vendredi 28 janvier 2011

HAITI: LES ONG EN QUESTION (SUITE ET FIN)

National 27 Janvier 2011
(Extrait du "Le Nouvelliste")

Dans un premier article, on a vu l'augmentation exponentielle des ONG en Haïti sur une période relativement courte. La réflexion continue avec une analyse de la législation réglementant leur fonctionnement et de l'écart entre les règles prescrites et la pratique.
La législation règlementant les ONG en Haïti
Si, comme signalé précédemment, la présence des ONG sur le sol haïtien remonte à plusieurs années, ce n'est qu'en 1982, face à leur multiplication, que la nécessité de les impliquer juridiquement dans les champs économique et social du développement du pays s'est fait sentir.
La situation jusqu'à 1982
Avant la promulgation du décret du 13 décembre 1982 régissant l'implantation et le fonctionnement des ONG en Haïti, les diverses organisations , dont la plupart sont connues de nos jours sous le vocable ONG, exercèrent leurs activités sous l'empire de lois règlementant les organisations reconnues d'utilité publique (1921), les fondations (1934 et 1953) et la franchise douanière aux organisations de bienfaisance intervenant en Haïti sur la base d' accords de coopération signés avec l'Etat Haïtien (1943)
En effet, des institutions de nationalité étrangère, telles Cooperative American Relief Everywhere (CARE), Service Chrétien d'Haïti (SCH), Coopération Haïtiano-Néerlandaise (COHAN), entre autres, signaient un accord avec l'Etat représenté par l'autorité administrative compétente assurant la gestion des activités dans le ou les domaine (s) spécifique (s) d'intervention. Quoique la présence de ces organisations remonte aux années 50, les accords en question ne furent signés que quelques années plus tard. Ces contrats conclus pour une période de temps limité, renouvelable par tacite reconduction, lient l'organisation à l'Etat. Ils définissent les obligations auxquelles l'organisation a souscrit et en contrepartie l'Etat haïtien leur garantit un certain nombre de privilèges.
La différenciation entre les diverses associations travaillant pour l'amélioration des conditions de vie des démunis ne posait pas encore de problème. Ces associations remplissaient leur mission d'ordre humanitaire, se préoccupaient généralement de fournir une assistance aux défavorisés, accomplissaient certaines tâches devant relever de la compétence de l'Etat.

