en 1865 le 13ème amendement à la Constitution abolissant l’esclavage, ratifié par le 38ème Congrès. Puis, ce sera en 1866 le 14ème amendement à la Constitution déclarant que tous les citoyens sont égaux devant la loi, ratifié par le 39ème Congrès. Enfin, en 1869, le 40ème Congrès donnera autorité aux commandants militaires nordistes occupant le Sud, divisé en districts, d’organiser les élections et d’assurer, avec le 15ème amendement à la Constitution, que les Africains-Américains puissent voter. [6] Mais ces mesures seront contournées avec les lois ségrégationnistes Jim Crow qui seront mises en vigueur dans les États du Sud avec la complicité du pouvoir exécutif central de Washington. Mais, comme un phœnix, le mouvement abolitionniste pour l’émancipation des Noirs et des minorités renaitra de ses cendres avec les luttes des années 1950-1970 culminant aujourd’hui en la victoire présidentielle de Barack Obama. Un siècle après les prédictions de George White, congressman noir de la Caroline du Nord en 1900.

C’est avec cet arrière-plan qu’il faut saisir la victoire d’Obama. Dans tous les cas, le nouveau président a fait un grand pas dans sa promesse de renouvellement du personnel politique en nommant Hilda Solis au poste de Ministre du Travail. Partisane du mouvement écologique et ouvrier faisant la promotion de la création de syndicats dans les entreprises, Hilda Solis a eu le soutien des centrales syndicales comme l’AFL-CIO. Également, la nomination de Steven Chu pour gérer le Département de l’Énergie en dit long sur l’approche d’Obama de l’environnement. Mais la plus importante leçon à tirer de l’expérience Obama est la capacité de la conscience de s’élever pour vaincre les forces d’argent dans leur capacité hormonale de corrompre le politique. Cette capacité de corruption de l’argent que l’on a vu lors de la crise des Savings and Loans (S&L) en 1999 s’est reproduite sur une plus grande échelle avec la crise des subprimes, et les truquages comptables de Fannie Mae et Freddy Mac en 2008. Rester dans les tranchées

La fête de 200 millions de dollars offerte à Obama, dans une situation économique qui approche la dépression, n’est pas de bon augure. La perte d’un demi-million d’emplois par mois, en novembre et décembre 2008, donne-t-elle à penser que la lune de miel ne durera longtemps ? Obama a averti que la sortie de crise ne sera pas facile. Les marchés financiers ont boudé cette fête car l’indice Dow Jones est descendu à son point le plus bas, soit moins de 8,000 points. Si les titres du Trésor américain continuent d’être attractifs pour la Chine qui en est le premier détenteur ($618 milliards en novembre 2008), les Sud-Coréens ne sont pas de cet avis et ont commencé à s’en débarrasser. Les données du Département du Trésor américain indiquent que la Corée du Sud ne détenait que $28 milliards, soit moins de la moitié de ce qu’elle avait en 2006. [7] Le rendement des bons du trésor US à 10 ans a considérablement baissé passant d’un taux de 4.76% le 22 janvier 2007 à 3.53% le 22 janvier 2008 et à 2.40% le 20 janvier 2009. On a même vu l’État américain emprunter $30 milliards avec une maturité de 28 jours à taux zéro. Cette vente de titres sans intérêt sur le marché obligataire suppose des investisseurs l’attente d’une baisse des prix ou encore d’une inflation négative. Ce qui ne semble pas cadrer avec la politique de relance de $800 milliards proposée par Obama. Après le fameux sauvetage (bail-out) des grandes banques de $700 milliards, l’orthodoxie financière du libre marché est à nouveau abandonnée pour tenter d’éviter un soulèvement social.

La victoire d’Obama mérite célébration dans la sérénité et la réflexion. Surtout avec les bruits de bottes dans le décor. Un stratège américain n’envisage-t-il pas une intervention militaire aux États-Unis en cas de dérapages et troubles dus à « un effondrement économique imprévu » [8] ? La politique de consensus proposée par Obama semble être un moindre mal. Pour éviter de rentrer dans l’approche chimérique des forces de sécurité voulant remplacer l’incapacité à générer et distribuer le surplus par la politique du contrôle social sous la houlette de la main de fer de la surveillance. Pour avoir compris cela et pour ne pas permettre que le grand mouvement de masse qui l’a amené au pouvoir soit corrompu et récupéré, Obama est revenu dans les tranchées en créant le mouvement Organizing for America . Sans un mouvement à la base demandant le changement par une nouvelle allocation des ressources, Obama ne pourra faire face aux lobbies de l’argent. La crise financière et économique n’est pas seulement un obstacle, elle est aussi une opportunité pour renouer avec les solidarités ébranlées par le fondamentalisme de marché qui s’est imposé depuis le scandale du Watergate de 1972-1974. La route vers la terre promise est encore longue mais la distance diminue chaque jour avec les pas du pèlerin.



[1] Arnaud Blin, 1648 La Paix de Westphalie ou la naissance de l’Europe politique moderne, coll. Questions à l’histoire, Bruxelles, 2006.

[2] Niall Ferguson, The Ascent of Money – a Financial History of the World, The Penguin Press, New York, 2008, p. 4.

[3] Naomi Klein, The Shock Doctrine – The Rise of Disaster Capitalism, Knopf, Canada, 2007.

[4] Les autres membres de la Cour Suprême qui votèrent pour Georges W. Bush sont William Rehnquist, Antonin Scalia, Anthony Kennedy et Sandra Day O’Connor.

[5] Molefi Kete Asante, 100 Greatest African Americans : A Biographical Encyclopedia, Prometheus Books, Amherst, New York, 2002.

[6] Robert Brady, Chairman of the Committee on House Administration of the U.S. House of Representatives, Black Americans in Congress 1870-2007, U.S. Government Printing Office, Washington, Washington, D.C., 2008, pp. 19-25.

[7] Wes Goodman, ‘Time to Sell’ Treasuries, Biggest Korean Fund Says, Bloomberg News, January 19, 2009.

[8] Nathan Firer, “Known Unknowns : Unconventional ‘Strategic Shocks’ in Defense Strategy Development”, Strategic Studies Institute, November 2008, p. 32.

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