jeudi 27 janvier 2011

HAITI: LES ONG EN QUESTION (PREMIERE PARTIE

National 26 Janvier 2011

(Extrait du "Le Nouvelliste")

Ce texte est un hommage - tardif il est vrai - à l'équipe de L'Unité de Coordination des Organisations Non Gouvernementales (UCAONG) du Ministère de la Planification et de la Coopération externe (MPCE) qui a perdu des membres lors du séisme du 12 janvier 2011, notamment son Coordonnateur de l'époque, Baudelaire Petit-Frère et sa secrétaire Jeanne Audelie Vital DAS. L'UCAONG n'a pas encore un nouveau Coordonnateur après un an.
Les Organisations Non Gouvernementales (ONG) occupent la scène depuis ces dernières semaines. Leur prolifération dans le pays après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 suscite des critiques contradictoires. Certains pensent que le bilan de leurs actions est nettement négatif, jugeant que ces entités n'apportent pas un appui conséquent aux victimes et que les fonds collectés ne sont pas investis dans des projets cohérents et durables. D'autres, au contraire, croient que sans l'aide des ONG, la situation générale des victimes les plus vulnérables serait encore plus préoccupante. Toutefois, tous sont unanimes à reconnaitre que l'inefficacité relative des actions des ONG se situe au niveau de la faiblesse de coordination.
La dénonciation de l'impuissance ou de l'insuffisance de coordination ne date pas d'hier. L'Etat haïtien en a toujours été conscient et a essayé d'y remédier en deux (2) occasions. Deux (2) décrets, le premier datant du 13 décembre 1982 abrogé par celui du 14 septembre 1989 toujours en vigueur, ont été conçus en vue de règlementer le fonctionnement des ONG en Haïti. La réalité après le 12 janvier 2010 a prouvé que le problème persiste et prend une tournure troublante, inquiétante. Il est de plus en plus question de mesures urgentes à prendre et à appliquer. Une question préalable : a-t-on bien cerné le rôle des ONG dans le développement d'Haïti de manière à pouvoir mieux identifier les processus à mettre en place pour assurer une coordination efficace et efficiente ?
Le présent texte prendra en compte trois (3) points :
1- L'évolution des ONG en Haïti,
2- La législation règlementant les ONG,
3- Les perspectives pour l'obtention de résultats autres, significatifs.