Les changements intervenus de 1982 à nos jours
Dans le Moniteur N0. 90 du lundi 27 décembre 1982, le décret du 13 décembre 1982 est publié. Sept ans plus tard, il a été abrogé et remplacé par celui du 14 septembre 1989. Les considérants évoqués dans le nouveau décret font état d'une meilleure structuration et d'une nouvelle orientation des actions des ONG jugées discordantes par rapport au développement recherché par les pouvoirs publics. De plus, les conditions d'existence des défavorisés n'ont pas subi de changements sensibles aux niveaux social et économique.
Sans présenter une analyse approfondie du décret du 14 septembre 1989, il est important de faire ressortir quelques remarques.
La règlementation sur la création et le fonctionnement des ONG en 1982 et en 1989 consiste en des décrets émanant exclusivement de l'Exécutif. Le pouvoir se sentit menacé par ces organisations ayant à leur portée des sommes exorbitantes et s'étendant sur tout le territoire national. Il a fallu mettre des garde-fous pour les contrôler. Les organisations paysannes, les partis et acteurs politiques, les syndicats et les églises ... avaient tous leurs ONG.
D'après le décret en vigueur, au niveau national, l'Unité de Coordination des Activités des ONG (UCAONG) du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE) est responsable de la Coordination et de la supervision des ONG sur le territoire de la République. Il est relayé, au niveau départemental par le Conseil Départemental. Selon l'organigramme dudit Ministère, l'UCAONG relève directement de la Direction Générale. Cette entité n'est pas autonome. Les moyens matériels et financiers mis à sa disposition sont très limités. Il existe un va et vient inconséquent et intempestif entre cette Unité, la Direction Générale et le bureau du Ministre du MPCE pour tout ce qui concerne les demandes d'autorisation de fonctionner d'une ONG, celles de franchises ou d'autres dossiers devant être traités par elle. Ce processus créé une lenteur administrative qui débouche très souvent sur des retards considérables dans la circulation des informations bien des fois indispensables pour la prise de décisions majeures.
Les obligations auxquelles les ONG doivent souscrire sont clairement définies dans le décret du 14 septembre 1989. Cependant, elles sont rarement respectées. L'une d'ente-elles consiste en la transmission du rapport annuel au MPCE. En moyenne, 30% des ONG oeuvrant sur le terrain acheminent leur rapport d'activités et leur programmation annuelle au MPCE. Les ONG accusent l'Etat de ne s'intéresser qu'à leur budget. Elles estiment que les autorités de l'Etat généralement ne font pas de commentaires sur les informations transmises et ne proposent aucune orientation précise dans le cadre de leurs actions.
En cas de non-observance des exigences légales, il est indiqué des sanctions négatives devant être appliquées à l'encontre des ONG. La non-soumission de rapports et de programmes d'action, la participation à des activités de nature politique, commerciale et à toutes autres activités incompatibles avec le statut d'ONG, entrainent le retrait de la reconnaissance légale. Approximativement, une centaine d'ONG, depuis plus une dizaine d'années n'entretiennent aucun contact avec le MPCE ; d'autres s'adonnent à des activités purement commerciales, s'érigent en firmes privées, participent aux appels d'offres ou sont tout simplement dominées par des clans ou des familles. Aucun retrait de la reconnaissance légale n'a été enregistré en Haïti.
Somme toute, la perception des ONG comme des entités subversives, les faiblesses administratives, le manque de confiance des ONG vis-à-vis des pouvoirs publics, ont débouché sur le questionnement du fonctionnement des ONG en Haïti. Les besoins de la population restent insatisfaits, les bailleurs de fonds continuent à financer les ONG, des montants faramineux sont débloqués en l'absence d'un plan directeur. L'on se rend compte que malgré les prescriptions légales susceptibles de parfaire le travail des ONG, les résultats sont loin d'être satisfaisants.