I- L'évolution des ONG en Haïti.
Depuis plus de trois (3) décennies, les institutions dénommées « Organisations Non Gouvernementales (ONG) » occupent une place prédominante à l'échelle mondiale. Ayant longtemps et essentiellement agi dans l'urgence humanitaire, en réponse à des situations ponctuelles de détresse, elles se sont progressivement impliquées dans le champ des interventions économiques et sociales pour le développement. Leur nombre augmente de plus en plus et les organismes étatiques et internationaux les considèrent comme des acteurs privilégiés dans la poursuite des objectifs de développement. Elles proviennent autant du Nord que du Sud. Cependant, si au Nord elles se consacrent à la collecte de fonds, à la sensibilisation des populations et des Etats, à l'occupation de la scène médiatique, au Sud, elles accomplissent des tâches délaissées par les Etats.
Définition d'une ONG
Le grand public n'établit pas une différence nette et précise entre les diverses organisations telles les fondations, les organismes reconnus d'utilité publique, les sociétés commerciales, les partis politiques, les syndicats et les ONG proprement dites. Il attribue le concept ONG à une panoplie d'associations qui, de par leur histoire et leur statut légal, se distinguent les unes des autres.
L'expression ONG a été utilisée pour la première fois dans des documents des Nations Unies à la fin des années 40 et se réfère à un ensemble d'institutions diverses : organisation de volontariat, agence de solidarité, agence de secours, organisations d'innovations techniques, contacteurs, etc. Il n'existe en fait aucune convention universelle pour désigner les ONG. Par contre, la terminologie a été modifiée dans beaucoup de pays. C'est le cas, entre autres, de la France adoptant la dénomination Association de Solidarité Internationale (ASI), de la République Dominicaine les admettant en tant qu'Institutions Privées d'intérêt social.
Divers auteurs se sont mis d'accord pour que la notion d'ONG soit attribuée à une catégorie bien spécifique. Pour qu'une ONG soit identifiée comme telle, au véritable sens du terme, elle doit :
Etre autonome, ce qui signifie qu'elle ne doit ni dépendre de l'Etat pour son financement, ni lui être inféodée dans la poursuite de ses objectifs ;
Avoir un but non lucratif, c'est-à-dire que les ressources qu'elle recueille seront destinées exclusivement à financer les projets qu'elle aura à entreprendre ;
Etre alimentée en majeure partie par des contributions volontaires (bien qu'elle puisse, et c'est souvent le cas, recevoir une part de ses ressources des pouvoirs publics).
Dans un article sur les ONG paru en Juillet-Aout 1995, la revue africaine « Le Courrier » écrit que « Les ONG sont créés dans le cadre des législations nationales ; leurs conditions juridiques et leurs procédures de constitution varient d'un Etat à un autre ».
En effet, l'article premier du décret du 14 septembre 1989, publié dans le Moniteur du jeudi 5 octobre 1989 stipule : « Sont désignées « Organisations non gouvernementales d'aide au développement » et identifiées ci-après sous le sigle ONG toutes institutions ou organisations privées, apolitiques, sans but lucratif, poursuivant des objectifs de développement aux niveaux national, départemental ou communal et disposant des ressources pour les concrétiser ».
A l'article 6 du même décret, il est mentionné que « la reconnaissance du statut d'Organisation non Gouvernementale est de la compétence conjointe du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, de l'Intérieur et de la Défense Nationale et des Affaires Etrangères et des Cultes. Cette reconnaissance est consacrée par un Acte Officiel signé conjointement par les titulaires des instances susmentionnées, lequel acte est publié sous la forme d'un Communiqué dans le Journal Officiel de la République ainsi que les Statuts de l'ONG concernée ».
Suivant les libellés des articles précités, il y a lieu d'affirmer qu'une association ou une organisation établie en Haïti n'est pas automatiquement ONG. Elle est considérée comme telle une fois que la reconnaissance légale lui est accordée par le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE). Toutefois, une interrogation s'impose : quel est organisme de l'Etat qui oriente, coordonne et supervise les actions des organisations en attente de l'obtention du statut d'ONG puisque, généralement, ces organisations sont déjà fortement actives sur le terrain bien avant la reconnaissance légale ?
Evolution des ONG en Haïti
L'évolution des ONG en Haïti est étroitement liée aux problèmes de divers ordres rencontrés dans le pays. Les crises politiques à répétition ont eu des effets négatifs sur la société haïtienne. Les problèmes économiques, sociaux et environnementaux se sont aggravés au fil des années. Face à l'inaction de l'Etat, des organisations privées, notamment les ONG, se sont installées en Haïti pour, en principe, venir en aide aux groupes les plus vulnérables.
On peut distinguer sept (7) périodes dans la progression de ces organisations en Haïti.
1ere période. La présence des ONG en Haïti, pour certains chercheurs, date du Concordat signé entre l'Etat haïtien et l'Eglise Catholique en 1860. A cette époque, des congrégations religieuses européennes s'établissaient autant dans la capitale que dans les régions les plus reculées du pays. Elles organisaient les paroisses et surtout les écoles dans lesquelles on aménageait un petit dispensaire destiné à prodiguer des soins d'urgence aux élèves et certaines fois à la population locale. Etant à but lucratif, leurs oeuvres sociales annoncent l'action des ONG.
2eme période. Il a fallu attendre l'arrivée, au cours des années 1950, des organisations telles Cooperative American Relief Everywhere (CARE), Catholic Relief Service (CRS), Service Chrétien d'Haïti (SCH) et autres pour parler véritablement d'implantation des ONG en Haïti.
3eme période. A partir de 1960, l'Eglise catholique, du moins en partie, prit ouvertement position en faveur des revendications des paysans. Elle initia des activités de développement communautaire et, par le biais de la CARITAS, mit sur pied un réseau de projets de développement en milieu rural. D'où le développement des premières ONG catholiques. Pour contrecarrer leur influence, le Gouvernement permit aux sectes liées aux églises protestantes nord-américaines de s'installer librement dans les bidonvilles et en milieu rural. Elles y entreprirent parallèlement un travail d'assistance et d'action communautaire. On parlait du rôle social de l'Eglise protestante en Haïti.
4eme période. Au début des années 1980, la dégradation de la situation socio-économique du pays atteint des proportions alarmantes. Des milliers d'Haïtiens utilisant des embarcations de fortune se rendent aux USA (la Floride) fuyant leurs conditions de vie. Les naufrages ont causé la perte de vies d'un nombre considérable d'entre eux. Ces catastrophes de plus en plus répétées révoltèrent l'opinion publique nationale et internationale. Afin de freiner cet exode massif et répondre aux différents problèmes sociaux existant en Haïti, la Communauté internationale débloqua des fonds substantiels pour les ONG. Ainsi, se sont formées de nombreuses ONG nationales et étrangères dont les actions furent fortement appuyées et financées par les agences bilatérales et multilatérales.
5eme période. Après le 7 février 1986, date de départ en exil du Président Jean-Claude Duvalier, le nombre d'ONG a encore augmenté. Des exilés, professionnels, universitaires et cadres de toutes sortes, retournèrent au pays et voulurent apporter leur contribution à la construction de la démocratie. Ils créèrent des centres des droits humains, des centres de recherche et de formation et des institutions intervenant dans le domaine de développement. Ces ONG constituées le plus souvent par des de laïcs, ont représenté une alternative attrayante à la fonction publique, car elles offrent de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail, un isolement et surtout une liberté d'expression et de mouvement en termes de politique partisane.
6eme période. En 1995, le retour au pouvoir du Président Jean-Bertrand Aristide, élu le 16 décembre 1991 et exilé par le coup d'état militaire du 30 septembre de la même année, a suscité un nouveau regain des ONG dans le pays. Rendus incapables de travailler tout au cours de la période du coup d'état de 1991 à 1994 pour cause de non-financement, les ONG, surtout celles d'outre mer, sont revenues en force.
7eme période. En dernier lieu, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 provoquant la mort de plus de 300,000 personnes, générant un million et de demi de sans-abris et plus de 100 000 habitations totalement détruites, a permis l'explosion des ONG et à Haïti de recevoir l'appellation de « république d'ONG ».
En résumé, c'est toujours à la suite de circonstances exceptionnelles (conditions économiques précaires, conflit politique, catastrophes naturelles...) que la grande majorité des ONG se sont établies en Haïti. L'Etat haïtien a toujours été pris au dépourvu, n'a jamais été au rendez-vous. D'où l'absence de décisions relatives aux types d'actions cohérentes à entreprendre par les ONG, leur rôle précis dans des programmes ou projets de développement et au partenariat effectif de l'Etat avec les ONG.

A suivre...

Marie Carmel Adrien
mcadrien@yayoo.fr

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