Aucun Haïtien conséquent et soucieux d'un avenir meilleur du pays ne saurait avancer que les ONG ne sont pas utiles. Dans les régions reculées, la présence de l'Etat est quasi-inexistante et il est indiscutable qu'un grand nombre d'ONG suppléent à l'absence des pouvoirs publics. Il est de la responsabilité exclusive du Gouvernement de trouver des solutions adéquates pour que l'aide octroyée par le biais des ONG puisse répondre efficacement aux besoins des plus défavorisés.
Perspectives
La perception correcte des ONG, le bénéfice pour le pays, le partenariat véritable Etat/ONG participent de la prise en grande considération des suggestions suivantes. Ceci est dit sous réserve de la reconsidération du rôle de l'UCAONG tel que proposé par la Commission de la Reforme Administrative
Le retrait de la reconnaissance légale aux ONG en contravention avec le décret en vigueur.
Des mesures coercitives sont obligatoires pour freiner la tendance à utiliser les ONG à des fins d'intérêt privé, à s'enrichir sous le couvert du volontariat. Ces ONG de façade ne visent qu'à bénéficier de privilèges comme l'exemption du paiement de l'impôt, la franchise douanière et l'exonération de taxes sur des biens et articles importés lesquels avantages constituent un manque à gagner sur le plan fiscal pour l'Etat.
L'élaboration d'un avant-projet de loi cadre sur les associations
Il est impératif que le Gouvernement continue l'élaboration de l'avant-projet de loi cadre sur les associations de manière que le projet soit présenté à la prochaine législature. La plupart des associations dénommées à tort ONG fonctionnent dans l'informel, sans assise juridique. Toute organisation ou association nationale ou étrangère sera inscrite au Ministère de l'Intérieur et des Collectivités territoriales. Elle sera canalisée, appuyée, contrôlée et supervisée par l'instance étatique spécialisée dans son champ d'action. Ladite instance et la mairie de la zone d'intervention de l'association assureront, de manière concertée et suivant la procédure à établir, le suivi des activités sur le terrain.
La mise en place d'une banque de micro projets par chaque organisme public
Chaque Ministère et chaque organisme autonome établiront avec ses services déconcentrés une banque de micro projets en vue d'orienter les associations voulant travailler dans le pays. A partir de ce dispositif, ces associations pourront aisément choisir les zones et champs d'action nécessitant des interventions urgentes en fonction des ressources financières et techniques dont elles disposent. Il y a lieu de diriger les associations dans les zones non atteintes par le séisme du 12 janvier 2010, de commencer à poser les bases pour des interventions durables surtout dans les régions reculées.
L'élaboration d'un avant-projet de loi créant une structure autonome devant régir les ONG
Durant les dix prochaines années, les ONG continueront à occuper une place importante dans le pays. Une structure plus autonome, toujours sous la tutelle du MPCE, à l'exemple du Conseil National des Coopératives (CNC), doit être prise en compte pour assurer leur gestion. Avant d'accorder le statut d'ONG à une organisation ou association, le Gouvernement doit s'assurer de ses capacités financières et professionnelles à remplir efficacement les tâches qu'elle se propose d'exécuter. Ce projet de loi tiendra compte:
- Des performances de prestations de service durant un nombre d'années bien définies d'une association postulant pour le statut d'ONG ;
- De la définition de l'ONG. Elle doit être précise, claire et formulée de manière non équivoque. La définition du décret 14 septembre 1989 est imprécise. Que peut bien signifier le terme apolitique lorsqu'on sait que les ONG visent à la transformation de la situation précaire des groupes les plus vulnérables ? Elles sont de fait porteuses d'un projet politique même quand elles ne doivent pas se mêler de politique partisane. Quant aux objectifs de développement, s'agit-il des objectifs définis par l'Etat haïtien ou de ceux énoncés par chaque ONG séparément ?
- De la nature de l'ONG. Les ONG établies en Haïti interviennent en forte majorité dans l'humanitaire. Il conviendrait de clarifier et de préciser le (s) type(S) d'ONG qui pourraient le mieux accompagner le Gouvernement dans ses objectifs à court, moyen et long terme, la littérature spécialisée retenant trois types d'appui offert par les ONG.
1- Un appui humanitaire face à des besoins immédiats de survie matérielle tels la nourriture, la santé, l'habitat......
2- Un appui au développement local par des interventions d'ordre économique, social et culturel, bien entendu à la micro-dimension ;
3- Un appui aux luttes sociales dans les champs économique, social, de défense des droits et de promotion de la paix par de l'aide financière, des pressions politiques, de formation, de présentation internationale.
- Des obligations. Il arrive trop souvent qu'après le départ d'une ONG dans une zone, on se retrouve par la suite confronté à résoudre le problème initial qu'elle avait résolu. Face à ce dilemme trop souvent répété, il s'avère obligatoire que les ONG allouent dans leur budget un montant consacré à la formation de cadres pour continuer les travaux après leur départ.
- Les avantages. Les avantages seront concédés à l'ONG sous forme d'exonération de taxes ou de franchise douanière sur les matériels et équipements strictement nécessaires à la réalisation des travaux et sur les effets personnels des étrangers travaillant dans l'organisation.

Conclusion

On entend trop souvent parler des ONG comme « L'Etat dans la l'Etat ». Quelle que soit leur importance, les ONG ne peuvent en aucun cas se substituer à l'Etat. L'Etat est la puissance publique. Ce qui fait de lui une association sans pareille, avec le pouvoir de commander et de sanctionner légitimement même par la force. La législation sur les ONG jusqu'ici vise particulièrement à leur barrer la route en fonction des ressources financières énormes - en comparaison bien entendu avec un petit pays pauvre comme Haïti - dont elles disposent, mises le plus souvent à leur disposition par les agences bilatérales et multilatérales. Le rapport Etat/ONG a été trop longtemps tissé de malentendus, de méfiance voire même de rivalité. Il importe désormais que l'Etat affirme son autorité et établisse un vrai partenariat avec les ONG pour qu'enfin leurs actions puissent être dirigées vers les démunis dont les conditions de vie sont de plus en plus critiques, inacceptables, malgré la présence massive des ONG sur le territoire national.

Marie carmel Adrien
mcadrien@yahoo.fr

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